Natalité: l’Europe face à un inquiétant déclin démographique ?

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La natalité chute en Europe et atteint des taux historiquement bas, comme en Italie. Inversement, les migrations augmentent et, tandis que les Européens s’expatrient, près de 20% des naissances intra-européennes sont issues de l’immigration. Des mutations démographiques irréversibles? Le point avec Gilles Pison, démographe et chercheur à l’INED.

Jeudi 10 décembre, sur le plateau de David Pujadas, la journaliste Abnousse Shalmani soulignait un fait passé relativement inaperçu cette année: l’Italie perdrait 100.000 habitants chaque année depuis cinq ans[VV1] . Un demi-million de personnes en une demi-décennie donc, selon l’Institut national des statistiques (ISTAT).

La faute à un «nouveau record négatif de naissances» pour la septième année consécutive, mais aussi à une baisse des arrivées et surtout au vieillissement de

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la population. Un mal qui guette aux quatre coins du Vieux continent? Bien sûr, l’Europe est loin des «sept à huit millions de naissances annuelles des années 60», explique Gilles Pison, chercheur à l’Institut national des études démographiques (INED), professeur au Muséum national d’histoire naturelle et rédacteur en chef de la revue Population et Sociétés. Pourtant, celui-ci réfute l’idée d’un déclinisme européen.

«Pour ce qui est de l’UE à 28, le chiffre des naissances se situe à un peu plus de cinq millions par an, ceci de façon relativement constante depuis deux décennies. On n’assiste donc pas à un effondrement des naissances. Effectivement, si l’on regarde 50 ans en arrière, le chiffre était nettement plus élevé, mais depuis 20 ans, il ne baisse plus et les projections annoncent qu’il pourrait se maintenir», développe Gilles Pison au micro de Sputnik.

Si les chiffres au niveau européen donnent raison au démographe et montrent qu’il n’y a pas eu d’effondrement progressif, une tendance exponentielle à la baisse se manifeste toutefois depuis quatre ans.

Le taux de natalité indique le pourcentage de naissances sur l’ensemble de la population. Le taux de fécondité, lui, indique le nombre moyen d’enfants par femme en âge de procréer.
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Le taux de natalité indique le pourcentage de naissances sur l’ensemble de la population. Le taux de fécondité, lui, indique le nombre moyen d’enfants par femme en âge de procréer.

Cette chute de la natalité serait, qui plus est, aggravée par un vieillissement de la population et une hausse des décès dans cette Europe, bonne dernière au classement mondial de la fécondité publié par les Nations unies (1,60 enfant par femme en moyenne, comme en Asie de l’Est, contre 4,72 en Afrique). Des données à l’échelle d’un continent qui masquent des situations contrastées d’un pays à l’autre.

Hiver démographique pour le vieux continent?

Ainsi, bien que la France s’en sorte légèrement mieux que ses voisins (1,87), ceci ne l’empêche guère de voir, elle aussi, son taux de fécondité se situer nettement en dessous du seuil de renouvellement des générations (à 2,2). En effet, en 2019, le pays enregistrait 6.000 naissances en moins sur un an, contre 2.000 décès supplémentaires. Ainsi le solde naturel, c’est-à-dire la différence entre les nombres de naissances et de décès, atteint-il son niveau le plus bas depuis la Seconde Guerre mondiale.

Evolution du taux de natalité dans l'UE
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Evolution du taux de natalité dans l'UE

Des statistiques qui donnent le vertige, mais qui seraient en réalité «des variations très modestes par rapport aux 700.000 naissances par an en France», relativise Gilles Pison. La diminution du solde naturel ne serait d’ailleurs que passagère et imputable à un fait précis:

«Le nombre de décès augmente et cela va sans doute continuer pendant encore plusieurs décennies en raison de l’arrivée des générations nombreuses du baby-boom aux âges élevés où l’on meurt. Cette hausse des décès aura lieu même si l’espérance de vie continue d’augmenter», estime l’auteur de l’«Atlas de la population mondiale» (Éd. Autrement).

Une fois les dernières crises derrière nous, il y a donc fort à parier qu’un nouvel «effet Baby-Boom» s’opère, ajoute-t-il. Mais pas pour tout de suite. Les chiffres des naissances pour 2021 ne sont pas encore connus, mais neuf mois après le confinement, le baby-boom espéré du fait du confinement se fait toujours attendre.

Natalité en Europe: la fracture Nord-Sud

Une étude publiée récemment sur le site Démographic Research établit ainsi que plus de 50% des Français qui formulaient un projet de naissance pour 2020 l’ont repoussé, voire abandonné. C’est également le cas des Anglais et des Allemands, tandis que les Espagnols se rapprochent de tels chiffres et que les Italiens frôlent les 40%. Des prévisions qui ne sont pour l’heure qu’hypothétiques, mais qui ne surprennent guère le démographe Gilles Pison: après tout, les crises ne manquent jamais d’influer négativement sur les naissances, «comme souvent observé lors des crises économiques passées.»

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Évidemment, une courbe européenne unique est réductrice. Elle ne rend d’abord pas compte du contraste entre l’Europe du Nord (à laquelle il faut rajouter la France), où la fécondité est relativement élevée, et celle du Sud (Italie, Espagne) où elle est plus basse. Un écart qui s’expliquerait principalement, selon le professeur Pison, par des inégalités hommes-femmes moindres dans les pays du Nord, avec par exemple un meilleur partage des tâches domestiques et des taux d’activités des femmes élevés et proches de ceux des hommes, les politiques familiales de ces pays visant à permettre de concilier travail et famille.

Par ailleurs, les flux migratoires ne sont pas les mêmes dans ces deux zones. Pèsent-ils dans la balance Nord-Sud? Suffisent-ils à expliquer le record de fécondité en Europe détenu par la France? Une hypothèse que réfute par Gilles Pison, qui prend soin de distinguer, pour ce faire, les mères nées sur le territoire de celles ayant immigré.

«L’indicateur conjoncturel de fécondité des immigrées est plus élevé que celui des natives (2,6 enfants contre 1,8 en 2017), mais comme ce surcroît ne concerne qu’une minorité au sein de la population, il relève seulement de 0,1 enfant le taux de fécondité national, qui passe ainsi de 1,8 à 1,9 enfant par femme en 2017. Si la France est au premier rang des taux de fécondité en Europe, cela ne vient pas tant de l’immigration que d’une fécondité élevée des natives», défend le chercheur.

Aussi précise-t-il que les immigrées contribuent, dans la moitié des autres pays européens, comme en France, à augmenter le taux de fécondité. À titre d’exemple, le taux de fécondité est de 3,5 enfants par femme pour les immigrés originaires du Maghreb, soulignent les experts. «Mais dans un pays sur quatre, notamment dans ceux anciennement communistes d’Europe du Centre ou de l’Est, elles sont trop peu nombreuses pour pouvoir modifier le taux du pays.» Et l’on trouve même quelques pays, «comme l’Islande ou le Danemark», où les immigrées réduisent le taux de fécondité national, «leur fécondité étant plus faible que celle des natives.»

Des chiffres influencés par l’immigration?

En revanche si l’immigration ne suffit pas à expliquer «les contrastes de fécondité en Europe», son impact sur le renouvellement de la population est ne saurait être négligé. Rien qu’en France, les immigrées contribuent aux naissances «dans une proportion de 19%» concède Gilles Pison.

L’immigration a donc un effet certain dans le maintien approximatif des naissances. Or celui-ci n’est qu’apparent, puisque le nombre de naissances est l’arbre qui cache la forêt, celle du vieillissement d’une génération de baby-boomers, compensé en partie par les nouvelles arrivées d’étrangers, mais aussi par les «natives», filles d’immigrées.

Ces dernières qui, nées sur le territoire, «ne sont donc pas incluses dans les immigrées», participent tout de même au gonflement des chiffres de naissances. À ce titre, l’essayiste Jean-Paul Gourévitch rappelle dans son livre Les véritables enjeux des migrations (Éd. du Rocher), qu’aucune statistique précise ne permet d’isoler le taux de natalité de la deuxième génération d’immigrés, les études portant «sur l’origine des parents de nouveau-nés» étant interdites.

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La participation exacte des migrations dans le maintien du volume de population en Europe est ainsi impossible à déterminer, et seules demeurent les données générales.

Cependant, si l’on se réfère aux chiffres de l’INSEE, le nombre de descendants directs d’immigrés aurait augmenté de 24% et celui des immigrés de 21% en 10 ans (2008-2018). Et, au total, rien qu’en France, 21% de la population serait d’origine étrangère sur deux générations, selon la démographie Michèle Tribalat. Il y a donc matière à penser que les enfants de ces secondes générations constituent un vivier suffisamment fort pour compenser au moins en partie la faible natalité des Européens séculaires. Sans ces apports, où en serait, démographiquement parlant, cette antique population européenne?

Pour se rassurer, la «vieille Europe» peut se dire qu’elle n’est plus la seule à observer des taux de fécondité relativement faibles: elle a été rejointe par l’Amérique du Nord et une partie de l’Asie (le Japon réfléchit actuellement à des programmes informatiques permettant de stimuler la natalité).

Mais ailleurs, la natalité continue de croître. L’Afrique devrait compter 4,5 milliards d’individus en 2100, ce qui ne manquera pas de créer un afflux massif de population de ce continent vers l’Europe. Un constat qu’a établi Stephen Smith, professeur d’études africaines à l’université Duke (États-Unis) et journaliste, dans son dernier ouvrage, La ruée vers l’Europe –La jeune Afrique en route pour le vieux continent (éd. Grasset). Il estime que dans trente ans, l’Europe comptera entre 150 et 200 millions d’Afro-Européens, contre neuf millions aujourd’hui.

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