L’économie française a-t-elle les reins assez solides pour encaisser le choc des mesures sanitaires? Depuis une quinzaine de jours, enquêtes et prévisions se multiplient pour estimer au mieux l’impact de ce deuxième confinement sur l’économie nationale.
«Aux faillites en suspens vont venir s’ajouter celles provoquées par la crise sanitaire»
Si la formule devenue canonique du Président de la République –«L’État paiera, quoi qu’il en coûte»– ,prononcée au mois de mars à l’annonce d’un plan de soutien de 470 milliards d’euros, est toujours d’actualité, il faut surtout s’attendre pour notre économiste à un «mur de faillites» que les mesures d’aide n’ont fait que reporter dans le temps:
«Le Prêt garanti par l’État (PGE) et l’ensemble des mesures d’aide aux entreprises ont évité de trop nombreuses faillites. Ces mécanismes ont été efficaces dans une certaine temporalité seulement. En réalité, il y a moins de faillites aujourd’hui que l’an dernier à la même période pour la raison évidente que de nombreuses entreprises qui auraient dû déposer le bilan avant le déclenchement de la crise du Covid-19 ne l’ont pas fait grâce aux mécanismes enclenchés par le gouvernement.»
«Une fois que l’État mettra un terme à ces mécanismes, l’effet sera double: aux faillites en suspens des entreprises non rentables d’avant la crise vont venir s’ajouter celles provoquées par la crise sanitaire. Tout cela est à l’heure actuelle invisible dans les chiffres de l’emploi, pour un an peut-être encore.»
Une situation d’autant plus inquiétante que la France n’est pas isolée dans cette crise qui frappe l’Europe et condamne les autres pays partenaires économiques frontaliers aux mêmes déboires. La Commission européenne tablait cet été sur une chute de 8,3% du PIB de l’Union européenne pour 2020, et ce avant l’annonce des reconfinements français et allemands.
Une crise de 2008 à rebours?
Avec la fermeture des commerces qualifiés de «non essentiels» (bars, restaurants, salons de coiffure, magasins de vêtements, librairies ou fleuristes), l’économie réelle se prépare à encaisser une onde de choc massive aux multiples répliques. Pour Claude Rochet, ancien haut fonctionnaire et spécialiste des politiques publiques, c’est bien la masse productive du pays qui sera frappée en son cœur, accentuant les effets délétères des impasses de la mondialisation sur le tissu social français:
«Cette crise va toucher beaucoup plus les PME, les petites activités, le petit commerce et privilégier de facto les grandes entreprises et qui plus est les grandes entreprises étrangères. Derrière la généralisation annoncée du travail en ligne, il y a évidemment les GAFAM qui rôdent.
Tout ça va dans le sens de l’idéologie dominante, à savoir l’intégration toujours plus poussée des métropoles à la mondialisation et le délaissement des territoires. C’est-à-dire le lieu même où se nouent l’innovation et la vie sociale, mises aujourd’hui totalement à l’arrêt.»
Dans cet inventaire des catastrophes, il en est une, plus discrète, mais qui arrive en bout de chaîne. Si les bourses et les indices économiques n’ont pas plongé depuis les annonces de reconfinement, à terme, les banques et le secteur financier dans son ensemble vont devoir encaisser les milliards de pertes accumulées par les défauts de paiement.
Aides massives et libéralisme, le paradoxe macronien
Au modèle de 2008 qui avait vu une crise financière impacter l’économie réelle, celle qui s’annonce pourrait se mettre en place cette fois-ci à rebours. Une situation que nuance David Cayla:
«Ces deux sphères sont imbriquées l’une dans l’autre, mais décalées dans le temps. Le plus souvent, lorsqu’il y a une faillite dans le secteur financier, quelque chose dysfonctionne dans l’économie réelle et on ne s’en rend compte en fait qu’a posteriori. En ce qui concerne la crise actuelle, il n’y a pas besoin d’attendre cette apparition, l’économie réelle va mal et les chiffres le montrent. La crise financière, elle, va arriver avec retard et, par sa gravité, aura, par retour de flammes, un impact sur une économie réelle déjà très secouée.»
«Je ne crois pas à l’opposition entre santé et économie que certains voudraient instaurer. Il n’y a pas d’économie prospère dans une situation sanitaire dégradée avec un virus qui circule activement. Il n’y a pas non plus de système de santé qui tient s’il n’y a pas une économie forte pour le financer. C’est donc un juste équilibre qu’il nous faut sans cesse rechercher […]. L’économie ne doit ni s’arrêter ni s’effondrer!»
Pour David Cayla, à l’énumération des effets attendus de cette crise, il faut ajouter celui d’une mise à nu des impasses d’un système économique en fin de course. Le plan de relance de 100 milliards annoncé au mois de septembre dernier par le gouvernement n’illustre pas le reniement d’une vision néolibérale qui aurait jusqu’ici guidé nos élites:
«En réalité, l’État est démissionnaire du champ de la production de biens communs. Il dépense des sommes faramineuses alors que les capacités productives sont déléguées au privé. Nos responsables politiques essaient de compenser les pertes en donnant des aides financières et en misant sur la consommation de l’épargne privée des ménages. C’est une réponse conjoncturelle et non structurelle.»
Et l’auteur de conclure que la finance publique doit être mise au service de la production. «Il est nécessaire de réorganiser, voire –osons les grands mots!– replanifier le système productif en remodelant les politiques industrielles.» Un appel attendu, donc, au passage d’un État aujourd’hui assureur à un État producteur.