Au Togo, le débat autour de la stratégie la plus appropriée de l’opposition en faveur d’une alternance est relancé avec la rentrée politique du parti de Jean-Pierre Fabre (l’Alliance nationale pour le changement – ANC), figure incontournable de l’opposition togolaise. Une rentrée qui se fait presque six mois après la présidentielle du 22 février 2020 qui a donné Faure Gnassingbé vainqueur pour un quatrième mandat de cinq ans à la tête pays.
«Le Conseil national demande au parti d’engager, dans un esprit d’unité d’action politique commune revendicative, la mobilisation des populations et des forces démocratiques crédibles et fiables, notamment de la société civile, en vue de l’assainissement du cadre électoral», affirme cette recommandation lue devant les militants et applaudie par ces derniers.
Et pour cause: l’ANC a déjà participé à de nombreuses coalitions (Collectif sauvons le Togo, Cap 2015, C14) créées pendant les dix dernières années dans un contexte d’élections présidentielles ou législatives, mais sans avoir jamais obtenu le résultat escompté. Pis, il estime avoir «perdu du terrain» en voulant, par pure solidarité, adopter des stratégies d’action incompatibles avec ses propres objectifs.
S'allier avec des forces «crédibles»
Mais l’ANC ne semble pas vouloir mener cette unité d’action minimaliste avec n’importe quel parti. Au cours du Conseil national, les délégués ont identifié les forces démocratiques «crédibles» avec lesquelles le parti pourrait éventuellement s’allier. En d’autres termes, seront exclus les partis «fossoyeurs de l’alternance», d’après les termes de Jean-Pierre Fabre.
«L’une de vos préoccupations légitimes est de sortir les populations togolaises de la confusion actuelle, créée par les fossoyeurs de l’alternance pour divertir et distraire l’opinion, pendant que le pouvoir en place poursuit impunément sa politique d’oppression et de pillage. J’adhère totalement à ces préoccupations légitimes», déclarait en substance Jean-Pierre Fabre en s’adressant aux délégués du Conseil national.
Allusion faite sans doute à la Dynamique Monseigneur Kpodzro (DMK), la coalition de mouvements d’opposition et de la société civile qui a soutenu la candidature de l’ex-Premier ministre togolais Agbéyomé Kodjo à la présidentielle du 22 février dernier. Les rapports avec celle-ci avaient en effet été assez conflictuels avant, pendant et après le scrutin.
«Tout en respectant la position du président de l'ANC, nous ne voyons pas comment ce parti politique peut faire face seul au parti au pouvoir. S’il avait pu réussir, ces dernières années, on l'aurait su! Quand on voit le score de l'ANC à la dernière élection présidentielle, il est incongru de les voir faire cavalier seul», a déclaré à Sputnik Fulbert Atisso, président du parti Togo Autrement, un parti membre de la DMK. Il s’est dit «préoccupé par l'état de division actuel dans lequel se trouve l'opposition togolaise» et affirme que l’objectif actuel de la DMK est d’œuvrer pour un rapprochement entre les composantes de l'opposition, partis politiques et organisations de la société civile.
«La DMK est une coalition et elle ne peut rester fermée à la possibilité de créer une synergie avec d'autres composantes de l'opposition. Nous allons poursuivre notre engagement et nous voulons prendre contact avec toutes forces de l'opposition, y compris l'ANC», a poursuivi Fulbert Atisso.
Les candidats de la DMK et de l’ANC étaient arrivés respectivement deuxième et troisième à la présidentielle du 22 février et, de facto, les deux partis sont devenus le noyau de l’opposition togolaise, qui d’ailleurs conteste depuis lors la réélection de Faure Gnassingbé. Auparavant, ils avaient refusé de prendre part aux élections législatives de 2018 en critiquant un «hold-up électoral», avec toujours au cœur de leurs revendications des réformes électorales pour permettre un scrutin transparent.
Toutefois, cet universitaire regrette, dans la posture de l’ANC, une vengeance qu’il cherche à obtenir contre «ses adversaires» d’aujourd’hui alors même qu’ils peuvent s’avérer des «alliés puissants de demain». D’ailleurs, soutient-il, même dans sa posture actuelle, Jean-Pierre Fabre aura forcément besoin de composer avec la DMK et d’autres partis de l’opposition comme le Parti national panafricain (PNP).
Aplanir les différends
Ce mouvement avait réussi à inquiéter le pouvoir togolais en organisant, le 19 août 2017, de grandes manifestations publiques pour réclamer des réformes institutionnelles. Ces événements avaient d’ailleurs été à l’origine de la création de la défunte coalition C14, qui réunissait 14 partis de l’opposition avec pour slogan «Faure must go» (Faure doit partir)
«La synergie d'action est une obligation pour l'opposition dans la quête de réformes, mais encore faudrait-il avoir une communication de rassemblement et faire cette synergie avec les acteurs qui ont un poids politique. Réunir de "petits partis" pour une synergie a le mérite d'être une action, mais sera sans conséquences», affirme Foli Dométo Foly.
Dans le contexte actuel, conseille-t-il, l’ANC, qui est le parti de l’opposition le mieux implanté dans le pays au vu des résultats des municipales de 2019, «doit convaincre le PNP» d'un possible changement par l'élection. Ce parti, indispensable à la mobilisation, prône la révolution plutôt que les élections comme moyen de changer les acteurs au pouvoir. Dans tous les cas, Foli Dométo Foly recommande que l’ANC prenne «langue avec la DMK pour aplanir les différends».
À l’origine, ces différends provenaient d’une… «révélation du Saint-Esprit» à l’Archevêque émérite de Lomé Monseigneur Kpodzro, à qui l'on doit l'initiative de la création de la DMK. Il avait en effet souhaité qu’un autre que Jean-Pierre Fabre soit le candidat unique de l’opposition à la présidentielle de février 2020, celui-ci, ne pouvant plus être l’homme providentiel du peuple togolais, selon le prélat qui aurait tenu cette confidence du Saint-Esprit lui-même. Ainsi, en imposant l’ancien Premier ministre Agbéyomé Kodjo, la rupture était consommée entre la DMK et l’ANC.