«Les banques peuvent espérer le meilleur, mais doivent se préparer au pire.» L’Italien Andrea Enria, président du conseil de surveillance prudentielle de la Banque centrale européenne (BCE), qualifié de «shérif des banques», a lancé un avertissement dans une récente interview donnée au quotidien belge L’Écho.
Dominique Garabiol, professeur associé à Paris VIII et ancien directeur de banque, explique au micro de Sputnik que ce n’est pas la première fois depuis le début de la crise qu’un responsable de la BCE lance une telle mise en garde:
«Il faut comprendre que les banques sont en symbiose avec le reste de l’économie. Si l’économie s’écroule, les banques suivent. C’est ce qui s’était passé en Italie et en Espagne lors de la crise de l’euro.»
Selon Andrea Enria, «le risque de crédit est très élevé et il y aura une détérioration de la qualité des actifs des banques.» Question visibilité, cela coince, d’après l’économiste transalpin: «Mais nous ne pouvons pas prévoir quand cette détérioration se manifestera dans leur bilan et quelle ampleur le problème aura.»
La première vague de la crise du coronavirus passée, il importe d’envisager l’avenir, déclare Andrea Enria à l’Écho. Le risque de crédit est très élevé et la qualité des actifs des banques va se détériorer. Mais nous ne pouvons pas dire quand ni dans quelle mesure. pic.twitter.com/WJcrN0uxp7
— European Central Bank (@ecb) November 5, 2020
Dominique Garabiol insiste sur le fait que «si la crise du Covid dure et que cela se traduit par une explosion des défaillances d’entreprises, il est clair que les banques souffriront.» À quel point?
Andrea Enria rappelle que, dès le mois de juillet, alors que la situation sur le front du coronavirus était sans commune mesure avec ce que vit actuellement l’Europe, les scénarios économiques pointaient vers «une récession significative en 2020, suivie d’un net rebond qui ramènerait le PIB de la zone euro à son niveau de 2019 vers la fin 2022.»
Créances toxiques: bientôt pire qu’en 2008?
La forte détérioration des données sanitaires concernant le Covid-19 dans de nombreux pays du Vieux Continent pourrait fortement aggraver la situation économique, comme le rappelle Andrea Enria: «Toutefois, dans le cas d’une seconde vague, l’impact sur les capitaux et la détérioration de la qualité des actifs serait bien plus conséquent.»
La BCE envisage, dans le pire des scénarios, que le montant des prêts non performants atteigne 1.400 milliards d’euros. À titre de comparaison, ces derniers avaient culminé à environ 1.000 milliards d’euros lors de la crise de 2008/2009. Dominique Garabiol, qui est également ancien adjoint de direction à la Banque de France, relativise ce sombre tableau… mais lance tout de même avertissement:
«Les banques disposent d’un matelas de capital conséquent. Des efforts historiques ont été faits à la suite de la crise de 2008-2009 pour améliorer leur solvabilité. Grosso modo, elles peuvent perdre un tiers de leurs fonds propres tout en étant encore conformes à la réglementation en vigueur. Mais aussi confortables soient-ils, ces matelas peuvent être absorbés si l’économie s’écroule.»
Si le système bancaire européen explose, Dominique Garabiol promet une catastrophe:
«Cela signifierait que les problèmes sont très sérieux et un tel événement ne serait qu’un épiphénomène dans le dramatique scénario d’une explosion économique totale.»
Comment gérer un tel contexte? «Nous les encourageons [les banques ndlr] à gérer leurs clients de manière proactive. Certains d’entre eux rencontreront des difficultés temporaires, mais devraient traverser la crise, tandis que d’autres ne sont pas en bonne santé et n’y survivront pas», avertit Andrea Enria dans les colonnes de L’Écho.
Une «bad bank» pour sauver l'économie?
Andrea Enria souligne pour sa part que si les banques se retrouvent avec trop de prêts non performants à gérer, elles pourraient être incapables de prêter à l’économie et ainsi de soutenir la reprise. «Est-ce que cela maintiendra en vie des “banques zombies”? Non, pas tant que nous fixons des conditions strictes», explique-t-il.
«Concentrer toutes les créances compromises dans un fonds unique géré à l’échelle européenne peut être une solution», analyse Dominique Garabiol avant d’ajouter: «mais il s’agirait d’un sauvetage du système bancaire, certes essentiel au fonctionnement de l’économie, mais non de l’économie elle-même.»
«On rend publiques les pertes et on privatise les gains. Mais le système fonctionne comme cela. En cas de pertes énormes pour les banques et sans intervention politique, la situation devient ingérable et tout s’écroule», poursuit l’expert.
Quid d’une consolidation du secteur bancaire européen, à savoir des fusions entre établissements? Le «shérif des banques» considère qu’il s’agit de l’«un des outils qui peut aider les banques à se focaliser sur ces problèmes.»
Fusionner les banques, fausse bonne idée?
«Certaines banques ont pris l’initiative, comme Intesa et Ubi en Italie ou CaixaBank et Bankia en Espagne, ce qui a lancé de nouvelles discussions au sein des directions d’autres banques», rappelle-t-il à L’Écho. Pour Dominique Garabiol, cela n’a pourtant rien d’un remède miracle:
«La fusion n’est pas une solution. Si vous fusionnez deux banques en difficulté, vous obtiendrez une grande banque en difficulté. Ce n’est pas comme cela que vous aurez une amélioration notable du système bancaire. La consolidation du secteur signifie également des banques plus diversifiées et plus à même de faire face aux chocs économiques.»
Pour l’expert, «si la crise dure et qu’elle se termine par un écroulement de l’économie, il n’y aura pas de solution miracle.» Mais avant de clouer les banquiers au pilori, Andrea Enria veut que les citoyens européens gardent à l’esprit «qu’il s’agit d’un choc extraordinaire pour l’économie au sens large, pas d’une crise provoquée par une mauvaise gestion des banques.» Même son de cloche du côté de Dominique Garabiol, pour qui le choc économique que l’on vit actuellement n’est pas lié à des défauts de gestion d’entreprises ou de banques:
«Ce choc vient de nulle part et atteint tout. La collectivité se retrouve donc concernée et non telle ou telle entreprise, PME ou banque.»