Photonis, pépite française cédée aux Américains «sous conditions», une illusion d’optique?

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Photonis deviendra américain aurait décidé l’Élysée. Pour pallier la perte de souveraineté provoquée par la cession de cette entreprise stratégique, la France entend imposer au groupe américain des «conditions». Une stratégie qui, par le passé, s’est avérée peu concluante… en témoignent les fiascos des cessions d’Alstom et d’Alcatel-Lucent.

Photonis devrait bien passer sous pavillon US, ainsi aurait tranché l’Élysée, selon les Échos. La présidence de la République se serait saisie du dossier afin de mettre fin aux tergiversations tant des services de renseignement que des ministères des Armées et des Finances. Le Château aurait ainsi donné son «feu vert» à la vente de cette pépite française, leader mondiale de la vision nocturne, à l’américain Teledyne.

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L’annonce, en septembre dernier, de la mise en vente de la pépite technologique française par le fond de gestion Ardian (ex-AXA Private Equity) avait provoqué une levée de boucliers dans les rangs de l’opposition. Fournisseur de l’armée française, dont la technologie optique équipe jusqu’au télescope Hubble ainsi que le Grand collisionneur des hadrons du CERN, la cession de Photonis a trouvé un écho tout particulier dans un contexte de braderie des actifs industriels tricolore.

Alstom était le cas le plus médiatisé, l’exécutif des marcheurs avait par la suite –sans coup férir– laissé filer à l’étranger des champions tricolores, tels que le cimentier Lafarge, le parapétrolier Technip et l’équipementier Alcatel-Lucent. La tentative d’offrir sur un plateau le reste d’Alstom à son concurrent Siemens ou encore le départ acté de Peugeot dans l’escarcelle du conglomérat italo-américain Fiat-Chrysler sont venus ternir un peu plus le tableau, malgré les éloges médiatiques de ces opérations catastrophiques pour les intérêts français.

Ainsi, face à un Président qui donne le sentiment d’encourager la cession à des intérêts étrangers des plus beaux atouts économiques et industriels de la France, une entreprise comme Photonis qui équipe les forces spéciales françaises (ainsi qu’américaines) était devenue tout un symbole… en vain.

Aucun repreneur français ne se serait manifesté, en l’occurrence Thales et Safran. Notons toutefois que l’État français ne détient respectivement que 25,7% et 11,2% du capital de ces deux groupes, pour près de 35% et 17% des droits de vote. Dans le cas de Safran, l’entreprise peut-elle encore être considérée comme française? En termes de participations, les deux fonds d’investissement britanniques et américains TCI Fund Management Limited et BlackRock pèsent à eux deux plus que l’État français. Ainsi Teledyne est-il resté le seul repreneur en lice.

L’illusion de la «vente sous conditions»

Pour justifier sa décision et faire preuve d’un minimum d’autorité, l’Élysée aurait posé… ses «conditions». Mais que valent encore les «conditions» de la France?

An exterior view of the Alcatel-Lucent unit in Colombes, north of Paris, Tuesday Oct. 8, 2013. - Sputnik Afrique
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Le cas d’Alstom fut en la matière un cas d’école, un véritable camouflet infligé par l’entreprise américaine à François Hollande. Au printemps 2014, afin de faire pencher la balance faveur de son offre, le PDG de GE, Jeffrey Immelt, avait en effet promis au Président français de «créer 1.000 emplois nets supplémentaires industriels d’ici trois ans», soit un engament courant entre novembre 2015 et novembre 2018. Une belle offre pour un chef d’État socialiste.

Un objectif que n’atteindra pas GE, avec visiblement l’assentiment du ministère de l’Économie. Mieux, cinq mois après cette échéance, l’entreprise américaine présentait un plan de suppression de 1.044 emplois… un plan dont l’annonce aurait été sciemment reportée au lendemain des élections européennes, fin mai 2019. Cerise sur le gâteau, un mois plus tôt, Hugh Bailey était arrivé à la tête de General Electric France. En d’autres termes, l’ancien conseiller en charge du financement export d’Emmanuel Macron à Bercy, qui a conclu le rachat de la branche énergie d’Alstom par GE, se retrouvait aux manettes de cette même entreprise.

Autre exemple de belles promesses bafouées, celles de Nokia lors du rachat d’Alcatel-Lucent début 2016. «Il n’y aura pas de destruction d’emplois en France», assurait alors le ministre de l’Économie… Emmanuel Macron surenchérissant même, affirmant que «le nombre d’emplois sera le même et même d’avantage». Déjà en grande difficulté financière au moment de l’opération, le géant finlandais licencia à tour de bras dans l’Hexagone.

Par ailleurs, via sa filiale Alcatel Submarine Networks (ASN), la multinationale franco-américaine était alors leader mondial de la pose de câbles sous-marins, maîtrisant toute la chaîne, de leur conception à leur pose en passant par la maintenance. Des câbles par lesquels transitent 95% des communications mondiales 99% des flux intercontinentaux. Conscient des risques de complètement perdre la main sur un tel outil, l’État français avait tout de même exigé un droit de regard en cas de cession de ces fameuses activités par le géant finlandais… ce qui ne l’empêcha pas de remettre en vente ASN au plus offrant.

Espérant convaincre la firme finlandaise de revendre ASN à une entreprise tricolore, le temps que prirent les négociations avec les autorités françaises eurent le mérite pour le Finlandais d’observer grandir l’intérêt des GAFA dans ces câbles au cœur de l’Internet mondial et donc de décider à finalement conserver ASN dans ses filets, au grand dam des Français.

Après avoir vendu une activité stratégique au pire moment qui soit, la France tente depuis, avec l’aide d’Orange, de convaincre Nokia d’élargir l’actionnariat d’ASN et d’y faire rentrer la banque publique Bpifrance.

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Faire rentrer Bpifrance au capital… de Photonis, voilà d’ailleurs l’une des «conditions» qu’aujourd’hui l’État français pose à Teledyne. S’ajoutent à cela «la création d’un comité de sécurité interne», composé de membres de Ballard et Bercy, et une liste à la Prévert: «investissement des bénéfices en recherche et technologie en France, choix des développements technologiques ou encore conservation des emplois et de l’implantation» du site de Brive-la-Gaillarde, qui pèse pour plus de la moitié des emplois du groupe (500 sur 1.000), énumèrent Les Échos.

De plus, afin d’éviter d’être soumise aux normes ITAR, la France souhaiterait interdire la transmission –vers Teledyne aux États-Unis– des informations sensibles, telles que celles relatives à l’utilisation du matériel sur les théâtres d’opérations.

Reste à savoir si sur ce point la France aura les reins assez solides pour résister à l’impérium juridique américain, qu’il s’agisse de l’extraterritorialité du droit US lui-même, ou tout simplement pour parer certaines mesures tel que le Cloud Act, qui permet aux autorités américaines d’accéder aux données stockées sur des serveurs d’entité américaine partout à travers le monde.

Reste surtout à savoir si Teledyne va accepter les conditions françaises et davantage les respecter que son compatriote GE ou que le finlandais Nokia ne l’avaient fait en leur temps.

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