Le pouvoir togolais accusé par Amnesty de «réduire au silence toute voix dissidente»

© AFP 2024 PIUS UTOMI EKPEILe président togolais Faure Gnassingbé arrive au bureau de vote
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Un récent rapport d’Amnesty International accuse le gouvernement de Faure Gnassingbé de réprimer ses opposants –qui contestent toujours sa réélection en février 2020– après l’arrestation de deux d’entre eux. Preuve qu’à Lomé, comme dans la sous-région, l’aspiration au changement ne faiblit pas, selon une spécialiste.

Le pouvoir de Faure Gnassingbé est de nouveau dans le collimateur des organisations des droits de l’Homme. Ce 1er décembre, l’ONG Amnesty Internationale n’a pas hésité à tirer à boulets rouges sur le gouvernement togolais en dénonçant «une répression croissante des voix dissidentes». Motif: l’arrestation, trois jours plus tôt, de deux opposants membres de la Dynamique Monseigneur Kpodzro (DMK), un important regroupement de partis politiques qui projetait de manifester pour réclamer «la vérité des urnes».

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C’est dire que la réélection du Président Faure Gnassingbé n’en finit pas d’être contestée, 10 mois après la présidentielle du 22 février 2020.

Pour Amnesty, les interpellations de Kafui Adjamagbo Johnson, coordinatrice de la DMK et grande figure de l’opposition togolaise, et de Gerard Djossou, président de la commission des droits de l’Homme et des questions sociales de la DMK, sont «arbitraires».

«L’arrestation des deux opposants […] apparaît comme une nouvelle illustration des autorités de vouloir réduire au silence l’opposition et les voix dissidentes», a déclaré Marceau Sivieude, directeur régional adjoint d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale, cité dans un communiqué publié sur le site de l’organisation.

Après leur audition par le Service central de recherches et d’investigations criminelles (SCRIC) de la gendarmerie nationale togolaise, les deux opposants ont été accusés de «tentative d’atteinte contre la sûreté intérieure de l’État» et de «groupement de malfaiteurs»

Des chefs d’accusation similaires avaient été retenu, au printemps 2020, contre le candidat de la DMK, l’ancien Premier ministre Kodjo Agbéyomé qui est actuellement en fuite à l’étranger depuis le mois de juillet. Celui qui s’était proclamé «Président élu» et continue de clamer sa victoire est accusé de «trouble à l'ordre public», «publication de fausses nouvelles» et «tentatives d'atteinte à la sûreté de l'État».

Plus tôt cette année, l’ONG avait déjà épinglé le pouvoir de Lomé pour avoir interpellé et inculpé 16 militants de la DMK. Arrêtés en avril, ils avaient été poursuivis pour «délits de rébellion», avaient écopé de 12 mois de prison, dont 8 avec sursis, avant d’être libérés en août.

Au nom du Covid-19, comme ailleurs

Dans sa communication du 1er décembre, Amnesty accuse particulièrement le pouvoir de prendre la pandémie de Covid-19 comme prétexte pour justifier l’interdiction systématique des manifestations de l’opposition dans le pays.

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Depuis les premiers cas de Covid-19 au Togo en mars 2020, en effet, les autorités togolaises ont interdit tout regroupement de plus de 15 personnes dans les rues. L’instrumentalisation du contexte sanitaire à des fins politiques est une accusation fréquente contre le pouvoir (qui s’en défend), d’autant que les marchés, où plusieurs centaines de personnes se côtoient quotidiennement, restent ouverts.

Dès lors, les manifestations tombent immanquablement sous le coup de la loi et sont systématiquement interdites, de même que toute tentative de regroupement est réprimée.

À vrai dire, le Togo ne fait pas figure d’exception. Beaucoup d’autres gouvernements sur le continent ont été accusés prétexter le respect des mesures d’urgence pour étouffer encore plus l’état de liberté, déjà précaire, dans leurs pays. C’est notamment le cas du Tchad ou de la Guinée Conakry, où les gouvernants ont pris des mesures draconiennes contre les rassemblements publics.

La contestation de la réélection de Faure Gnassingbé n’est pas une première. La légitimité du chef de l’État a toujours été contestée depuis qu’il a succédé à son père en 2005, à la faveur d’un soutien de l’armée et d’un toilettage controversé de la Constitution. Ce scrutin attise, dès lors, d’autant plus la critique de l’opposition que le Président apparaît comme l’avatar d’une dynastie qui gouverne le Togo depuis plus d’une cinquantaine d’années. 

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Plus précisément, depuis le 13 janvier 1967, date du coup d’État du lieutenant-colonel Eyadéma Gnassingbé, père de Faure, contre le Président Nicolas Grunitzky, lui-même arrivé au pouvoir après un putsch contre Sylvanus Olympio, premier Président et père de l’indépendance du Togo.

«Aspirer à un autre projet de société»

Pour la spécialiste de l’Afrique de l’Ouest Caroline Roussy, chercheure à l’Institut des relations internationales et stratégique (IRIS) à Paris, le maintien de la mobilisation contre la réélection du Président Faure Gnassingbé, 10 mois après le scrutin, témoigne même de l’envie de démocratisation et de l’alternance dans le pays.

«Parce qu’après avoir vécu des décennies sous la dynastie de la famille Gnassingbé, il est tout à fait légitime d’aspirer à un autre projet de société», juge-t-elle dans une déclaration à Sputnik.

Elle évoque également un phénomène de «porosité», si ce n’est de contagiosité, par rapport à ce qui se passe dans d’autres pays de la région. Notamment en matière de revendication pour une justice sociale, une redistribution inclusive des fruits de la croissance, une démocratisation de la vie politique...

Le regain de mobilisation de l’opposition togolaise survient, d’ailleurs, à un moment où d’autres pays de la sous-région ouest-africaine, la Côte d’Ivoire et la Guinée, connaissent des tensions après des présidentielles qui se sont soldées par la victoire de leurs présidents sortants dès le premier tour. Le Burkina Faso, où Roch March Christian Kaboré s’est aussi imposé dès le premier tour à l’issu du scrutin du 22 novembre, semble être mieux loti. 

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Seules quelques crispations y ont été enregistrées sur fond d’accusations de fraude, alors que de nombreux morts ont jonché les rues ivoiriennes et guinéennes.

Finalement, tant Alassane Ouattara qu’Alpha Condé ont réussi ce que leurs détracteurs appellent un «passage en force». Cet état de fait ou de droit (selon la perspective) observé chez les voisins a tendance à renforcer la position de Faure Gnassingbé et ne bénéficie pas à l’opposition togolaise. D’autant que, comme l’affirme la spécialiste française, «tout est mis sous le boisseau au nom du Covid-19».

«Et tant qu’il y aura une charge de plomb couverte par le Covid-19 qui, globalement, est la préoccupation de toutes les organisations internationales du monde entier, je ne suis pas sûre que Faure Gnassingbé aura des raisons de se faire du souci», soutient-elle.
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