Vente d’Aubert & Duval: encore un actif stratégique bientôt sous pavillon étranger?

© AFP 2024 FRED TANNEAUSous-marin "Le Terrible" durant la visite d'Emmanuel Macron, 4 juillet 2017
Sous-marin Le Terrible durant la visite d'Emmanuel Macron, 4 juillet 2017 - Sputnik Afrique
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Le métallurgiste Aubert & Duval, fournisseur des groupes aéronautiques internationaux et de la marine française, est en passe de changer de mains. Malgré la mobilisation affichée de l’État, resté actionnaire du groupe Eramet, qui cède l’entreprise, ce spécialiste tricolore des alliages spéciaux pourrait passer sous pavillon étranger.

Qu’ont en commun les réservoirs de propergol des fusées Ariane, les chaudières nucléaires des sous-marins atomiques lanceurs d’engins (SNLE), les turboréacteurs de l’A320 ou encore ceux du futur avion de combat européen (SCAF)? Ils sont tous équipés de pièces usinées par Aubert & Duval (A&D), l’un des leaders mondiaux des alliages complexes. Un fleuron français aujourd’hui en vente et dont le sort serait suivi «au plus haut niveau de l’État», soulignent cette semaine Les Échos, reprenant les dires du cabinet de Florence Parly, ministre des Armées.

Drapeau des États-Unis - Sputnik Afrique
Photonis, pépite française cédée aux Américains «sous conditions», une illusion d’optique?
C’est La Tribune, qui fin juin levait le lièvre, précisant que la banque Rothschild avait été mandatée par le groupe minier français Eramet pour mener à bien la vente de sa filiale chez qui «l’ensemble de l’industrie aéronautique» se fournit, le tout sous l’étroite surveillance de Bercy. Une cession d’Aubert & Duval qui pourrait, selon l’hebdomadaire économique, s’expliquer par la mauvaise passe que traversent, sur fond de crise du Covid-19, tant l’entreprise que sa maison-mère. En l’occurrence l’arrêt brutal du transport aérien et en conséquence celles des livraisons et commandes, a provoqué une chute de 20% du chiffre d’affaires d’A&D. Un coup dur qui vient s’ajouter à des résultats plombés en 2019 par des problèmes de non-conformité, ayant nécessité cette année-là une coûteuse refonte des processus qualité, développe La Tribune.

Des Américains se saisiront-ils du fleuron français?

Des révélations qui avaient poussé le groupe minier et métallurgique, détenteur depuis 20 ans d’A&D, à sortir le 22 juin dernier un communiqué laconique précisant qu’une «revue stratégique détaillée» relative à sa filiale avait été initiée et «dans laquelle toutes les options sont envisagées».

Parmi l’éventail de ces options, donc, la vente à une entreprise étrangère. Trois mois plus tard, Les Échos avancent d’ailleurs les noms de l’allemand Otto Fuchs, l’autrichien Voestalpin Böhler Welding et deux américains: Precision Castparts et Carpenter Technologie.

French President Emmanuel Macron leaves the aircraft upon arrival at the airport of Belgrade on July 15, 2019 for his two-day state visit (Photo by ludovic MARIN / AFP) - Sputnik Afrique
Latécoère, nouvelle victime de l’absence de stratégie industrielle de la France
Une issue qui viendrait mettre un peu plus à mal la communication du gouvernement autour de la souveraineté industrielle dans les actifs stratégiques, après le rachat en décembre 2019 de l’équipementier aéronautique Latécoère par le fonds d’investissement américano-canadien Searchlight, du leader mondial des solutions d’interconnexion électrique Souriau-Sunbank par le groupe industriel américain Eaton en janvier 2020, de HGH Systèmes Infrarouges (HGH) en mai par le fonds américain Carlyle ou encore plus récemment de Photonis, leader mondial de la vision nocturne, par le conglomérat américain Teledyne.

Différence notable, dans le cas d’Aubert & Duval, un industriel français a fait part de son intérêt, indiquait au printemps La Tribune. En l’occurrence, Safran, qui aux yeux de l’État français ferait figure d’«acquéreur idéal». Un «industriel de confiance», sur lequel la France a quelque peu perdu la main. En effet issu de la privatisation «en douceur» lors de sa fusion avec le groupe familial Sagem, le groupe industriel n’est à présent plus qu’à 20% détenu par l’État, suite à la fonte en une dizaine d’années de sa participation et de celle des salariés au capital du nouveau groupe, ainsi que du désengagement d’Areva.

20% de participation, soit à peu près ce que détient l’État dans… Eramet. Actionnaire à 25%, l’État français, qui surveillerait la vente d’Aubert & Duval –qui pourrait s’avérer embarrassante– est donc le deuxième actionnaire de la maison-mère derrière la famille Duval (33%).

L’État ne vole au secours… que des PME et start-ups

Cette implication directe n’est pourtant pas le seul levier dont dispose l’État: il a également à sa disposition plusieurs fonds pour venir au secours des acteurs stratégiques fragilisés par la crise. Un premier, Definvest –géré par BPIfrance et doté de 100 millions euros de budget– devrait bientôt recevoir le renfort de Definnov, doté de 200 millions d’Euros, qui devrait être lancé par le ministère des Armées, relatent Les Échos.

Au rang de possibles chevaliers blancs, figure aussi le fond Ace Aero Partenaires et ses 630 millions d’euros lancé fin juillet. Un budget colossal dû à la participation, aux côtés de l’État et de ses 200 millions d’euros, de grands industriels du secteur: Airbus, Dassault et Thales, Tikehau Capital… et Safran.

Soldats français - Sputnik Afrique
Glock 17: l’armée française à la mode autrichienne
Les entreprises ayant besoin d’une béquille financière en ces temps de crise sanitaire mondiale sont légion. Car sur 800 entreprises de la Défense examinées par le ministère des Armées, 100 seraient dans une situation de «fragilité», indiquent Les Échos qui précisent qu’il s’agit là de PME et de start-up. Definvest a d’ailleurs déjà eu l’occasion de s’illustrer en prenant une participation dans Tethys, leader français des solutions pyrotechniques, associées à des dispositifs de micromécanique et d’électronique, qui équipent notamment les sous-marins et les missiles des armées françaises. Une entreprise du Var, employant une vingtaine de salariés pour un chiffre d’affaires de 3,5 millions d’euros. Un chiffre d’affaire bien loin des 700 millions d’euros réalisés par A&D et ses 4.000 employés répartis sur 14 sites.

Photonis non plus, n’avait rien de la start-up. Pour l’acquérir, Carlyle avait sans hésiter signé un chèque d’un demi-milliard d’euros, soit l’équivalent des participations cumulées de l’État à ce jour dans les trois fonds censés permettre aux entreprises stratégiques tricolores d’échapper à la prédation de leurs concurrentes étrangères.

Reste donc à savoir si, dans le cas d’Aubert & Duval, l’État français aura réellement les moyens d’empêcher un rachat par une entreprise étrangère si Safran venait à se désister.

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