En Tunisie, l’actualité politique est dominée par le casting pour le poste de chef du gouvernement. Il s’agit de trouver un remplaçant à Elyès Fakhfakh, embourbé dans une affaire de conflit d’intérêts et qui a démissionné le 15 juillet dernier.
En vertu de la Constitution, le choix revient, in fine, au chef de l’État, qui doit se décider dans un délai de dix jours. Kaïs Saïed ne devra néanmoins trancher qu’au terme de consultations engagées avec les formations politiques. Partis et blocs parlementaires ont été invités à faire des propositions dans ce sens. Le dernier délai pour envoyer la liste des «nominés» à la présidence avait été fixé au 23 juillet, à minuit.
À en croire la liste qui a filtré sur quelques sites d’information comme Businessnews, certains noms ont été proposés par plus d’un parti politique et semblent, logiquement, mieux positionnés que d’autres dans cette course vers la Kasbah, siège du gouvernement tunisien.
Il s’agit notamment de Fadhel Adelkefi, ex-ministre du Développement et de la coopération internationale et ex-ministre des Finances, et de Khayem Turki, créateur du think tank Joussour, ancien cadre du parti Ettakattol (de tendance sociale-démocrate, qui faisait partie de la coalition au pouvoir de 2011 à 2013).
Ces deux candidats ont été suggérés notamment par le parti Ennahda, d’obédience islamiste, le parti Qalb Tounes –du sulfureux homme de médias Nabil Karoui–, ainsi que par le parti Tahya Tounes –de l’ex-chef du gouvernement Youssef Chahed.
Tahya Tounes semble miser sur plusieurs étalons. Parmi eux, l’ancien ministre des Finances Hakim Ben Hammouda, également proposé par le bloc parlementaire des «transfuges» de Qalb Tounes. Il a aussi suggéré l’ex-ministre de la Santé, puis de la Jeunesse et des Sports, Sonia Ben Cheikh, ainsi que… Wadie Jary, président de la Fédération tunisienne de football (FTF). Membre du parti de Youssef Chahed, Wadie Jary a néanmoins vu la nouvelle de sa candidature tournée en dérision sur les réseaux sociaux.
«Il ne manque plus que Nermine Sfar (une danseuse tunisienne connue pour ses tenues affriolantes et ses coups d’éclat sur Facebook, ndlr) à proposer pour le poste de chef de gouvernement», s’amuse l’auteur de cette publication.
Les dessous des concertations
Ces choix de candidats viennent à la suite des tractations intenses qui ont eu lieu au sein des partis et des blocs parlementaires. Loin de proposer chacun un ou plusieurs prétendants, une tendance a plutôt consisté à suggérer des noms communs, dans la perspective de faciliter le choix du Président de la République.
Dans une déclaration à l’agence officielle TAP (Tunis Afrique Presse), le 23 juillet, le président d’un bloc parlementaire Hassouna Nasfi a affirmé:
«Le but de ces négociations communes est de parvenir à choisir une personnalité consensuelle, capable de réunir le nombre requis pour obtenir le vote de confiance au Parlement.»
D’autres formations politiques ont toutefois refusé catégoriquement de prendre part à ces concertations. Il s’agit essentiellement de la Coalition Al-Karama, d’obédience islamiste, et du Parti destourien libre (PDL), qui se réclame de l’héritage bourguibien… et est, à ce titre, farouchement anti-islamiste.
Quant au PDL, il a campé sur sa position de ne pas participer à la désignation du chef d’un gouvernement dont fera partie Ennahda, contre lequel il mène une guerre ouverte au Parlement sur fond de conflit idéologique. Un principe qu’il avait déjà adopté lors des négociations précédentes ayant abouti au choix d’Elyès Fakhfakh.
«Ces concertations n’ont aucune utilité puisque, quelle que soit la personnalité du prochain chef du gouvernement et ses compétences, il ne pourra pas trouver de solutions à la situation de crise dans laquelle s’inscrit le pays», croit savoir Férid Laâlibi, universitaire et analyste politique, dans une déclaration à Sputnik.
«Nous avons à maintes reprises, depuis la révolution, vécu des négociations pareilles, sans pour autant aboutir à un gouvernement capable d’apporter des solutions aux revendications de ceux qui ont fait la révolution [emploi, justice sociale et dignité, ndr]», poursuit-il.
L’analyste rappelle «l’absence de vision et de programmes politiques» des précédents chefs de gouvernement, ce qui explique, selon lui, leurs «échecs répétitifs» à sortir la Tunisie de sa situation dramatique, accentuée aujourd’hui par les conséquences du contexte sanitaire. Avec un taux de croissance de -6% et un ratio de la dette extérieure de 60% du PIB, le pays vit, en effet, une crise économique sans précédent.
Le régime politique actuel, issu de la Constitution du 27 janvier 2014, est décrit comme mi-parlementaire mi-présidentiel. Des constitutionnalistes et analystes politiques appellent souvent à le changer en ce qu’il ne permet pas d’avoir une majorité forte au Parlement pour gouverner et ne garantit pas, par conséquent, une stabilité des institutions de l’État.
Selon la Constitution, le Président de la République a jusqu’au 25 juillet minuit pour annoncer son choix du prochain chef de l’exécutif. Ce dernier disposera, à son tour, d’un délai d’un mois pour composer son gouvernement et le présenter devant le Parlement afin d’obtenir le vote de confiance, comme le précise l’article 89 de la Constitution.