L’Europe, paillasson d’un monde libre-échangiste?
Achat d'acier turc, de fibre chinoise ds le cadre de marchés publics français, sans réciprocité : les Turcs et Chinois réservent leurs MP à leurs entreprises.
— Coralie Delaume (@CoralieDelaume) August 23, 2020
Pr rappel, tx d'ouverture des MP :
- UE : 90%
- USA : 28%
- Canada : 16 %
Nois sommes les ânes de la mondialisation. pic.twitter.com/Te7yVo21fI
En matière d’ouverture des marchés publics, les chiffres sont sans appel: avec 95% d’ouverture pour 352 milliards en 2012, l’Union européenne caracole en tête. La Corée du Sud tient la deuxième place avec 65%, bien loin devant les États-Unis –que l’on dit pourtant chantre du libéralisme– qui donnent accès à 32% de leurs marchés publics aux entreprises étrangères (179 milliards).
Le Canada du très libéral Justin Trudeau fait encore deux fois moins, avec seulement 16%. Quant à la Chine, au Brésil, à la Turquie et à la Russie, s’ils étaient alors pointés du doigt pour l’ouverture quasi inexistante de leurs marchés publics aux entreprises étrangères, l’Australie ne faisait pas mieux. Des chiffres issus d’une proposition de résolution sur la réciprocité du Sénat, déposée en 2012, afin d’endiguer le phénomène. Un texte illégal au regard des traités européens, qui prévalent sur les lois nationales.
L'UE, seule à vraiment jouer le jeu du libéralisme
Ce libéralisme des Européens est-il autant sans contrepartie qu’il y paraît? À rebours des idées reçues, l’UE tirerait bien son épingle du jeu du libre-échange:
«L’Europe dans son ensemble est excédentaire. L’Europe s’est bien moins désindustrialisée que les États-Unis», précise à Sputnik David Cayla, professeur d’économie à l’université d’Angers.
Mais il faut y regarder de plus près, car certains pays tirent mieux leur épingle du jeu que d’autres. C’est tout particulièrement le cas de l’Allemagne, qui demeure depuis plusieurs années le pays avec le plus fort excédent commercial au monde, devant la Chine. Elle est suivie par l’Irlande, les Pays-Bas et l’Italie, celle-là même que nous percevons comme l’un des canards boiteux de l’UE.
Face à ces pays qui parviennent à s’imposer comme des acteurs de la mondialisation, d’autres la subissent, comme la France. Au dumping social des pays de l’Europe de l’Est, s’ajoute une attitude des administrations où «on achète forcément aux pays les moins chers».
En effet, favoriser les entreprises nationales (et même européennes) est interdit par les traités. Un contresens historique total, pour David Cayla. De la manufacture Saint-Gobain restructurée par Jean-Baptiste Colbert afin de réaliser la Galerie des Glaces du château de Versailles au mastodonte de l’aéronautique Airbus, l’économiste rappelle que la commande publique a toujours été un important outil de politique industrielle en France. Un outil dont elle est aujourd’hui privée.
L’UE, une construction française qui dessert la France
Pour ce dernier, il faut d’abord se replonger dans le contexte de 1986. Une année où, de l’autre côté de l’Atlantique, le prix Nobel d’économie Milton Friedman plaidait «pour inscrire le libre-échange dans la constitution des États-Unis, alors même que les États-Unis étaient confrontés à la concurrence du Japon.»
«On tendait vers ça, on considérait qu’il y avait un consensus scientifique à ce niveau-là –c’est-à-dire pour l’ouverture sans contrepartie du commerce– et notamment pour éviter d’utiliser la dépense publique comme outil de politique industrielle», précise encore le professeur de faculté.
Ainsi, si ceux qui ont négocié les traités européens ne voulaient pas nécessairement le «mal de la France», ces élites auraient en revanche péché par ignorance de la chose économique. D’où l’aberration de priver l’Hexagone de l’un de ses principaux leviers de politique industrielle.
«Il y a dans la pensée économique un oubli total de ces traditions, de ces institutions nationales, c’est-à-dire que les personnes qui ont négocié ces traités étaient imbibées d’une vision de l’économie très abstraite», estime David Cayla.
Une situation qu’a également vécue l’Italie, qui fut privée quant à elle des dévaluations monétaires.«On a considéré que les pays étaient similaires, que tout était interchangeable», regrette l’économiste, qui estime que «la pensée économique n’est pas à la hauteur, en particulier en France.»
«Il y a une concomitance à la fois de la contrainte européenne et d’élites françaises qui n’ont toujours pas compris comment fonctionnait leur propre économie», résume David Cayla.
Une tare qui perdurerait encore aujourd’hui. En guise d’illustration, l’économiste prend l’exemple récent du plan de relance européen de 750 milliards d’euros qu’Emmanuel Macron a promu tant qu’il a pu. «Donner de l’argent à tout le monde, ce n’est pas une politique industrielle», tacle-t-il.
Plan de relance de l’UE: «ce n’est pas une politique industrielle»
«L’effort de la France n’est pas pertinent par rapport à ses besoins économiques. Concrètement, ce plan ne va pas bénéficier à la France, il va bénéficier à l’Italie, à l’Espagne, aux pays d’Europe centrale et orientale, mais la France va se retrouver contributeur net! Encore une fois, c’est l’idéologie qui domine sur le pragmatisme», conclut David Cayla.
Pour lui, deux solutions s’offrent ainsi aux Français: soit la France adapte sa compétitivité aux traités qu’elle a elle-même négociés, «ce qui devrait prendre encore plusieurs décennies», soit elle les déchire et quitte l’UE pour recouvrer l’usage de ses leviers économiques.