«Bonjour/Hi», c’est ainsi que de plus en plus de commerçants accueillent leurs clients à Montréal. Alors qu’il est toujours plus concurrencé par l’anglais, le français revient régulièrement au centre du débat au Québec, où il est la seule langue officielle.
Le 13 novembre dernier, Emmanuella Lambropoulos, députée libérale fédérale, a soulevé l’indignation d’une grande partie de la classe politique et de chroniqueurs en mettant en doute le déclin du français dans la Belle Province. Après avoir vu ses propos condamnés par des membres de son propre parti et de partis d’opposition, la députée de la formation du Premier ministre Trudeau a été forcée de démissionner du comité sur les langues officielles.
«Je ne veux pas appeler ça un mythe, je vais donner le bénéfice du doute, mais on entend que la langue française est en déclin au Québec. J’ai besoin de le voir pour le croire», avait-elle déclaré dans le cadre d’une réunion virtuelle du Comité permanent des langues officielles.
Un doute impardonnable dans une fédération censée valoriser les deux langues?
Le poids des francophones en constante diminution
Dans tous les cas, dans un récent ouvrage qui connaît un succès de librairie, le chercheur indépendant Frédéric Lacroix souligne que le poids des francophones au Québec n’était jamais descendu sous les 80% depuis 1871, alors qu’il se retrouve à 78% aujourd’hui. Dans seize ans, les francophones devraient former 69% de la population selon les projections de l’auteur, qui explique en entrevue avec Sputnik que «le système d’éducation est l’une des principales sources d’anglicisation» au Québec. Intitulé Pourquoi la Loi 101 est un échec (Éd. du Boréal), le livre expose les lacunes de la Charte de la langue française, cette loi provinciale toujours considérée comme la principale garante de la survie du français.
«Dans cet ouvrage, j’ai surtout voulu pointer la responsabilité du gouvernement du Québec dans le recul du français. C’est quelque chose dont on ne parlait à peu près jamais. C’est une sorte de sujet tabou, alors on se contentait d’accuser le gouvernement fédéral. Mais le fait est que le Québec finance lui-même son réseau d’éducation anglophone dans des proportions faramineuses, et ce, au détriment de la valorisation du français», observe le chercheur à notre micro.
Si le réseau d’éducation anglophone est excessivement soutenu financièrement par l’État québécois, le réseau de la santé anglophone l’est tout autant, estime Frédéric Lacroix, pour qui cette «formule de financement» mène au déclassement des institutions francophones et par le fait même, à leur perte de prestige social. Les francophones se trouveraient donc à investir de plus en plus les institutions anglophones pour gravir les échelons de la société.
«Comment pouvons-nous être stupides au point de financer notre propre disparition linguistique?», s’interroge l’auteur, avant d’ajouter que «la responsabilité du Québec dans le déclin du français est peut-être aussi grande sinon plus que celle d’Ottawa».
Co-instigatrice d’une pétition en faveur de la protection du français à Montréal, Sabrina Mercier-Ullhorn considère aussi que l’avancée de l’anglais engendre une certaine iniquité entre les anglophones et les francophones:
«Depuis mon arrivée à Montréal il y a dix ans, j’ai vu le français reculer en temps réel. Pour cette raison, j’ai eu envie de lancer un débat sur la responsabilité de la Ville. […] Valérie Plante et les maires précédents de Montréal n’ont rien fait pour le français. […] Sa protection devrait être aussi un enjeu de justice sociale, surtout considérant que les immigrants francophones ont des taux de chômage plus élevés que les immigrants anglophones», souligne Sabrina Mercier-Ullhorn.
Intitulée «Accent Montréal», la pétition propose la création d’un Conseil montréalais de la langue française, dont la mission serait évidemment de promouvoir le français, mais aussi d’étudier des questions telles que «l’exode des francophones» vers d’autres régions.
La protection du français, un «enjeu de justice sociale»
La pétition ayant recueilli jusqu’à présent presque 17.000 signatures, Sabrina Mercier-Ullhorn se dit satisfaite de l’engouement suscité:
«La pétition a fait beaucoup parler dans les médias et même à l’Assemblée nationale par la voix de formations comme Québec solidaire et le Parti québécois. Mes collègues et moi constatons une bonne réception […] L’important est surtout de se battre pour que ce en quoi nous croyons continue de vivre. Si on s’écrase, le déclin va advenir plus rapidement et arriver par défaut. […] Tant que je serai vivante, je vais me battre pour la langue française», insiste-t-elle.
S’il décrit une situation alarmante, Frédéric Lacroix demeure pourtant optimiste pour l’avenir. Il se réjouit de voir le français recommencer à faire couler beaucoup d’encre. En revanche, il estime qu’il faudra «casser des œufs» pour redresser la barre: «Pour protéger le français, il va falloir déplaire à des intérêts puissants. […] Le Premier ministre québécois, François Legault, ne s’intéresse pas vraiment à la question, mais on sent qu’il y a un intérêt pour elle dans son parti [la Coalition Avenir Québec, ndlr], au point où ça pourrait mener à l’éclatement de la coalition.»
«Malgré tout, je suis très encouragé par ce qui se produit actuellement. Je n’ai jamais vu le vent être aussi favorable au français», conclut le chercheur.