Au Canada, les Affaires étrangères sont-elles devenues un «ministère de portes à tambour», où les ministres ne font que passer? C’est du moins l’avis de Jocelyn Coulon, ex-conseiller du ministre des Affaires étrangères Stéphane Dion en 2016-2017. Chercheur au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal, il déplore un manque important de continuité:
«Sous le dernier règne des Conservateurs (2006-2015), il y a eu six ministres des Affaires étrangères en dix ans. Les Libéraux en sont déjà rendus à leur quatrième en cinq ans. Si la tendance se maintient, ils vont battre un record. Cette instabilité, que l’on ne voit pas dans d’autres ministères comme les Finances, dénote le peu d’intérêt que le Bureau du Premier ministre porte aux Affaires étrangères», souligne-t-il en entrevue.
Le 12 janvier dernier, Justin Trudeau a procédé à un remaniement ministériel mineur pour pallier le prochain départ de Navdeep Bains, député et ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie.
«Que ce soit ici sur Terre ou dans l’espace, Marc a toujours su représenter le Canada», a déclaré Trudeau en évoquant l’arrivée de M. Garneau aux Affaires étrangères, un ex-astronaute et un ténor de la politique fédérale.
Auteur d’Un Selfie avec Justin Trudeau (Éd. Québec Amérique, 2018), ouvrage portant sur la politique étrangère du gouvernement Trudeau, Jocelyn Coulon déplore toujours le «désengagement du Canada sur la scène internationale». Un désengagement également critiqué par des ex-ambassadeurs canadiens tels que Gilles Breton, pour qui le Canada devrait entre autres cesser de «bouder» la Russie et renouer le dialogue avec elle.
Le pouvoir concentré autour du Bureau du Premier ministre
Pour Jocelyn Coulon, il est clair que les Affaires étrangères ne sont plus un «ministère de réflexion», mais un «ministère d’exécution», ce qui expliquerait en partie cette instabilité qu’il dénonce.
«Dans les trente dernières années, le pouvoir s’est concentré autour du Bureau du Premier ministre. Ce n’est pas propre aux Affaires étrangères, mais elles en subissent les conséquences. Le Bureau du Premier ministre élabore ses politiques et les impose entre autres aux Affaires étrangères. […] C’est une grande dérive que des experts de l’administration publique ont bien documentée», précise l’ex-journaliste.
Autre facteur clé: l’actuel Vice-Premier ministre, ministre des Finances et ex-ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, pèserait très lourd dans l’élaboration de la politique étrangère canadienne.
«Ce n’est pas Justin Trudeau qui dirige, c’est Mme Freeland»
Le fait que Mme Freeland ait été chargée de «surveiller les relations canado-américaines», en décembre 2019, dans la lettre de mandat qui lui est adressée par Trudeau, illustre son pouvoir grandissant.
«Mme Freeland a tellement de responsabilités au gouvernement qu’on se demande ce que les autres ministres ont à faire […] Chrystia Freeland n’est jamais loin des Affaires étrangères, et ça, François-Philippe Champagne l’a subi, et Garneau le subira aussi, à moins qu’il ait établi ses conditions. Il est fort probable que Marc Garneau sera sous sa tutelle. […] Ce n’est pas Justin Trudeau qui dirige. C’est Mme Freeland qui dirige en fait ce pays», laisse tomber l’expert.
Concernant l’arrivée de Marc Garneau aux Affaires étrangères, Jocelyn Coulon se réjouit de voir nommé à ce poste un politicien d’expérience, mais reste très sceptique quant au rôle qu’il pourra jouer dans ce contexte.
«Le Canada a besoin d’une grande réflexion sur la politique étrangère. Marc Garneau a bien des qualités, mais je ne suis pas certain qu’il soit le candidat le plus enclin à mener cette réflexion», conclut le chercheur.