C’est donc sans surprise que le 4 décembre l’OPA sur Latécoère, lancée en juin par le jeune fonds d’investissement Searchlight, immatriculé aux îles Caïmans, s’est couronnée de succès. En obtenant 62,76% du capital du champion français des aérostructures (tronçons de fuselage…) et des systèmes d’interconnexion (câblages, équipements embarqués…), le fonds américain n’obtient pas qu’un nouveau trophée à son tableau de chasse, ce sont surtout les brevets d’une entreprise particulièrement innovante dans un domaine hautement stratégique pour la France qui tombent dans l’escarcelle américaine.
En effet, Latécoère n’était pas simplement une «très belle entreprise» «stratégique», elle était surtout loin d’être une entreprise «musée», comme le rappelait récemment Laurent Izard, auteur de La France vendue à la découpe (Éd, 2019), auprès de nos confrères de Valeurs actuelles. Latécoère a beau avoir soufflé en 2017 sa centième bougie, elle multiplie les dépôts de brevet, souligne ainsi le normalien, aux yeux duquel cette cession touche à la «sécurité militaire» de la France.
Or, avec une prise de contrôle de l’équipementier par une société américaine, ce sont tous ses brevets qui tombent dans l’escarcelle des États-Unis. Des technologies développées en France viendront non seulement s’agglomérer à l’outil de puissance économique états-unien, mais elles feront également tomber sous le coup de l’extraterritorialité du droit US tous les appareils intégrant des composants développés par Latécoère. En effet, via la fameuse réglementation ITAR (International Traffic in Arms Regulations), les autorités américaines s’octroient le droit d’imposer à toutes entreprises à travers le monde de demander leur aval avant de procéder à l’exportation de matériels aéronautiques et de défense comportant des composants américains. Une loi d’un État étranger qui s’avère particulièrement contraignante pour les entreprises françaises et européennes, telles qu’Airbus, Thales ou MBDA.
Un aspect de cette opération de rachat sur lequel mettait en garde tant Laurent Izard que 17 députés (dont 14 issus de la majorité) de la Commission de la Défense nationale des forces armées. Ces derniers, menés par Jean-Charles Larsonneur, député LREM du Finistère, ont interpellé fin novembre le Premier ministre sur ce dossier, estimant qu’une «approche souveraine» devait prévaloir. Un argument de la menace que fait peser sur nos intérêts économiques l’extraterritorialité américaine qui devrait d’autant plus peser au sommet de l’exécutif que la France tient à réduire les dépendances de l’industrie de l’armement aux composants américains. Pourtant, il semble n’en être rien.
Un risque également mentionné par Laurent Izard, qui rappelle que face à ce type d’opération, des «garde-fous» juridiques existent pourtant, à commencer par le décret Montebourg, renforcé par la très récente loi Pacte. Pour l’heure, l’État a seulement demandé à l’Américain de laisser monter la société française de gestion d’actifs Tikehau Capital à 10% du capital de Latécoère, au titre du contrôle des investissements étrangers en France (IEF), une demande du gouvernement français à Searchlight qui pour l’heure reste lettre morte.
N’est-il pas étonnant qu’à l’heure où le gouvernement budgétise 10 milliards d’euros, mettant en garantie la vente de ses participations dans de grands groupes publics (ADP, Engie, FDJ), afin de constituer un fond pour financer la création de Start-ups innovantes, celui-ci ne trouve pas un centime pour empêcher que des fleurons français innovants, reconnus dans leur domaine d’expertise, ne se fassent racheter par des fonds étrangers?