Le projet d’intégration de la Turquie à l’UE est-il enterré?

© AP Photo / Francois LenoirLe président turc Recep Tayyip Erdogan attend l'arrivée du président du Conseil européen Donald Tusk avant une réunion au bâtiment du Conseil de l'UE à Bruxelles le lundi 5 octobre 2015.
Le président turc Recep Tayyip Erdogan attend l'arrivée du président du Conseil européen Donald Tusk avant une réunion au bâtiment du Conseil de l'UE à Bruxelles le lundi 5 octobre 2015. - Sputnik Afrique
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La Turquie espère toujours intégrer l’Union européenne ou, a minima, renforcer les liens avec cette dernière, à en croire les dirigeants turcs. De vains espoirs, compte tenu de l’évolution des rapports entre Ankara et Bruxelles? Experts à l’appui, Sputnik revient sur la crédibilité de cette aspiration turque.

Ce 8 décembre, au cours d’une conférence de presse conjointe avec le ministre hongrois des Affaires étrangères et du Commerce, Péter Szijjártó, Mevlüt Çavuşoğlu, le ministre turc des Affaires étrangères, a tenu un discours d’apaisement vis-à-vis de l’Union européenne.

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«La coopération peut avoir des bases positives. Pour jeter ces bases, il faut se débarrasser des facteurs négatifs et faire des pas positifs. Nous voulons développer nos relations avec l'UE sur ces bases», a-t-il expliqué. «Nous ne le disons pas parce que le sommet de l'UE va bientôt avoir lieu et qu’y sera traitée la question des sanctions», a ajouté le diplomate en référence au Conseil européen prévu ce 10 décembre à Bruxelles et où sera discutée la possibilité de sanctionner la Turquie pour ses dérives.

«Nous l'avons toujours dit. Nous avons toujours voulu développer nos relations avec la perspective d'une adhésion à part entière. On y est parvenu? Non. Nous attendons de l'UE des démarches raisonnables et pondérées», a insisté le responsable turc.   

Ankara a toujours l’adhésion dans un coin de la tête

Depuis 1987, la Turquie n’a jamais réellement tiré une croix sur son projet d’adhésion à l’Union européenne. Et ce, même si le Conseil de l’UE considère aujourd’hui que les négociations sont «au point mort». «Nous ne nous voyons pas autre part qu'en Europe et nous envisageons de construire notre avenir avec l'Europe», expliquait Erdogan lors d’une visioconférence tenue le 21 novembre avec les membres du Parti de la justice et du développement (AKP), la formation qu’il dirige.

D’ailleurs, une source bien informée sur le sujet juge au micro de Sputnik que la volonté d’adhésion est réciproque: «L’UE fait tout pour intégrer la Turquie.» Et d’ajouter que, pour Bruxelles, le seul blocage concret à l’heure actuelle est le fait que «la Turquie [ait] une économie sinistrée, sous perfusion de la Banque mondiale et du FMI.»  

Une analyse que ne partage pas Alexandre Del Valle. Le géopolitologue spécialiste, entre autres, de la Turquie nous a fait part de ses doutes.

«L’agenda économique n’a rien à voir avec l’agenda d’adhésion de la Turquie à l’UE. Il y a déjà une union douanière et de nombreux accords qui lient la Turquie à l’UE, donc il n’y aura pas plus de parts de marché», a-t-il déclaré à Sputnik France.
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Il compare même la position turque à celle de la Suisse. La Confédération helvétique n’est pas membre de l’UE, mais est totalement intégrée à son économie.  Selon Alexandre Del Valle, les dirigeants de l’Union européenne qui sont toujours favorables à l’adhésion turque ne le sont pas pour des considérations économiques:

«À Bruxelles, ce sont des fonctionnaires qui parlent d’un point de vue mondialiste, voire européiste, avec cette logique de s’étendre à l’infini. C’est un postulat politique et idéologique.»   

D’après lui, l’intégration turque dans l’UE relèverait de l’utopie. «Quand Erdogan et les dirigeants turcs font croire que l’adhésion à l’Union européenne est toujours possible, on peut affirmer sans excès qu’ils mentent. Ils ont empêché leur propre candidature en bloquant de nombreuses mesures de l’acquis communautaire [ensemble des droits et obligations liant les États membres, ndlr]. Notamment l’invasion de Chypre, cela bloque tout

Pour lui, cette position d’Ankara «est une forme de provocation, compte tenu de toutes les agressions turques vis-à-vis de membres de l’UE ces dernières années.» Alexandre Del Valle fait notamment référence à la politique étrangère turque envers la Grèce, Chypre ou encore l’Italie et la France.      

Des chancelleries européennes sceptiques

Autre blocage, le «couple» franco-allemand, souvent considéré comme le moteur de l’Europe, est hostile à l’idée d’une intégration d’Ankara à l’Union. «La Turquie ne doit pas devenir un membre de l'Union européenne», indiquait la chancelière Angela Merkel en septembre 2017 lors d'un débat télévisé à l'occasion des élections législatives.  

En janvier 2018, Emmanuel Macron jugeait qu’il fallait «sortir d’une hypocrisie qui consisterait à penser qu’une progression naturelle vers l’ouverture de nouveaux chapitres est possible, ce n’est pas vrai.» Une référence aux trente-cinq chapitres de l’acquis communautaire nécessaire, qui constituent une série de critères à remplir avant de prétendre à l’adhésion.

​D’autant que, avec près de 83 millions d'habitants en 2020, la Turquie serait le deuxième pays le plus peuplé de l'UE derrière l'Allemagne. En cas d’adhésion, elle jouerait donc directement un rôle prépondérant au sein de l’Union, car les institutions européennes accordent une place importante au poids démographique des pays membres.

La Turquie, toujours phare de l’Islam laïc?

Quid de l’argument cultuel? La Turquie, du fait de son héritage kémaliste laïc, s’est toujours présentée comme un rempart à l’islamisme. C’est un argument mis en avant par les partisans de l’adhésion d’Ankara à l’UE.

«Macron, comme Sarkozy avant lui, tient un discours dur sur l’islam pour grappiller des voix à droite. De son côté, Erdogan tient un discours de protecteur de l’islam et d’insultes vis-à-vis de Macron pour mobiliser sa base électorale. Pour moi, il ne faut pas regarder les relations entre l’Europe et la Turquie à travers le prisme cultuel, mais à travers les prismes économiques et géopolitiques», juge Riadh Sidaoui, directeur du Centre arabe de recherches et d’analyses politiques et sociales (CARAPS).  

D’autant que la posture kémaliste défendue par la Turquie au moment des négociations post-2005 est difficilement défendable aujourd’hui. Nombre d’analystes et de personnalités politiques considèrent aujourd’hui Erdogan comme le soutien d’un islam politique et du nationalisme ottoman. Son soutien jamais démenti à des groupes djihadistes en Libye et en Syrie n’est qu’un exemple de la dérive islamiste dénoncée par la classe politico-médiatique française et européenne.

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