«Sauf cataclysme, on s’achemine vers un rejet de l’appel interjeté par la procureure Fatou Bensouda et la confirmation de l’acquittement prononcé par la chambre de première instance, et donc la fin du procès dans les semaines à venir.»
C’est le verdict prémonitoire prononcé par l’Observatoire ivoirien des droits de l’Homme OIDH. Cette ONG ivoirienne, l’une des plus importantes du pays, a des yeux et des oreilles à La Haye depuis l’ouverture des procès Gbagbo et Goudé. Pour elle, l’élargissement définitif des deux coaccusés les plus célèbres de la Côte d’Ivoire ne fait aucun doute.
Cette décision de la Cour est survenue après huit ans de procédure, l’audition de 82 témoins, 231 journées d’audiences et des milliers de pièces dont des documentaires et vidéos. Toutefois, la procureure Fatou Bensouda avait interjeté appel de ce jugement en septembre 2019.
Un procès pour rien mais pas inutile
«C’est un procès pour rien!» C’est en ces termes que Stéphanie Maupas, journaliste française à La Haye, panéliste à un débat organisé par l’OIDH en juillet 2019 à Abidjan, avait résumé la comparution de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé devant la CPI.
Interrogé par Sputnik, Christiano Mel Aké, chargé à l’OIDH du projet de monitoring de la justice pénale internationale en Côte d’Ivoire, partage l’avis de la journaliste mais le nuance toutefois:
«Le procès de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé n’a pas été inutile, il nous a permis à tous de nous apercevoir des faiblesses au sein de la CPI, notamment au niveau de l’instruction qui, dans ce cas d’espèce, a été bâclée. Il est vraiment surprenant et décevant de voir une cour internationale présenter de telles lacunes sur des questions de procédure.»
Ces lacunes, selon Christiano Mel Aké, ont notamment consisté en une «instruction peu approfondie avec des failles ayant abouti à une série de témoignages peu cohérents, des pièces à conviction peu fiables, peu crédibles, fragiles et quelques fois étrangères à la situation», mais aussi en «l’absence criante» de preuves pour attester la théorie principale de la procureure qui reposait sur l’existence d’un plan commun des coaccusés pour exterminer les populations originaires du nord de la Côte d’Ivoire, réputées favorables à Alassane Ouattara.
«L’appel démontrera que la chambre de première instance a commis des erreurs de droit et de procédure qui ont abouti à l’acquittement de [Laurent] Gbagbo et de [Charles] Blé Goudé pour tous les chefs d’accusation», justifiait dans un communiqué, publié en septembre 2019, le bureau de la procureure.
Par ailleurs, parallèlement au procès Gbagbo qui tirerait à sa fin, Christiano Mel Aké a souligné «la nécessité de poursuites équitables» sur les violences de 2010-2011.
La crise postélectorale s’est déclenchée après que le Président sortant, Laurent Gbagbo, reconnu vainqueur par le Conseil constitutionnel, et Alassane Ouattara, reconnu également comme tel par la Commission électorale indépendante (CEI, la structure chargée des élections), ont chacun revendiqué la victoire à la présidentielle de novembre 2010. Les violences armées entre leurs partisans ont fait plus de 3.000 morts.
Si des enquêtes de la CPI ont également ciblé le camp des vainqueurs, pour l’heure, seules celles visant le camp Gbagbo ont donné lieu à des procès.
«Nous demeurons dans l’expectative des conclusions des enquêtes ouvertes contre l’autre camp. Le bureau de la procureure les annonçait pourtant imminentes», a déclaré Christiano Mel Aké.
En attendant, les victimes la crise continuent d’espérer justice et réparation.
Un retour au bercail semé d’embûches
Avec la levée des mesures de restriction décidée le 28 mai 2020 par la CPI, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé sont désormais libres de regagner la Côte d’Ivoire.
Tous deux en ont d’ailleurs exprimé le désir aux autorités ivoiriennes, qui semblent peu favorables à leur retour, à moins de trois mois de la présidentielle de novembre pour laquelle sont pressenties les candidatures de Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, dont le troisième mandat s’annonce pour le moins controversé.
La demande d’un passeport ordinaire et d’un laissez-passer, introduite par Laurent Gbagbo le 28 juillet auprès de l'ambassade de Côte d'Ivoire à Bruxelles, où il réside, reste pour l’heure sans suite.
Cela dit, s’ils ont été acquittés par la justice internationale, Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé demeurent condamnés, chacun, à 20 ans de prison par la justice de leur pays.
Ces peines écopées respectivement en 2018 et 2019 lors de procès par contumace sont assorties d’une privation de leurs droits civils et politiques qui justifie, selon le président de la CEI Ibrahime Coulibaly-Kuibiert, leur retrait de la liste électorale récemment publiée.
«Il serait souhaitable qu’en cette période de haute tension des mesures soient prises dans le strict intérêt de la paix sociale et de la réconciliation nationale, afin que ces citoyens ivoiriens regagnent leur pays, prennent leur place et participent aux efforts de réconciliation nationale. Il y a un temps pour se quereller, un temps pour la justice et un temps pour se réconcilier. Ainsi, il est souhaitable que les décisions et mesures visant à surseoir aux poursuites et condamnations les ciblant soient encouragées», a conclu Christiano Mel Aké.