Rachat de Suez, «l’hypocrisie» du gouvernement: «Engie veut vendre parce que l’État lui demande»

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Veolia est en passe de mettre la main sur son concurrent Suez. Un tour de force permis par la cession d’Engie de sa participation dans le groupe de gestion de l’eau et des déchets. Loïk Le Floch-Prigent dénonce «l’hypocrisie» du gouvernement dans cette affaire qui se soldera selon lui par une nouvelle disparition d’un champion industriel tricolore.
«S’ils acceptent d’être des cruches, tant pis pour eux!»

Dans un entretien à Sputnik, Loïk Le Floch-Prigent, ex-président d’Elf Aquitaine, de la SNCF et de GDF, ne mâche pas ses mots contre ceux qui croient à la communication gouvernementale entourant le dossier Suez-Veolia-Engie.

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Lundi 5 octobre, le conseil d’administration d’Engie votait la cession à Veolia de 29,9% de ses 32% de participation dans le groupe Suez, scellant ainsi le sort de ce fleuron français de l’eau et du traitement de déchets. Désormais, celui-ci sera à la merci d’une OPA hostile de son concurrent sur le reste de son capital. Une cession qui aurait été réalisée contre l’avis des représentants de l’État.

Un «geste rare», une «gifle», une «baffe historique» d’Engie à l’État actionnaire, peut-on lire depuis dans la presse. «Je ne défie pas l’État», affirme, dans un satisfecit publié dans Le Monde, Jean-Pierre Clamadieu, nommé président du conseil d’administration d’Engie par… Emmanuel Macron. Au même moment, sur France Info, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, insistait sur la «constance» de la position de l’État dans ce dossier, et appelait à la reprise du dialogue entre les deux groupes industriels pour trouver un «accord à l’amiable». En somme, une situation totalement ubuesque.

«Tout cela n’est que de l’hypocrisie! il est clair que s’ils ne veulent pas que Clamadieu vende, il suffit de lui dire, puisqu’il est aux ordres de l’État!» tranche sans ambages Loïk Le Floch-Prigent «il faut revenir au problème de base: pourquoi Engie veut-il vendre? Parce que l’État lui demande de vendre, parce qu’il a envie qu’Engie ait un cours de bourse plus élevé», insiste-t-il au micro de Sputnik.

Pour cet ancien directeur de cabinet de Pierre Dreyfus, ministre de l’Industrie du gouvernement Mauroy, cette cession de Suez par Engie s’inscrit dans le projet de privatisation d’Engie. Actuellement actionnaire à hauteur de 23,6%, le gouvernement souhaiterait ramener sa part à 15% dans le capital de l’énergéticien. Loïk Le Floch-Prigent appelle ainsi à prendre du recul par rapport au bras de fer qui oppose les dirigeants de Suez et de Veolia «forcés de se bagarrer», et qui polarise l’attention des médias. Notre interlocuteur n’y va pas par quatre chemins: dans la mesure où le gouvernement veut qu’Engie vende Suez et qu’il a conscience que le seul repreneur en France est Veolia, c’est qu’il approuve cette opération.

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«Une journée de dupes», du 5 octobre, sur laquelle revient longuement Mediapart. Le site d’information jette la lumière sur les coulisses du conseil d’administration d’Engie qui a scellé le destin de Suez, notamment sur la manière dont le fond Ardian, qui faisait de l’ombre à Veolia avec une offre garantissant l’intégrité de Suez, a été poussé à jeter l’éponge. Mediapart revient surtout sur la manière dont le secrétaire général de l’Élysée serait directement intervenu afin de dissuader deux représentants syndicaux de voter contre la cession de Suez.

«Alexis Köhler a téléphoné aux représentants de la CFDT pour leur demander de ne pas participer au vote», relate le média en ligne, citant une source au sein du palais présidentiel. Une information qui avait fuité sur les réseaux sociaux le 5 octobre dans la matinée et qui a été «formellement» démentie par l’Élysée ce 7 octobre.

​Aux yeux de Le Floch-Prigent, cette situation est révélatrice d’un problème de fond de l’industrie en France, déjà illustré lorsque Bouygues avait décidé de vendre ses participations au capital d’Alstom: l’absence de capitalisme dans le pays.

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«Il y a des familles, comme Bouygues, Dassault, etc., et lorsque ces familles ne sont plus là, il n’y a plus de capitalisme», regrette-t-il. «Si jamais Engie veut vendre son stock, il n’y a pas de Français capables de le racheter», insiste-t-il. L’ancien capitaine d’industrie renvoie aux temps où, en matière d’industrie, des personnalités visionnaires offraient à l’État les moyens de ses ambitions:

«Il y a eu de grands mouvements de capitalisme en France, il y a eu par exemple le président du Crédit lyonnais, Monsieur Germain, qui a structuré une partie de l’industrie française, en particulier dans la région de Lyon. C’est le Crédit lyonnais qui a fait ça en mettant de l’argent des épargnants dans l’industrie, parce qu’on y croyait et parce que l’industrie était rémunératrice», développe Loïk Le Floch-Prigent.

Ce désintérêt de la force publique vis-à-vis du secteur industriel s’explique, selon lui, en partie par son manque de rentabilité, lui-même provoqué par une pression fiscale bien trop élevée dans l’Hexagone.

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Quant à la volonté de créer «un champion national de l’eau et des déchets», remise en avant par Bruno Le Maire sur les ondes du service public, elle ne serait qu’«un argument de vente dans une politique de communication pour les nuls», balaie de Loïk Le Floch-Prigent. En effet, les règles européennes en matière de concurrence imposeront le démantèlement et la revente des actifs de Suez afin d’empêcher tout monopole. «Une fois que Veolia aura racheté Suez, il n’y aura pas d’autre solution, donc on perd un point de compétitivité», regrette-t-il.

En somme, cette opération n’aboutira pas à un renforcement significatif de Veolia, qui restera le n° 1 du secteur, mais à une nouvelle disparition pure et simple d’un fleuron industriel tricolore. 

«On n’avait pas besoin d’un grand mondial, il suffisait de garder les deux», souligne avec amertume Le Floch-Prigent.

Un «bilan coût -avantage» sur lequel s’interroge également le député Les Républicains (LR) Olivier Marleix. Dans une tribune parue le 4 septembre dans Les Échos, l’ancien président de la commission d’enquête parlementaire sur les décisions de l’État en matière de politique industrielle, qui s’intéresse notamment à la cession de la branche Énergie d’Alstom, accuse par ailleurs les protagonistes de collusion:

«Suez devra céder ses activités dans le secteur de l’eau à un fonds d’investissement. Meridiam est annoncé, sans expérience dans ce secteur, mais dont le propriétaire a l’atout sérieux de s’être investi dans la campagne du candidat Macron», souligne notamment le député.

Un soutien politique –et financier– de la campagne d’Emmanuel Macron que met également en avant Arnaud Montebourg: «Je comprends surtout, comme tous les observateurs avertis que cette affaire ressemble à une distribution oligarchique d’avantages dans un cercle restreint d’amis privilégiés du pouvoir», lâche l’ancien ministre socialiste dans une lettre adressée à Jean Castex.

​Par l’habituelle suppression des doublons lors des fusions-acquisitions, ou afin de se conformer aux règles de Bruxelles en matière de concurrence, Arnaud Montebourg rappelle que la casse sociale sera inéluctablement au rendez-vous de cette opération «ne relevant pas à l’évidence de l’intelligence collective.»

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«Le démantèlement de l’unité de Suez –vous le savez– conduira à la vente et la dispersion de 75% des activités de Suez en France afin de respecter le droit de la concurrence», insiste l’ex-patron de Bercy auprès du Premier ministre.

Arnaud Montebourg évoque également les «opportunités de prises de guerre» que pourrait offrir aux Chinois ce démantèlement. Autre point à craindre, selon l’ancien ministre: le gel de l’innovation, résultat à prévoir du fait des exigences de rendement des repreneurs, ces derniers n’ayant par ailleurs aucune expertise dans le domaine de Suez. Une issue que craint également Le Floch-Prigent, qui rappelle la reconnaissance internationale dont jouit Suez pour son expertise dans le domaine de l’eau.

«Distribution oligarchique d’avantages» ou «politique de gribouille»?

Ironie du sort, cette casse sociale devrait mécaniquement peser sur les finances de l’État. Des pertes de recettes fiscales et des licenciements sont à craindre, ce qui devrait en partie restreindre –voire annuler– le bénéfice que ce dernier pourrait tirer de toute l’opération. «C’est ce qu’on appelle une politique de gribouille […] c’est à se tirer des balles», lâche Le Floch-Prigent.

Bien qu’il ne croie aucunement à la théorie d’un retour d’ascenseur de l’ancien candidat à ses soutiens de campagne, l’ancien PDG s’attarde sur le fait que tout le monde ne sera pas perdant. Cette opération, comme précédemment pour Alstom ou Technip, va garantir des émoluments confortables à tous les intermédiaires, banquiers et avocats d’affaires et en tête.

«Je remarque simplement que les gens qui dépècent l’industrie mangent de la langouste et du caviar pendant qu’on mange du rutabaga.»
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