Algérie, Maroc, Tunisie: «Il est clair de quel côté se trouvent les économies fortes, créatrices de richesses»

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Usine d'automobile - Sputnik Afrique, 1920, 06.04.2021
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Dans un entretien à Sputnik, l’économiste algérien Abderrahmane Toumi explique que bien que l’Algérie soit le pays le moins endetté du Maghreb, il n’en demeure pas moins que son économie est plus fragile que celles du Maroc et de la Tunisie, en raison de son économie rentière et non-productrice de richesses.

Au terme de l’année 2020, des statistiques publiées par la Banque mondiale indiquent que la dette publique algérienne était de 51,4%, contre 77,4% pour le Maroc et 87,2% pour la Tunisie. On est tenté de dire que c’est l’économie algérienne qui s’en est le mieux sortie par rapport à celles de ses voisins de l’Est et de l’Ouest, durant cette année marquée par une grave crise économique mondiale générée par la pandémie de Covid-19.

Néanmoins, si l’on essaye de faire parler ces chiffres en tenant compte de la situation de l’économie réelle dans ces trois pays, cette conclusion tiendra-t-elle face à la réalité?

Pour y répondre, Sputnik a sollicité le Pr Abderrahmane Toumi, économiste algérien expert, qui affirme d’emblée que «cette conclusion est fallacieuse, et ce pour plusieurs raisons».

États des lieux

En février, lors d’un passage à l’Assemblée nationale populaire (APN), l’ex-ministre algérien de l’Énergie, Abdelmadjid Attar, a fait savoir que l’Algérie avait exporté ses hydrocarbures pour un total de 20,2 milliards de dollars en 2020, soit une baisse de 40% par rapport à 2019. Dans ce contexte, alors que l’économie algérienne dépend encore à 98% des recettes des exportations en hydrocarbures, les importations du pays ont baissé de 10 milliards de dollars par rapport à 2019, notamment grâce «à la production et la maîtrise de la surfacturation», comme l’a annoncé le Président Abdelmadjid Tebboune le 4 avril lors de la rencontre mensuelle avec la presse nationale. L’Algérie a importé pour 34,4 milliards de dollars en 2020.

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Au Maroc, les exportations se sont établies à près de 30 milliards de dollars, soit une baisse de 7,5% par rapport à 2019, alors que les importations qui ont baissé de 7,64 milliards de dollars par rapport à la même année ont pointé à 46,7 milliards de dollars, selon les statistiques de l’Office des changes.

Enfin, la Tunisie a exporté pour près de 14 milliards de dollars, soit une baisse de 11,1% par rapport à 2019, et importé pour 18,5 milliards de dollars, un recul de 14,8%, soit de 2,74 milliards de dollars, d’après les chiffres de l’Institut national des Statistiques (INS).

Analyse des chiffres, le cas algérien

«Il faut savoir que la dette publique se divise en deux parties: la première est interne, alors que la seconde est externe», souligne le Pr Toumi, précisant que «la dette externe de l’Algérie n’est pas importante, elle de l’ordre de 0,6% du PIB, soit environ 3,5 milliards de dollars, dont 600 à 800 millions de dollars sont détenus par l’État, alors que le reste revient aux opérateurs économiques privés».

«Il en résulte que la dette publique algérienne est essentiellement interne. Elle est cumulée grâce aux prêts fournis par la Banque d’Algérie à l’État via le Trésor public, pour financer l’activité économique dans les différents secteurs, notamment les programmes de développement contenus dans le projet du Président de la République», ajoute-t-il.

Dans le même sens, l’expert ponctue que «depuis la chute du prix du pétrole en 2014 qui a provoqué une fusion rapide des réserves de change du pays [qui sont passées d’environ 200 milliards de dollars en 2014 à 44 milliards fin 2020, ndlr], l’économie algérienne s’est retrouvée dans une situation d’asphyxie en 2017. Pour faire face à cette situation, le gouvernement a pris deux décisions: réduire l’enveloppe des investissements publics d’environ 50% et lancer le financement non conventionnel [planche à billets, ndlr] en ordonnant à la Banque d’Algérie de faire des avances au Trésor public, totalisant une création monétaire de 17,5 milliards de dollars [soit 50% de ce qui a été autorisé par la loi adoptée à cet effet, ndlr]».

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Dès son élection en décembre 2019, le Président Tebboune a ordonné l’arrêt du financement non conventionnel à cause des dangers qu’il comporte, à savoir le risque de provoquer une grave inflation dans le pays, la chute du pouvoir d’achat des Algériens et la hausse des prix des produits alimentaires de première nécessité, dans un contexte de baisse de 50% des investissements publics.

«Les économies marocaine et tunisienne sont plus solides»

«Dans les pays en voie de développement, quand la dette publique interne est très élevée, comme c’est le cas en Algérie, nous constatons souvent que les fonds empruntés sont dirigés vers la consommation et le financement des aides sociales, et non vers l’investissement et la production dans l’industrie, l’agroalimentaire, l’agriculture et les services», soutient le spécialiste.

«Dans ce cas, le niveau de 51,4% du PIB d’endettement interne en Algérie est un taux très élevé relativement à la norme qui le fixe à 30% au maximum. Il serait encore nettement mieux si ce taux était de 10% du PIB», poursuit-il. «Cet endettement a été cumulé uniquement dans le but d’acheter la paix sociale, en dehors de toute gestion rationnelle de l’économie.»

Ainsi, bien que le PIB algérien, qui est de «l’ordre de 170 milliards de dollars en moyenne par an», soit plus élevé que ceux du Maroc et de la Tunisie, plus un matelas de 44 milliards de dollars de réserves de change dont ne disposent pas ces derniers, et d’une consommation interne plus importante, les économies marocaine et tunisienne sont plus solides et plus résilientes que celle de l’Algérie», ponctue le Pr Toumi.

«L’endettement devient même une source d’enrichissement»

La dette publique marocaine, qui est de 77,4% du PIB, est répartie comme suit: 59,2% interne et 18,2% externe, selon la Banque mondiale. Celle de la Tunisie est de 87,2%: interne à hauteur de 32,1% et externe à 69,7%, selon la même source.

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Néanmoins, «en tenant compte que le Maroc exporte exclusivement des produits finis, notamment de haute technologie dans l’automobile – dont l’industrie à un taux d’intégration de près de 70%, ou l’aéronautique avec un taux d’intégration de 38% – en plus de l’agriculture, l’agroalimentaire et les services dont le tourisme, il en découle que le PIB du pays représente une économie basée sur la production et la productivité. Il arrive à s’autofinancer en grande partie par les revenus des exportations».

Et d’ajouter que «dans ce cas, l’endettement n’est non seulement pas un problème, mais il devient même une source d’enrichissement du pays, sans parler de la main-d’œuvre de haute qualification dans ces secteurs qui finiront, un jour ou l’autre, par développer leurs propres marques nationales [dans l’automobile et l’aéronautique, ndlr]». «Le même topo est observé en Tunisie, en dépit de tous les problèmes dont souffre ce pays», ponctue-t-il.

Ainsi, «entre le Maroc et la Tunisie d’un côté, qui ont respectivement exporté pour près de 30 milliards et 14 milliards de dollars en 2020 sans qu’il y ait une seule goutte de pétrole ou de millimètre cube gaz dans ces volumes, et l’Algérie qui a engrangé 20,2 milliards de dollars exclusivement en vendant ses hydrocarbures, il est clair de quel côté se trouvent les économies fortes, créatrices de richesses», avance le Pr Toumi.

Enfin, il rappelle que «la production algérienne et le PIB en général sont générés à 64% par la consommation des fonds issus de la fiscalité pétrolière, alors que même le budget de l’État est fixé à partir du prix du gaz et du pétrole». «Ce qui fait que la plus-value générée par l’économie algérienne dépend essentiellement des revenus de la fiscalité pétrolière. Elle exposée de facto à des chocs durs répétitifs à chaque fois que les prix des hydrocarbures chutent sur les marchés internationaux», conclut-il.
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