À la faveur d’une récente rencontre au Nigeria, le 19 janvier dernier, entre les chefs d’État béninois et nigérian, la frontière commune aux deux pays est de nouveau ouverte, pour la première fois depuis 18 mois. La fermeture avait été décidée unilatéralement par le Niger en août 2019. Elle concernait le Bénin et les autres pays frontaliers afin, officiellement, de lutter contre la contrebande et favoriser l’autosuffisance alimentaire.
Le ministre béninois de la Communication et de la Poste, porte-parole du gouvernement Alain Sourou Orounla faisait partie de la délégation du Président Patrice Talon.
Dans un entretien exclusif accordé à Sputnik, cet avocat de carrière, spécialisé en droit des affaires, affirme que le Bénin n’a rien à se reprocher dans la décision prise par le Président Buhary. Il assure que la fermeture de la frontière du Nigeria avec le Bénin, ajoutée aux conséquences économiques de la pandémie de coronavirus, n’a par ailleurs fait que renforcer la capacité de résilience du pays face aux crises.
Sputnik: La frontière entre le Bénin et le Nigeria, bien qu’officiellement rouverte, était restée fermée à la circulation des marchandises. Après la rencontre Talon-Buhary, tout est rentré dans l’ordre. Pourquoi le blocage a-t-il été maintenu et comment le Président Talon a-t-il convaincu son homologue de le lever?
Alain Orounla: «Le Nigeria, qui a unilatéralement fermé ses frontières pour des raisons sur lesquelles il n’est plus utile de revenir, a décidé de les rouvrir. Cette réouverture officielle n’avait jamais été démentie, quand bien même nous avons constaté qu’il n’y avait pas de flux de marchandises entre nos deux pays.
Sputnik: Le Nigeria a officiellement évoqué la lutte contre la contrebande pour justifier cette fermeture qui a duré près d’un an et demi. Le Bénin, par où transitent nombre de produits à destination du Nigeria, ne semblait pas particulièrement visé?
Alain Orounla: «Il y a eu des rumeurs et des spéculations dans ce sens. Mais je préfère m’en tenir aux faits et aux communications officielles. D’abord, vous allez constater que ce n’est pas uniquement la frontière avec le Bénin qui a été fermée, la décision concernait tous les pays limitrophes du Nigeria. Donc il n’y a pas eu, pour ainsi dire, de particularité béninoise. Si ce n’est que le Nigeria a invoqué, effectivement, le fait que des marchandises non autorisées par le mémorandum de Badagry [signé le 14 août 2003 par le Bénin et le Nigeria dans le cadre du renforcement de leur relation de coopération et interdisant l’accès de 29 produits au Nigeria, ndlr] continuaient à transiter par le Bénin pour atterrir sur son territoire. Mais à l’arrivée au pouvoir du Président Talon, en 2016, un point final a été mis sur ces marchandises non autorisées. C’est-à-dire que le chef de l’État, en application du protocole et des accords de Badagry, n’a plus permis que les produits surgelés transitent par le Bénin pour atterrir au Nigeria. Certes, notre pays n’a peut-être pas été suffisamment ferme sur les riz d’importation sollicités par les Nigérians, qu’ils viennent acheter au Bénin pour repartir ensuite chez eux. Mais le Bénin n’y est pour rien.»
Sputnik: Au-delà des raisons économiques, vous avez évoqué une fois «des forces qui résistent à la réouverture» des frontières…
Alain Orounla: «Il est vrai que l’on s’aperçoit, à la lumière de certains commentaires politiques, que cette fermeture des frontières n’a pas été motivée uniquement par les préjudices économiques que le Nigeria affirme subir. D’où cette réflexion que j’ai faite. Mais officiellement, le Bénin et le Nigeria sont en phase et il ne peut en être autrement puisque nous sommes tous membres de la Cedeao et favorables à la liberté de circulation des biens, des marchandises et des personnes.»
Sputnik: Beaucoup d’économistes ont affirmé que la fermeture du poste de Sèmè-Krakè a fait beaucoup de mal à l’économie béninoise et à la Cedeao, notamment à son projet de corridor Abidjan-Lagos
Alain Orounla: «La fermeture de cette frontière est une situation anormale. Non seulement au regard des accords qui nous lient, mais surtout au regard des relations de bon voisinage que nous avons toujours connues. Et un contexte de crise, une situation anormale, est préjudiciable pour toutes les parties. Donc ce n’est pas le Bénin qui s’en dira ravi. On peut toutefois relever que la fermeture des frontières a duré plus d’un an et demi sans pour autant que notre économie ne s’effondre. Cette décision a été doublée d’un contexte mondial de crise sanitaire qui n’a pas davantage affaibli notre développement.
Sputnik: S’agissant du Covid-19, alors qu’autour du Bénin, les frontières des autres pays limitrophes sont fermées pour éviter la propagation du virus, vous avez gardé les vôtres ouvertes. Pourquoi?
Alain Orounla: «Tout le monde a fermé les frontières autour de nous, c’est leur droit. Nous ne les avons pas suivis. Notre gouvernement a gardé la tête froide, en restant ouvert d’esprit. Nous ne voulons pas, non plus, jeter de l’opprobre sur les pays qui ont fermé leurs frontières. Même si nous pensons qu’ils l’ont fait par excès de précautions.»
Sputnik: À propos du Covid 19, est-ce que le gouvernement va procéder à une campagne de vaccination, à l’instar de ce qui s’observe ailleurs?
Alain Orounla: «Nous sommes attentifs à ce qu’il se passe dans le monde entier, mais nous sommes très circonspects et prudents –en tout cas par rapport à ces innovations que nous ne maîtrisons pas. Donc la réflexion est en cours. Et je peux vous assurer que nous observons les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) mais avec ce principe de précaution qui est le nôtre et qui nous oblige à regarder de plus près ce qui est proposé aujourd’hui sur le marché.»