Douche froide pour tous ceux qui, en France, croyaient encore à une coopération européenne en matière de Défense afin de se démarquer des États-Unis. Le 2 novembre, soit la veille du scrutin présidentiel américain, Annegret Kramp-Karrenbauer, ministre de la Défense allemande, a publié une tribune sur le site d’information washingtonien Politico.
«Dans un monde marqué par une concurrence accrue pour le pouvoir, l’Occident ne pourra rester ferme et réussir à défendre ses intérêts que tant qu’il restera uni. L’Europe reste dépendante de la protection militaire américaine, tant nucléaire que conventionnelle, mais les États-Unis ne seront pas en mesure de porter seuls la bannière des valeurs occidentales.»
Ce renforcement de l’axe Washington–Bruxelles doit, aux yeux de Kramp-Karrenbauer, s’effectuer tant en matière de Défense que commerciale. Une démarche notamment nécessaire aux yeux de la responsable allemande pour envoyer un «message clair» à Pékin. Elle estime surtout que cet alignement devrait offrir aux Européens les moyens financiers de leurs ambitions militaires et ainsi «montrer plus de muscles», notamment «dans la baltique, la mer du nord, en Europe centrale et de l’Est, dans les Balkans, au Moyen-Orient en Méditerranée et au Sahel.»
Défense: Berlin achète américain
Pour celle qui succède à Ursula von der Leyen au ministère de la Défense, il est donc à ce titre impératif que les «deux plus importants espaces économiques» du globe s’unissent commercialement et «éliminent toutes les barrières tarifaires et commerciales» entre eux. Pour la dirigeante de l’Union chrétienne-démocrate (CDU), il ne doit ainsi y avoir aucune réserve à l’adoption d’un traité de libre-échange entre les deux rives de l’Atlantique, tel que le TAFTA.
Cette dernière entend ainsi, pour l’Allemagne, maintenir l’augmentation des dépenses militaires, un cap budgétaire «très difficile» du fait de la pandémie de Covid-19. «L’Allemagne, pour sa part, doit prendre d’urgence la décision de rester dans le cadre du programme de partage nucléaire de l’Otan et rapidement affecter les moyens budgétaires et militaires nécessaires pour rester un partenaire nucléaire fiable», souligne-t-elle.
Un clin d’œil d’autant plus complice qu’en avril, Berlin décidait d’acquérir 45 avions multirôles F-18 «afin de remplacer les Tornado pour transporter les bombes nucléaires», selon le site Opex360. Cette commande colossale à Boeing, signée par Annegret Kramp-Karrenbauer, a d’ailleurs valu à l’Allemagne les félicitations du secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg.
Dans une tribune publiée mi-mai dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung, le chef de l’Otan rappelait que le coronavirus ne pas faisait pas disparaître les menaces auxquelles le monde était confronté: le terrorisme et les «régimes autoritaires qui défient les démocraties libérales», au premier chef la Russie et ses «actions agressives», mais surtout ses capacités nucléaires, auxquelles doit s’opposer le partage de la dissuasion nucléaire au sein de l’Otan afin de «préserver la paix et la liberté» de ses membres.
Défense européenne: une illusion française?
Du côté de La Tribune, on s’interroge également, rappelant fin avril la «sensibilité» de nombreux pays européens aux «appels américains». Le journal économique et financier souligne toutefois les propos du patron de Dassault concernant le choix allemand d’appareils tels que les F-18 (et non le moderne F-35), qui laisserait présager que Berlin opterait à terme pour le Système de combat aérien du futur (SCAF) sur lequel travaillent conjointement la France et l’Allemagne.