Le français est-il encore la langue de la diplomatie? Du moins, certainement pas aux yeux du milieu diplomatique canadien, à en croire les résultats d’une enquête publiée par le journal québécois Le Devoir, le 14 décembre dernier.
«L’ère des influents diplomates francophones au sein du réseau diplomatique canadien est révolue. Presque uniquement composée d’anglophones, la haute direction d’Affaires mondiales Canada [le ministère des Affaires étrangères, ndlr] ne fait accéder que d’autres anglophones aux postes stratégiques», peut-on lire dans l’article.
Avocat auprès de l’Onu, André Sirois partage la plupart des conclusions de l’enquête. Dans une lettre publiée dans le même quotidien au lendemain de ses révélations, il écrit que «la liste des expériences de discrimination par les autorités diplomatiques canadiennes est interminable.» André Sirois a travaillé plus de 40 ans pour les Nations unies, ayant notamment pris part à la mise en place du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR).
Culture du silence et sous-représentation des francophones
Invité par Sputnik à développer davantage son point de vue, il dénonce ce qu’il voit comme un problème flagrant, mais qui demeure tabou pour des raisons historiques et de secret professionnel.
«Il y a une tradition d’hostilité contre les francophones au gouvernement fédéral et en particulier aux Affaires étrangères. Rien n’a jamais vraiment été fait pour corriger la situation. […] Les gens qui sont renseignés à ce sujet sont assez rares: il faut presque faire partie du corps diplomatique pour être au courant et, par définition, ceux qui en font partie n’en parlent pas. C’est scandaleux de s’imaginer que les francophones sont bien représentés», souligne André Sirois.
Suite aux révélations du Devoir, les partis d’opposition à la Chambre des communes ont unanimement dénoncé ce déséquilibre.
«Affaires mondiales Canada a littéralement abandonné le français. Le Canada est un pays qui promeut le bilinguisme, mais qui s’affiche en anglais à l’international, et ce, même si le français est parlé sur les cinq continents de la planète et qu’il constitue l’une des deux langues de travail de l’Onu», a lancé Stéphane Bergeron à Ottawa, le porte-parole du Bloc québécois en matière d’Affaires étrangères.
«C’est peut-être un cas où on peut utiliser le mot “racisme”. […] Certains Canadiens anglais ne se gênent pas, dans certaines assemblées, pour dire des choses carrément bêtes et grossières et dans certains cas, parfaitement scandaleuses sur les francophones. Il est d’ailleurs dommage de constater que peu de gens savent qu’autant de Canadiens français ont contribué à mettre sur pied et faire fonctionner les Nations unies», déplore-t-il.
Selon les chiffres rendus publics par Affaires mondiales Canada, 42% de tout son personnel est francophone, mais ce taux n’est que de 18% chez les cadres supérieurs, ce qui constitue un problème selon les défenseurs du français.
Des Français et des Belges plutôt que des Canadiens francophones?
Le milieu diplomatique préfère même employer des Français et des Belges plutôt que des Canadiens francophones, observe André Sirois, pour qui il s’agit d’une manière de «rabaisser» ces derniers. L’avocat considère que cette préférence pour les francophones étrangers fait même intégralement partie de la tradition diplomatique du Canada:
«C’est un élément fondamental: au Canada anglais, on aime bien les “vrais” Français et les Belges, du moins avec certaines réserves. C’est une autre façon d’exclure les Canadiens francophones du milieu diplomatique en les remplaçant par des immigrants. On peut le voir dans des ambassades du Canada à l’étranger et à l’ambassade du Canada auprès de l’Onu et au consulat canadien à New York», précise notre interlocuteur.
Le phénomène décrié par l’avocat serait-il un lointain héritage de la Conquête britannique du Canada de 1759? Dans tous les cas, l’avocat auprès de l’Onu assure que le phénomène ne s’est pas estompé avec les années:
«Beaucoup de Canadiens anglais méprisent et détestent les Québécois. […] Certains anglophones aimeraient peut-être défendre leurs collègues francophones, mais le fait est que ça ne leur rapporterait rien et mettrait leur tranquillité en danger… […] Je suis prêt à parier que la situation est encore pire maintenant», conclut André Sirois.