Course à l’armement: l’Arabie saoudite, puissance nucléaire face à l’Iran?

© AFP 2023 MOHAMED EL-SHAHEDSaudi Foreign Minister Adel al-Jubeir attends the Arab Foreign Ministers extraordinary meeting to discuss the Syrian crisis in Cairo, on December 19, 2016
Saudi Foreign Minister Adel al-Jubeir attends the Arab Foreign Ministers extraordinary meeting to discuss the Syrian crisis in Cairo, on December 19, 2016 - Sputnik Afrique
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Face à la menace iranienne, l’Arabie saoudite a de nouveau affirmé qu’elle envisageait de se doter de l’arme nucléaire. Au micro de Sputnik, Benjamin Hautecouverture, chercheur à la Fondation pour la Recherche Stratégique, juge qu’à court et moyen terme, il est «tout à fait improbable» que Riyad y parvienne.

Obtenir l’arme nucléaire est «définitivement une option», a indiqué Adel al-Jubeir, ministre saoudien des Affaires étrangères.

Cette mise en grade intervient quelques jours après que la Maison-Blanche ait envisagé, selon des révélations du New York Times, de frapper un site nucléaire iranien, en réaction au rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) en date du 11 novembre, qui affirme en effet que Téhéran continue d’accumuler de l’uranium.

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Mais cette menace de voir l’Arabie saoudite se doter de l’arme nucléaire est-elle crédible à court ou moyen terme? «Pas du tout», tranche Benjamin Hautecouverture, chercheur à la Fondation pour la Recherche Stratégique et spécialiste du désarmement et de la dissuasion nucléaire, au micro de Sputnik. Le positionnement saoudien actuel n’est que de la sémantique selon notre intervenant. D’abord d’un point de vue géostratégique car:

«Washington ne laisserait pas faire son allié. Les États-Unis, qui sont l’un des garants de l’ordre nucléaire mondial, ne verraient aucun intérêt à ce qu’un allié comme l’Arabie saoudite soit doté de l’arme nucléaire au Moyen-Orient.»

De plus, au niveau du droit international, les chemins qui pourraient mener Riyad à se doter de l’arme nucléaire sont pour le moment bouchés:

«L’Arabie saoudite est partie au traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), comme État non doté de l’arme nucléaire, et dispose d’un accord de garantie avec l’AIEA, même si cet accord devrait sans doute être mis à jour pour inclure à l’avenir des dispositions plus contraignantes. Pour se doter de l’arme nucléaire, il faudrait dans un premier temps que le royaume dénonce sa participation au traité en utilisant l’article 10 du TNP, ce qui est tout à fait improbable en l’état», indique Benjamin Hautecouverture.

Le chercheur le rappelle d’ailleurs, «un seul État a invoqué l’article 10 du TNP à ce jour: la Corée du Nord en 2003. L’Arabie saoudite n’en est pas du tout là. Ce serait un acte politique extrêmement risqué et dangereux, et les Saoudiens le savent.»

«Un programme nucléaire civil balbutiant»

En effet, l’Arabie saoudite reçoit des agents de l’AIEA qui visitent leurs installations nucléaires au titre d’un accord réservé aux États qui ne disposent pas d’un programme nucléaire complet: le «Protocole sur les petites quantités [d’uranium, ndlr].» L’Arabie saoudite «fait partie des États qui ont un programme nucléaire civil balbutiant», précise Benjamin Hautecouverture. Le royaume n’est donc pas soumis à un accord de garantie généralisée avec l’agence de Vienne et n’a pas conclu de protocole additionnel à une telle convention.

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Le protocole sur les petites quantités a néanmoins été mis à jour en 2005, dans une version que l’Arabie saoudite n’a pas encore adoptée. Le directeur général de l’AIEA, Yukiya Amano, a déploré en mars 2019 que «la capacité des inspecteurs de l’AIEA d’accéder aux installations en Arabie saoudite est actuellement limitée, car son programme se développe “sur la base d’un ancien texte” de règles de sauvegarde.» Il avait alors appelé ce pays à signer le Protocole additionnel de l’AIEA.

«La question qui se poserait aujourd’hui si jamais ils faisaient enfin des progrès dans l’avancement de leur programme nucléaire destiné à doter le pays d’un réacteur de puissance, serait celle de la modification de leur accord de garantie actuel, puis celle de la conclusion d’un accord de garantie généralisé, et si possible la conclusion d’un protocole additionnel pour que les inspections soient aussi intrusives en Arabie saoudite qu’elles le sont dans d’autres pays, Iran compris», juge notre interlocuteur.

«Il y a donc un enjeu de ce point de vue là», estime-t-il. Néanmoins, le programme nucléaire saoudien, comme celui d’autres pays du Moyen-Orient a été «lancé au début du siècle dans le cadre de ce que l’on a appelé alors “la renaissance nucléaire”, mais a pris beaucoup de retard. Les effets d’annonce n’ont pas été suivis de mises en œuvre opérationnelles dans la plupart des cas.»

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L’Arabie saoudite ne s’approche d’ailleurs que maintenant de la finalisation de la construction de son premier réacteur nucléaire à vocation civile. De plus, Benjamin Hautecouverture tient à rappeler

«qu’il n’y a rien à voir entre un programme nucléaire civil et un programme nucléaire militaire. Les liens et les passerelles entre les deux sont tels que si l’Arabie saoudite avait des ambitions nucléaires militaires, les choses seraient au moins connues, sinon suspectées. Par conséquent, sur le plan géostratégique et juridique, c’est pour le moment une impossibilité.»

Les mises en garde répétées de Riyad ces dernières années à l’égard de la République islamique d’Iran ne sont-elles donc que de la sémantique, dépourvues de substance réelle?

«Les postures et les discours ne sont pas rien», tempère Benjamin Hautecouverture avant d’ajouter: «Dans le fond, Riyad répète qu’en cas de progrès de l’Iran dans son programme nucléaire militaire, et si le pays se rapproche trop de ce que l’on appelle le seuil nucléaire, alors l’Arabie saoudite se reposera la question de sa doctrine nucléaire et ne s’interdira pas de la modifier.»
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