Espionnage industriel chinois: ambiance de «guerre froide» ou réalité de «la domination»?

© AP Photo / Susan WalshDonald Trump et Xi Jinping lors du sommet du G20 à Osaka, archives
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1,95 million d’identités de membres du Parti communiste chinois ont fuité. Parmi eux, nombreux sont ceux qui travaillent au sein de firmes et d’organisations occidentales. Peut-on parler d’espionnage institutionnalisé? Décryptage avec Jean-Paul Tchang, spécialiste de la Chine et l’ex-député Bernard Carayon.

La Chine est «la plus grande menace pour la démocratie et la liberté dans le monde» ,affirmait le 3 décembre John Ratcliffe, chef du renseignement américain, dans une tribune publiée par le Wall Street Journal. Les révélations sur l’infiltration massive d’adhérents du Parti communiste chinois dans de nombreuses entreprises et institutions occidentales et particulièrement britanniques confirmeraient-elles cette allégation? Un consortium de journaux réunissant le Daily Mail, De Standaard, The Australian et un éditeur suédois a révélé le 12 décembre une gigantesque fuite de 1,95 million de noms d’adhérents du Parti communiste, prélevée dans un serveur informatique de Shanghai en 2016 par un opposant chinois.

​​Cette liste a été transmise à l'Alliance interparlementaire sur la Chine (IPAC), un groupe politique de travail axé sur Pékin, pour être finalement publiée. Un nombre important d’adhérents du PCC qui y apparaissent s’avère travailler au sein d’universités et de consulats occidentaux, mais également dans des secteurs stratégiques tels que la Défense, les banques ou encore l’industrie pharmaceutique. Astra Zeneca et Pfizer, deux firmes impliquées dans l’élaboration du vaccin contre le Covid-19 sont concernées. Le Daily Mail évoque le chiffre de 600 membres du PCC qui travailleraient dans dix-neuf filiales des géants bancaires britanniques HSBC et Standard Chartered. Enfin, les industriels Airbus, Boeing, Thales, Rolls-Royce sont également touchés.

Des «réflexes datant de la guerre froide»?

Appartenir au Parti communiste chinois ne signifie pas pour autant pratiquer systématiquement l’espionnage. Le quotidien britannique nuance ainsi ces fracassantes révélations, soulignant qu’il n’y a aucune preuve pour le moment qu’un quelconque membre sur cette liste ait espionné pour le compte de la Chine. Toutefois, depuis plusieurs années, plusieurs médias français se sont fait l’écho de l’inquiétude de grandes entreprises étrangères face à la «présence croissante du parti dans leurs entités» selon RFI et d’interférences selon Les Échos, un renforcement qui aurait été mis en place par Xi Jinping. Alors, info ou intox?

Considérant la démographie chinoise, la présence de membres du Parti communiste dans ces firmes occidentales est tout simplement logique pour Jean-Paul Tchang, économiste et cofondateur de La Lettre de Chine. Elle ne relèverait pas donc d’une infiltration téléguidée:

«Tout d’un coup, ils découvrent qu’ils sont communistes. Ils font semblant de s’apercevoir qu’il y a 92 millions de membres du Parti communiste, plus les membres de leurs familles, ça doit faire 300 millions de Chinois, donc presque un quart de la population chinoise. Quand une entreprise va s’installer en Chine, elle embauche des gens. Parmi ces personnes, bien entendu, il y en a qui sont au Parti.»

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Afin d’étayer l’accusation d’espionnage, le Daily Mail fait ainsi allusion au serment de fidélité que doit prononcer tout nouveau membre du PCC à son intronisation. Sauf que, comme le rappelle M. Tchang, ce serment n’est pas neuf, il date de 1921. C’est ainsi que l’économiste s’insurge face à une logique qualifiée de «guerre froide et de maccarthysme» alimentée par l’Administration Trump depuis quatre ans. Le thème «ce sont des communistes, ce sont des communistes» serait en effet plus mobilisateur pour l’électorat occidental. Des «réflexes datant de la guerre froide», d’après l’économiste. Alors que les tensions étaient principalement économiques et commerciales, voire géopolitiques entre Pékin et Washington, Jean-Paul Tchang évoque une «hystérisation» et une «surenchère» de cette campagne afin de se parer d’une «apparence moralisatrice, très doctrinaire».

Le PCC et la loi sur le renseignement

«Je ne suis pas plus étonné que lorsque l’affaire Snowden a éclaté», réagit au micro de Sputnik l’ancien député UMP, Bernard Carayon, avocat et auteur de plusieurs rapports sur la mondialisation et l’intelligence économique.

«L’espionnage économique fait partie de l’histoire des affrontements entre États et entre entreprises», notamment de la part des Américains, «pionniers en matière d’intelligence économique», selon Bernard Carayon. Il définit cette activité comme étant la «protection des intérêts économiques nationaux», mais aussi «la conquête des marchés et des capacités d’influence».

Pourtant, Bernard Carayon établit un distinguo avec la Chine: «Les États-Unis sont une démocratie, même s’ils emploient bien souvent des méthodes de captation d’informations qui les rapprochent des voyous.» En ce qui concerne Pékin, il évoque la loi sur le renseignement, votée par le Parlement chinois en 2017, dont l’article 17 prévoit que toute organisation ou entreprise chinoise «doit soutenir, assister les services de renseignement et coopérer avec eux».

« C’est-à-dire que tout Chinois, qu’il soit membre du Parti communiste ou non, est de fait le collaborateur obligé des services de renseignement de son pays. […] Quand on connaît l’attachement des Chinois à faire respecter leur législation, en particulier lorsqu’il s’agit de défendre leurs intérêts stratégiques, on comprend bien la signification de cette loi qui n’a pas été perçue par les Occidentaux à sa juste mesure.»

Alors que des opérations de «déstabilisations d’entreprises» ou de hacking sont régulièrement rapportées, en particulier par l’Agence européenne du médicament et l’industriel Pfizer ces temps-ci, sans pouvoir identifier précisément leurs auteurs, le maire de Lavaur suppose que «beaucoup portent la signature des services chinois».

La Chine «exerce une domination»

Bernard Carayon estime que la Chine «dispose de moyens financiers considérables pour influencer les décideurs publics et privés, pour acquérir des savoirs dans les technologies stratégiques», tandis que Pékin est considérée comme la grande gagnante de l’année 2020 en termes géopolitiques. Seul pays du G20 avec une croissance positive, la Chine «exerce une domination» dans des secteurs très différents aussi bien dans l’information que dans l’énergie. L’homme politique détaille ainsi la capacité chinoise à élaborer «une stratégie de puissance aussi bien maritime que technologique, terrestre, commerciale, normative, intellectuelle».

«Ils ont le quasi-monopole dans l’exploitation des terres rares, ils viennent de signer avec les pays de l’ASEAN, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Japon, un traité de libre-échange qui regroupe à peu près 30% de la population mondiale et 30% du PIB mondial. Ils se sont infiltrés dans des quantités d’organisations internationales à des postes stratégiques», affirme l’ancien député.

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Il évoque les accusations notamment portées à l’encontre de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), une «marionnette de la Chine» selon Donald Trump. L’homme politique cite aussi les «relais extrêmement importants» en France avec «l’amitié qu’éprouve l’ancien Premier ministre Jean-Pierre Raffarin pour la Chine». Il mentionne un article du Canard enchaîné datant du 2 décembre sur «les amitiés étranges d’un sénateur tarnais de la majorité macroniste» avec le gouvernement chinois. Mais «c’est une habitude», déplore-t-il.

«Il n’y a pas si longtemps, un ancien ministre de droite était le conseiller de l’entreprise Huawei à Paris. Plusieurs collaborateurs de cabinets ministériels de droite comme de gauche travaillent pour cette entreprise chinoise qui, depuis quelque temps, ne peut plus bénéficier des composants et des puces américaines pour des raisons qui m’apparaissent parfaitement pertinentes», conclut-il.
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