«On a un besoin vital de vaccins, on ne les a pas». Auprès de Sputnik, Gilbert Collard, eurodéputé Identité et Démocratie (ID) ne cache pas sa colère face à l’étonnante tournure que prennent les évènements entourant le Spoutnik V, le vaccin anti-Covid russe.
«Les Russes seraient en capacité de fournir des vaccins à 50 millions d’Européens à partir du mois de juin et on attend depuis le 3 mars que l’Agence européenne des médicaments se prononce. […] On fait passer la détestation de la Russie et de Vladimir Poutine avant l’intérêt sanitaire des Européens.»
«La France, complètement enfumée dans son idéologie anti-Poutine, traîne des pieds alors que l’on manque de vaccins!», regrette l’eurodéputé et avocat.
Face aux retards de l’UE, les États membres s’impatientent
Pourtant, depuis plusieurs semaines, la pression monte. Face à la pénurie de vaccins au sein de l’UE, alors même que la troisième vague touche de plein fouet le Vieux continent, des États membres se tournent vers des alternatives au système d’approvisionnement mis en place par la Commission européenne. La Hongrie a ainsi commandé le vaccin russe en janvier, la République tchèque en février. Certains en perdent même leur poste, comme le Premier ministre slovaque, preuve que, contrairement à ce qu’il affirmait, le vaccin connait bien la géopolitique… à l’inverse du virus. Et pourtant, la Slovaquie profite de son premier lot de vaccin russe Spoutnik V depuis le 1er mars.
Mais la donne pourrait radicalement changer. Angela Merkel annonce depuis plusieurs semaines que Berlin pourrait commander des doses de Spoutnik V, même sans l’aval de Bruxelles. En Autriche aussi, on s’impatiente: les services du chancelier, Sebastian Kurz, ont ainsi annoncé le 30 mars que le pays discutait avec la Russie l’achat d’un million de doses. Le gouvernement autrichien est sous le feu des critiques pour s’en être remis à l’achat commun de vaccins par Bruxelles, causant des retards dans la vaccination de sa population.
«Il ne doit pas y avoir d’œillères géopolitiques concernant les vaccins», a affirmé Sebastian Kurz dans un communiqué. «La seule chose qui doit compter est de savoir si le vaccin est efficace et sûr.»
Pour ses vaccins, la France joue uniquement la carte de l’UE
On se souvient notamment de ses déclarations, dans la foulée de la parution de l’étude de The Lancet, le chef d’État se retranchant derrière l’avis de l’EMA: la France commandera le vaccin russe si l’Union européenne donne son feu vert. Un mois plus tard, ce sera au tour de Bercy de répondre que la France n’a pas les capacités industrielles pour produire Spoutnik V, celles-ci étant «saturées par d’autres vaccins».
En effet, entre-temps les laboratoires de l’Hexagone ont mis leurs moyens de production au service de leurs concurrents dont les vaccins ont été homologués par l’UE pour une production redistribuée équitablement entre les pays de l’Union européenne. En somme, les laboratoires français ne travaillent pas spécialement pour les Français, mais pour tous les Européens.
Plus récemment, Emmanuel Macron a tombé le masque, révélant un second biais idéologique dans son approche de la gestion de la crise. Au-delà de son parti-pris pour une gestion européenne, le locataire de l’Élysée a vivement critiqué Spoutnik V pour ce qu’il est: russe. «Nous sommes face à une guerre mondiale d’un nouveau genre», déclarait-il à l’issue du Conseil européen du 25 mars, dénonçant les «velléités de déstabilisation russes et chinoises d’influence par le vaccin.» Le lendemain, son ministre des Affaires étrangères en rajoutait une couche, accusant le vaccin russe d’être ni plus ni moins qu’un «outil de propagande».
«On va encore commettre une faute, depuis le début on commet des fautes! La bêtise de Le Drian est effarante! Dire qu’un vaccin qui est commandé par de nombreux pays […] est un instrument politique et non pas sanitaire c’est de la bêtise, mais de la bêtise qui est dangereuse!», s’insurge Me Collard.
Concernant les retards pris par l’Europe dans l’homologation et la vaccination, le Commissaire au Marché intérieur a loué la montée en puissance de la production européenne. «Le 14 juillet, nous avons la possibilité d’atteindre l’immunité au niveau du continent», affirme-t-il, pour prendre une «date symbolique». Depuis, Thierry Breton s’est expliqué, qualifiant le sérum russe de «bon», mais soulignant que s’il était approuvé, il faudrait environ un an, selon lui, pour lancer sa fabrication et que cela ne résoudrait donc pas le «problème qui est le nôtre».
L’UE épinglée pour une mauvaise gestion… qui ne lui incombait pas
Comme le soulignent les médias qui prennent la défense de la stratégie de l’Union européenne, Bruxelles n’a pas totalement échoué, puisqu’elle aurait permis d’éviter la concurrence intraeuropéenne dans l’achat des vaccins.
Maigre consolation, voire raisonnement biaisé, dans la mesure où c’est notamment parce que les doses sont réparties par Bruxelles entre les 27 pays que seule une minorité de personnes ont pour l’heure pu être vaccinées à travers l’Union. En comparaison, des pays ayant fait cavalier seul tels qu’Israël, le Royaume-Uni ou même la Serbie et le Maroc (qui vient de fermer ses liaisons aériennes avec la France pour raisons sanitaires), ont pu largement vacciner leur population. Ce type de situation n’empêche pas ces pays de faire preuve de solidarité, comme en témoignent les Serbes qui maintenant vaccinent à tour de bras leurs voisins.
«Quelle que soit la décision que rendra l’Agence européenne des médicaments, les pays qui voudront acheter Spoutnik V l’achèteront. Les pays qui ne voudront pas l’acheter ne l’achèteront pas. Cela fera, une fois de plus, une division au sein de l’Union européenne», assène Gilbert Collard.
«L’Union européenne devrait être au banc des accusés. Elle s’arroge des pouvoirs qu’elle n’a pas, elle a géré l’épidémie d’une manière lamentable. Elle n’a même pas introduit dans les contrats des clauses de pénalité en cas de retard. 30% de la production de vaccins à l’intérieur de l’UE part à l’étranger. C’est une véritable débâcle!»
Bref, et si le vaccin russe, accusé de semer la «zizanie» au sein des Européens, n’était finalement que le cache-sexe idéal pour les manquements de l’Union européenne?