En juillet 2020, Laurent Joffrin, figure de la gauche et patron du quotidien Libération, annonçait suspendre ses activités d’éditorialiste pour s’investir en politique. Il lance aujourd’hui Le Temps des possibles, une plateforme présentant ses idées, et convoque les différentes gauches le mois prochain.
Sputnik: Votre mouvement se veut réformiste. Que manque-t-il donc à la gauche actuelle pour qu’elle ait besoin de se repenser?
Laurent Joffrin: «Il lui manque l’instinct de renouvellement. La social-démocratie dont on dit tant de mal peut encore produire des propositions. L’idée s’est installée que la gauche réformiste n’avait plus vraiment d’idée ni de projet parce que, au fond, le programme social-démocrate qui a traversé le XXe siècle serait dépassé. Beaucoup de choses avaient déjà été accomplies, disait-on: l’État providence, l’accession à la démocratie, la volonté de construire l’Europe… Le libéralisme, d’un côté, et le souverainisme ou le nationalisme, de l’autre, étaient les grandes idéologies qui dominaient. Or il s’agit là à mon avis d’une erreur historique. Aujourd’hui, avec le choc mondial de la pandémie, quels sont les outils à notre disposition pour réduire les inégalités sociales? C’est un problème que tout le monde voit et que tout le monde comprend. Mais il faut une intervention publique et un effort collectif de coopération, de solidarité. Tout cela en répondant aux défis d’aujourd’hui. C’est ce que nous avons essayé de faire dès le départ avec notre mouvement Engageons-nous.»
Sputnik: Sur votre plateforme Internet Le Temps des possibles, vous publiez une centaine de propositions. Notamment pour une «Cinquième République des citoyens» ou encore «une relance verte». Quel est l’axe majeur de votre projet politique?
Laurent Joffrin: «Nous disons qu’il faut rendre la Cinquième République aux citoyens, à la différence de ceux qui prônent une Sixième République. Selon nous, l’élection du Président de la République au suffrage universel est un acquis. De manière générale, l’opinion y tient. Il faut garder cette capacité à désigner le dirigeant suprême. Il faut garder aussi la notion de souveraineté.
Sputnik: Avec l’apparition de plusieurs candidatures dissidentes à gauche, notamment celles d’Anne Hidalgo et d’Arnaud Montebourg récemment, ne craignez-vous pas un éclatement de l’électorat social-démocrate qui profiterait à Emmanuel Macron et Marine le Pen?
Laurent Joffrin: «Si, bien-sûr, je crains beaucoup cette dispersion de la gauche. Avant de savoir qui pour incarner, il faut savoir quoi. Quel est notre projet ? Notre hypothèse favorable, c’est de montrer que, lors des discussions que nous avons, il n’y a pas de gauche irréconciliable et que sur l’essentiel nous pouvons être d’accord.
«Trouver quelqu'un qui incarne ce projet»
À partir de là, pourquoi y aurait-il une multiplicité de candidatures? Quel que soit la méthode, il faut trouver quelqu’un qui incarne ce projet et non douze personnes. Soit certains s’effacent d’eux-mêmes –ce qui peut arriver–, soit ce sont les électeurs qui en décident. Via une primaire par exemple, même si la dernière a abouti à la défaite de la gauche, ou bien en laissant les électeurs se concentrer sur ce qu’ils considèrent comme le meilleur profil.»
Sputnik: Vous organisez un « zoom des gauches » le 7 février prochain qui doit réunir les gauches de tous bords (chevènementistes, proches de François Hollande, d’Anne Hidalgo, déçus de la macronie). L’objectif est-il de les fédérer autour d’un programme commun?
Laurent Joffrin: «Nous ne ne réunissons pas réellement les gauches de tous horizons, seulement la gauche réformiste. Nous ne croyons pas à la démarche consistant à aller voir Mélenchon ou les Verts pour les rallier à notre projet. Ils ont décidé d’y aller de leur côté. Ils changeront peut-être d’avis, mais j’en doute.
Sputnik: C’est votre définition de la social-démocratie? Qui pour l’incarner puisque vous avez affirmé de ne pas vouloir vous présenter vous-même?
Laurent Joffrin: «Oui, la social-démocratie, c’est le sens de la justice et l’idée que l’on ne change pas la société de manière autoritaire et brusque. Ce qui compte, c’est le changement. C’est que l’on progresse vers la justice et non pas que l’on y saute d’un coup. Pour porter cet idéal, il devrait y avoir un candidat pour l’automne. Je continuerai de mon côté à m’occuper de l’association (car ce n’est pas encore un parti). Nous verrons qui est le meilleur candidat et nous nous rallierons à lui ou elle si sa candidature s’inscrit dans l’espace politique social-démocrate.»