Christiane Taubira songe-t-elle sérieusement à se présenter à l’élection présidentielle de 2022? Une pétition en ligne circule depuis début décembre afin d’inciter l’ancienne garde des Sceaux à sortir du bois pour défendre les couleurs de la gauche. Selon Le Figaro de ce mercredi 6 janvier, Christiane Taubira elle-même aurait donné son accord aux deux militants, restés anonymes, à l’initiative de ce projet.
Toujours selon Le Figaro, une soixantaine de comités de soutien locaux ont été créés partout en France pour relayer la pétition, et Christiane Taubira elle-même serait mise dans la boucle dans chaque prise de décision.
«Elle incarne parfaitement cette néo-gauche bourgeoise»
Retirée officiellement de la vie politique depuis sa démission du ministère de la Justice en janvier 2016, Christiane Taubira reste toutefois populaire à gauche. Selon un sondage de l’IFOP pour le Journal du dimanche paru le 30 novembre dernier, l’ancienne ministre, à l’origine de la loi sur le «Mariage pour tous», est ainsi plébiscitée par 53% des sympathisants de la gauche pour qui elle «ferait une bonne candidate» en 2022. Elle devance notamment Anne Hidalgo (52%), Jean-Luc Mélenchon (51%) ou encore l’eurodéputé EELV Yannick Jadot (45%). Un chiffre qui se réduit toutefois à 28% sur l’ensemble des Français.
📊🇫🇷 Quel candidat ou candidate pour la #Gauche à l'élection #presidentielle2022 ?
— Ifop Opinion (@IfopOpinion) November 30, 2020
Selon les sympathisants de gauche ... en %@ChTaubira 53%@Anne_Hidalgo 52%@JLMelenchon 51%@benoithamon 50%
Sondage @IfopOpinion pour @leJDD, novembre 2020 pic.twitter.com/tli8agogi0
Comment expliquer une telle popularité à gauche? Pour Sacha Mokritzky, ancien conseiller national du Parti de gauche et rédacteur en chef du média Reconstruire, l’ex-ministre s’attire encore la faveur de cet électorat car elle «incarne parfaitement cette néo-gauche bourgeoise qui justifie la libéralisation de sa politique par quelques pointes d’avancées progressistes».
«Antiraciste, féministe, militante des droits LGBT, elle incarne des combats qui, malgré leur importance, contentent tout à fait les dirigeants capitalistes car ils ne touchent pas au cœur de leur système mortifère. Christiane Taubira ne met pas en danger le capitalisme et elle a évidemment toutes les qualités pour toucher et conquérir les électeurs de cette gauche morale», décrypte Sacha Mokritzky, interrogé par Sputnik.
Certaines voix s’élèvent toutefois pour enjoindre l’ex-garde des Sceaux à porter la gauche en 2022. C’est le cas par exemple de l’ancien ministre de l’Éducation nationale Benoît Hamon. Dans Ouest-France fin novembre, le candidat du PS en 2017 apportait officiellement son soutien à son ancienne collègue au gouvernement. «On a besoin d’elle. J’espère qu’elle dira oui. Elle a une autorité indéniable. Elle incarne la République et la solidité des principes républicains. Elle est l’une des seules à pouvoir réunir toutes les composantes de la gauche.»
Citée par Le Figaro, l’ancienne ministre de la Culture de François Hollande, Aurélie Filippetti, ne tarit pas non plus d’éloges pour qualifier Christiane Taubira. «C’est une personne extraordinaire avec de grandes valeurs. Elle fait partie de ces quelques personnalités à gauche capables de proposer des idées, de reprendre le drapeau.»
«Le libéralisme Hollandais verni de quelques avancées progressistes»
Une opinion qui n’est toutefois pas partagée par tout le monde à gauche. S’il lui reconnaît «un lyrisme certain, des positions humanistes sur nombre de sujets sociétaux et une aptitude à émouvoir par le verbe», Sacha Mokritzky doute de la capacité de Christiane Taubira à «renverser le paradigme».
«J’ai tendance à croire que sa candidature ne pourra pas porter au-delà du troisième arrondissement de Paris et je n’ai pas l’impression qu’elle ait en elle le germe d’une majorité populaire. Christiane Taubira à l’Élysée, c’est le libéralisme Hollandais verni de quelques avancées progressistes, rien de plus», tance l’ancien conseiller national du Parti de Gauche.
Reste que l’embouteillage de candidatures qui s’annonce à gauche risque de poser problème… Pour le moment, seul Jean-Luc Mélenchon s’est officiellement déclaré pour briguer l’Élysée. Mais les choses ne devraient pas en rester là: le Parti socialiste et Europe Écologie-Les Verts n’arrivent toujours pas à se mettre d’accord pour proposer un candidat commun, et le Parti communiste français (PCF) a bien l’intention d’être représenté en 2022. Sans compter une très probable candidature d’Arnaud Montebourg, d’ailleurs avancée comme «actée» et «imminente» par Le Figaro ce mercredi 6 janvier.
«Une gauche devenue marginale»
De là à imaginer que le scénario catastrophe de 2002 se reproduise pour la gauche? Au premier tour de l’élection présidentielle, Christiane Taubira avait récolté 2,32% des voix, privant le candidat du Parti socialiste, Lionel Jospin, d’un second tour face à Jacques Chirac.
«Si Christiane Taubira est candidate à la présidentielle, la seule gauche qui se fracturera de son fait est cette gauche incapable de saisir les nouveaux enjeux et de dépasser son logiciel. C’est une gauche devenue marginale qui se raccroche à un radeau perdu», assène Sacha Mokritzky.
Souvent accusée d’avoir été malgré elle le «fossoyeur» de la gauche, l’ancienne garde des Sceaux s’en est défendue récemment. Dans un entretien à la revue Zadig le 3 décembre dernier, celle-ci refusait de porter seule la responsabilité de cet échec qui avait ouvert la porte du second tour à Jean-Marie Le Pen et au Front national pour la première fois de l’histoire politique française. Et traumatisé le camp progressiste. «Tout de même, comme candidats à gauche, il y avait en plus de Jospin, Jean-Pierre Chevènement, Noël Mamère, Robert Hue et moi. Et je serais la seule à avoir posé problème, la seule coupable, la seule responsable de la défaite de la gauche? Peut-être la seule femme et peut-être pas de la bonne couleur... En tout cas la seule à ne pas avoir cogné sur le PS.»
De son côté, Sacha Mokritzky, très critique sur l’état actuel de la gauche française, se fait peu d’illusions sur le sort d’une éventuelle candidature de Christiane Taubira.
«Si elle ne comprend pas qu’il s’agit plutôt d’incarner un arc républicain qui permette de reconstruire le pays et sa politique sur des bases solides, elle ne pourra être au mieux que la figure de proue d’un camp à la dérive», conclut-il.