Remdesivir: comment le laboratoire Gilead a floué l’UE

© AFP 2024 OLIVIER HOSLETUrsula Von Der Leyen
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L’OMS vient d’écarter l’antiviral de Gilead de la liste des traitements du Covid-19. Une décision motivée par les résultats provisoires de l’étude internationale Solidarity. Des résultats, mauvais pour le remdesivir, dont avait connaissance le laboratoire américain avant de signer un juteux accord d’approvisionnement avec la Commission européenne.

Un gaspillage d’argent public de plus? L’OMS a publié le 20 novembre une recommandation conditionnelle contre l’administration de remdesivir aux malades du Covid-19, quel que soit le degré de sévérité de la maladie.

En cause, l’onéreux antiviral développé contre la fièvre hémorragique Ebola ne serait pas efficace contre le Covid, d’après les résultats préliminaires de l’essai Solidarity de l’OMS, couplés à ceux de trois autres essais randomisés. Soit des «données portant sur 7.000 patients étudiés», à travers quatre études,

«Les éléments de preuve ne laissent entrevoir aucun effet significatif sur la mortalité, le recours à la ventilation mécanique, l’accélération de l’amélioration de l’état clinique et d’autres résultats sanitaires importants du côté du patient», note l’OMS dans son communiqué.

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Le résultat n’a pas vraiment surpris la presse française. Il faut dire que les résultats préliminaires statuant sur une inefficacité du remdesivir ont été rendus publics le 15 octobre, après avoir été communiqués fin septembre aux différents laboratoires dont les traitements ont été éprouvés. Les mêmes résultats qui ont d’ailleurs discrédité l’hydroxychloroquine. Quant au service médical rendu par l’antiviral du laboratoire américain, celui-ci avait été jugé «faible» par la commission de la Transparence de la Haute autorité de santé (HAS) un mois plus tôt.

L’OMS ne ferme toutefois pas la porte à la poursuite des essais et au recrutement de nouveaux patients pour évaluer l’efficacité du remdesivir. Il faut dire que dans cette affaire, certains risquent fort de perdre la face, à commencer par la Commission européenne.

Les résultats préliminaires de l’étude Solidarity tombent particulièrement mal, au lendemain de la signature d’un contrat d’approvisionnement entre Gilead et l’organe exécutif de l’UE.

​Le 8 octobre, la Commission signait un Accord sur les marchés publics communs (JPA, joint Procurement Agreement) portant sur au moins 500.000 traitements de Veklury (l’appellation commerciale du remdesivir), pour la modique somme de 1,2 milliard de dollars, afin de couvrir la demande pour les six prochains mois. Celui-ci doit permettre aux 36 signataires (les 28 États membres, l’Islande et la Norvège, ainsi que six pays candidats ou candidats potentiels des Balkans) d’acheter directement auprès de Gilead les traitements suivant la «demande en temps réel et les besoins de stockage», mentionne le laboratoire dans son communiqué, précisant qu’il «commencera à traiter les commandes la semaine du 12 octobre.»

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Une somme rondelette dans la mesure où le laboratoire américain facture le traitement de six flacons à hauteur de 2.340 dollars aux systèmes de santé et 3.120 dollars aux assureurs privés. Mais par le passé, le fabricant avait déjà défrayé plusieurs fois la chronique pour le prix de ses traitements, notamment le Sovaldi contre l’hépatite C.

Fin juillet, à l’occasion d’une première commande passée de 33.380 traitements pour 63 millions d’euros, la nouvelle commissaire européenne à la Santé et à la Sécurité alimentaire, Stella Kyriakides, claironnait que l’Union européenne avait «travaillé sans relâche» avec le laboratoire américain afin de «garantir l’accès» au traitement pour les citoyens européens. Des traitements livrés aux Européens en trois tranches, entre les mois d’août et d’octobre et que doit donc poursuivre l’accord du 8 octobre.

Un bémol toutefois. Au moment de signer avec Bruxelles début octobre, Gilead savait que son traitement était considéré comme inefficace par l’OMS, qui lui avait communiqué les résultats de l’étude Solidarity, mais n’avait pas jugé bon d’en informer la Commission au cours de ses négociations. Cette dernière n’a seulement exigé que les résultats finaux lui soit transmis par le laboratoire d’ici décembre.

«La Commission n’a appris les performances médiocres du remdesivir dans Solidarity que le lendemain de la signature du contrat avec Gilead», relate le British Medical Journal.

Interrogé par la revue de santé américaine Science sur la raison de ne pas les avoir communiqués à Bruxelles lors des négociations avec la Commission, le laboratoire californien a rétorqué qu’il n’avait reçu qu’une «esquisse […] fortement expurgée». De son côté, l’OMS répondra à la revue scientifique n’avoir caviardé que les résultats des autres traitements testés.

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Reste à savoir dans quelle mesure les cosignataires peuvent dénoncer l’accord du 8 octobre et quelles quantités de Veklury ont déjà été livrées et payées. Si l’UE est dans l’attente des résultats définitifs de Solidarity pour se positionner clairement sur le remdesivir, se pourrait-il que les livraisons de Gilead se poursuivent dans le cadre de cet accord conjoint?

Il est important de noter que cet JPA, passé dans le cadre de l’Instrument d’aide d’urgence (ESI pour «Emergency Support Instrument»), permet aux États signataires –au nom de la «solidarité»– de passer commande sans régler la facture qui sera adressée directement à la Commission.

Pas sûr en tout cas que finalement, les États participant au programme se bousculent pour commander du remdesivir. Car ces résultats provisoires de l’étude Solidarity mettent à mal l’argumentaire du laboratoire américain. Jusqu’à présent, ce dernier arguait que son traitement permettait de réduire la durée d’hospitalisation des patients. En effet de précédentes études avaient déjà démontré l’inefficacité du traitement sur les patients les plus graves, nécessitant d’être oxygénés. En somme, si le remdesivir n’a pas plus de chances de vous sauver que du paracétamol, il pouvait éventuellement vous permettre d’écourter votre séjour l’hôpital. Un argument financièrement valable pour les patients d’un système de santé tel que celui des États-Unis, mais aujourd’hui battu en brèche par l’OMS: «la proportion de patients inclus dans l’essai et encore hospitalisés au bout de sept jours sous remdesivir était de… 69%, contre 59% pour le groupe contrôle», note l’Express.

Interrogé par l’hebdomadaire sur les résultats de Solidarity, et ceux d’ACTT-1 (Adaptive Covid-19 Treatment Trial) à laquelle participa le laboratoire, «dont l’un des auteurs est employé de Gilead» et dont huit autres ont «un lien d’intérêt avec l’entreprise», la réaction du laboratoire interpelle. Celui-ci estime en effet que les essais de l’OMS, qui regroupent pourtant près de cinq fois plus de patients ne pouvaient pas leur être opposés «puisqu’il n’avait pas récolté les mêmes données que celles de l’étude ACTT-1

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En somme, non content d’éluder les accusations de conflits d’intérêts dans l’élaboration de l’étude ACTT-1, Gilead annonce clairement la couleur quant au fait qu’il ne reconnaît que les résultats de cette dernière. Sponsorisée par le National Institute of Health (NIH), celle-ci fut écourtée, estimant les résultats du remdesivir probants et «non éthique» de continuer à soumettre au placebo les patients non traités à l’antiviral. Comme le rappelle l’hebdomadaire, nous étions alors aux balbutiements de la prise en charge des malades du Covid-19 et «peu de traitements alternatifs étaient disponibles», comme les corticoïdes, seul traitement ayant permis une réduction de la mortalité chez les patients Covid-19 ayant développé une forme grave de la maladie.

Que le remdesivir soit efficace ou non, une chose est sûre: la note pourrait s’avérer salée pour les Européens. Fin octobre, Gilead annonçait que les ventes du médicament lui avaient déjà rapporté près de 900 millions de dollars. Le 3 juillet, l’Agence européenne du médicament (EMA) fut la première, en dehors des États-Unis à l’approuver comme traitement contre le Covid-19, sur la base de la controversée étude ACTT-1.

Aujourd’hui, c’est à l’accord de cette même agence européenne que sont suspendus les contrats de précommande de vaccins passés par la Commission européenne. L’exécutif européen annonçait le 24 novembre en avoir signé un sixième, avec Moderna Pharmaceutics pour 160 millions de doses de son vaccin mRNA-1273 et qui selon le laboratoire américain serait efficace à 94,5%. En espérant que l’UE ne connaîtra pas les mêmes mésaventures qu’avec Gilead.

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