Maroc: Oxfam appelle à la taxation des riches au profit des pauvres

© AFP 2024 FADEL SENNAUne famille marocaine sans logement
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L’idée de taxer les plus aisés pour aider les plus démunis refait surface au Maroc. Dans ce contexte inédit de crise sanitaire et socioéconomique liée au Covid-19, c’est l’ONG internationale Oxfam qui relance le débat. Analyse.

«Un impôt obligeant les plus fortunés à mettre la main à la poche est plus que jamais nécessaire.» Oxfam lance à qui veut l’entendre cet appel, qui sonne comme un slogan de campagne électorale, par le biais d’une nouvelle étude intitulée «Pour une décennie d’espoir et non d’austérité au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Vers une reprise juste et inclusive pour lutter contre les inégalités».

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Dans ce document de 32 pages, l’ONG, qui lutte contre les inégalités de toutes sortes, estime qu’une taxe sur la fortune serait la solution pour «réduire les injustices criantes dont souffre la région MENA et pour sortir ses pays de l’austérité ambiante observée au fil des années». Pour étayer leur plaidoirie, les auteurs de l’étude ont dû sortir la calculette.

«Si la Jordanie, le Liban, l’Égypte et le Maroc avaient mis en place des impôts sur la fortune nets de seulement 2% à partir de 2010, cela aurait généré un total d’environ 42 milliards de dollars, soit plus que tous les prêts du FMI à l’Égypte, au Maroc, à la Jordanie et à la Tunisie entre 2012 et 2019 réunis», argumentent-ils. 

21 milliardaires au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, tous des hommes, ont vu leur fortune augmenter de près de 10 milliards de dollars pendant la crise sanitaire. C'est presque le double du montant estimé pour la reconstruction de Beyrouth après la récente explosion.

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Concernant spécifiquement le Maroc, l’organisation explique avec pédagogie que «si un impôt de solidarité sur la fortune nette avait été adopté à 5%, les revenus générés en 2019 auraient pu être suffisants pour presque doubler les dépenses du Maroc pour sa riposte à la pandémie». Même une taxe à 2% sur la fortune, schématise l’ONG, aurait permis de «lever plus de 6,17 milliards de dollars entre 2010 et 2019».

«Cette somme aurait pu être mobilisée pour élargir la couverture de l’assurance maladie obligatoire (AMO) à 7,5 millions de personnes, doublant ainsi la population couverte dans le pays, sans pour autant impacter considérablement les dépenses publiques», avancent les auteurs de l’étude.

Ces exemples étant lancés à la face des responsables concernés, Oxfam plaide pour un renforcement des services publics, notamment de santé et d’éducation, afin de protéger les citoyens les plus vulnérables. En plus de sa recommandation à diriger les investissements vers ces secteurs, elle estime que taxer les grandes fortunes de la région MENA pourra renforcer les garanties d’emplois décents pour tous.

Une fausse bonne idée?

Interrogé par Sputnik sur l’efficience et la faisabilité de cette «réforme», l’économiste marocain et président du Centre indépendant des analyses stratégiques Driss Effina est catégorique.

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Il estime que la taxe sur la fortune n’est pas et n’a jamais été la bonne solution pour résoudre le problème structurel des inégalités, même au niveau international.

«Les règles fiscales qui s’appliquent de la même manière aux entreprises comme aux individus ne doivent pas être sélectives. Il ne faut pas qu’elles ciblent certaines catégories et pas d’autres. La taxe sur la fortune va seulement engendrer des phénomènes tels que la fraude en matière de déclaration des revenus qui sont déjà sous-déclarés», soutient Effina.

Pire, s’en prendre fiscalement aux riches pourrait être contre-productif, selon l’économiste marocain.

«Taxer les catégories qui investissent le plus aura pour conséquence directe la réduction du taux d’investissement, ce qui se traduira forcément par un ralentissement du développement», analyse-t-il.

Cette analyse pourrait expliquer le manque d’enthousiasme que suscite la taxe sur la fortune dans le royaume, à chaque fois que le sujet est abordé. En juin dernier, alors qu’Oxfam était en train de préparer son étude, l'Union socialiste des forces populaires (USFP) avait tenté d’en faire son cheval de bataille.

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«La participation des contribuables les plus fortunés du pays par un impôt de solidarité pourrait servir de matelas de sécurité, face au creusement du déficit public en cette crise sanitaire», avait lancé la formation politique marocaine de gauche dirigée actuellement par Driss Lachgar. Ce dernier s’est vite rendu compte que le sujet ne parle pas à grand-monde. Il a donc changé son fusil d’épaule. 

Revoyant les termes de ce débat, à peine audible, Driss Effina recommande plutôt l’adoption d’une méthode de répartition universelle basé sur l’amélioration du salaire minimum garanti et la création massive d’emplois.

«Il faut aussi réformer le système fiscal pour le rendre plus performant. Plusieurs niches existent et nécessitent seulement leur fiscalisation pour avoir plus de ressources», conclut le président du Centre indépendant marocain des analyses stratégiques.

Ascenseur social à sens unique

En attendant de trouver la bonne formule pour réduire les inégalités, les riches s’enrichissent encore plus et les pauvres s’appauvrissent davantage. La preuve: les 21 milliardaires que comptent le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord ont vu leur fortune «augmenter de près de 10 milliards de dollars depuis le début de la crise sanitaire», alors que «près de 45 millions de personnes sont menacées de basculer vers la pauvreté à cause de la pandémie», selon Oxfam.

«37 particuliers milliardaires dans la région possèdent autant de richesse que la moitié inférieure de l’ensemble de la population adulte […] entre 2010 et 2019, le nombre d’individus à fort revenu net ayant des actifs de 5 millions de dollars ou plus en Égypte, en Jordanie, au Liban et au Maroc a augmenté de 24%, et leur richesse combinée a progressé de 13,27%, passant de 195,5 à 221,5 milliards de dollars», détaille l’ONG.

Ce déséquilibre pourrait largement s’accentuer par ces temps de crise sanitaire. Plus de «45 millions de personnes dans la région MENA pourraient plonger dans la pauvreté, entraînant des pertes massives en termes d’emplois et de revenus», alerte l’organisation dans son étude.

Face à ce risque de paupérisation massive qui menace le Maroc comme les autres États de la région MENA, les grosses fortunes du royaume ont sorti leur carnet de chèques, à la mi-mars, pour contribuer au fonds spécial créé dans le pays à l’initiative du roi Mohammed VI afin de juguler les dégâts colossaux de la crise du Covid-19. Cette solidarité n’a pas duré longtemps, le gap abyssal qui sépare riches et pauvres au Maroc continue donc de se creuser.

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