Tunisie: Pagaille au Parlement, le Président de la République menace d’intervenir

© REUTERS / Zoubeir SouissiLe Parlement tunisien
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Le Parlement tunisien est actuellement pris en otage dans le conflit entre le Parti destourien libre, ouvertement anti-islamiste, et Ennahda, d’obédience religieuse. Les altercations successives entre les deux mouvements bloquent le fonctionnement normal de l’institution. Un rappel à l’ordre par le chef de l’État s’est imposé.

Le spectacle est devenu quotidien à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP): des députés du Parti destourien libre (PDL, se réclamant de l’héritage du premier Président de la République Habib Bourguiba) font un sit-in sur place depuis le 10 juillet dernier, empêchant le bon déroulement des sessions plénières.

Leur demande, c’est la destitution du président du Parlement Rached Ghannouchi, qui est aussi le chef d’Ennahda, d’obédience islamiste. Ils contestent sa gestion qui ne respecte pas toujours le règlement intérieur de l’ARP.

Le dernier incident date du 20 juillet: deux députés du PDL ont fait irruption dans la salle où était organisée une journée d’étude autour de la bonne gouvernance, scandant des slogans comme «Non au terrorisme au Parlement» et filmant la scène. Malgré la confusion, le président de l’ARP a pu tenir son discours d’ouverture, non sans souhaiter «la mort aux ennemis de la démocratie» à la fin de son intervention.

Les députés d’Ennahda, de leur côté, n’ont pas manqué de réagir à la provocation et des disputes ont éclaté avec les membres du PDL, ce qui a mis fin à la session.

Des agents de la police judiciaire sont intervenus pour constater le blocage des travaux de l’ARP, compliquant davantage la situation. Abir Moussi, la présidente du PDL, a interpellé l'un d'eux afin de savoir s’il avait une autorisation du procureur de la République pour entrer dans l’hémicycle, enflammant encore l’atmosphère. Celui-ci étant en incapacité de produire ladite autorisation, la députée a crié au scandale dans une vidéo qu’elle a filmée et diffusée sur les réseaux sociaux.

«La police judiciaire entre dans l’ARP sans autorisation du parquet. Telle est la démocratie des Frères musulmans (en référence au parti Ennahda qui appartient à cette mouvance) qui ont rendu cela possible. Ils assument donc une responsabilité dans ce qu'il se passe.»

La police judiciaire est intervenue après deux plaintes, déposées par Rached Ghannouchi et son chef de cabinet Habib Khedher, contre les députés PDL pour «crime d'obstruction à la liberté de travail parlementaire».

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Le substitut du procureur près du tribunal de première instance de Tunis, Mohsen Dali, a déclaré à l’agence Tunis Afrique Presse (TAP), le 20 juillet, que la police judiciaire n’avait pas l’autorisation de lever le sit-in du PDL et que son intervention était dans le cadre «d’une enquête préliminaire afin de constater les crimes objets de la plainte».

Interrogée sur les requêtes déposées par le haut commandement d’Ennahda contre les membres du PDL et le risque de créer un antécédent par rapport à l’intervention des forces de sécurité dans ce «siège de souveraineté» qu’est le Parlement, la députée Ennahda Jamila Ksiksi a déclaré à Sputnik:

«Il faut que le parquet se mobilise et mette fin à la mascarade qui est en train de se passer à l’ARP. Il est inadmissible que des députés continuent à empêcher le déroulement des travaux du Parlement sans que rien ne soit fait! Personne n’est au-dessus de la loi! Et s’il faut faire usage de la force pour rétablir l’ordre au sein de la salle d’audience, que cela soit fait! Cela créerait un antécédent par rapport à la nécessité de respecter les institutions de souveraineté.»  

L’incident du 20 juillet n’est pas inédit. Il s’inscrit plutôt dans un contexte tumultueux. Le 16 juillet, Abir Moussi et des députés PDL ont décidé d’observer un sit-in dans le bureau du chef du cabinet Habib Khedher contre le refus de ce dernier de les recevoir et de donner suite à leur demande d’obtenir des documents relatifs aux réseaux de voyage des combattants tunisiens vers les zones de conflit. Un sujet sensible où la responsabilité des dirigeants d’Ennahda est souvent alléguée.

Le 10 juillet, une dispute a éclaté dans les couloirs du Parlement entre la présidente du PDL et celui de la coalition Al Karama, réputée proche d’Ennahda, Seifeddine Makhlouf. La députée a protesté contre la présence dans l’Hémicycle d’un des fondateurs de la coalition, un «révolutionnaire» radical qui avait été aux prises avec la justice.

Kaïs Saïed sonne la fin de la récréation

Excédé par ces incidents et par le climat de tension qui règne désormais à l’ARP, le Président de la République Kaïs Saïed a décidé de réagir. Il a convoqué le 20 juillet le président du Parlement Rached Ghannouchi et ses vice-présidents Samira Chaouachi et Tarak Fetiti. Dans une vidéo publiée sur la page de la présidence de la République, le chef de l’État s’est montré ferme en déclarant que «le Parlement ne peut plus exercer normalement ses fonctions et vit un état de chaos qui est inacceptable».

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Il a rappelé que son devoir est de «protéger l’État tunisien de l’effondrement» et qu’il n’hésitera pas «à utiliser les prérogatives que lui accorde la Constitution pour protéger les institutions de l’État, mais qu’il ne va pas y avoir recours pour le moment». Slim Laghmani, professeur en droit constitutionnel, explique à Sputnik:

«Le Président Kaïs Saïed fait référence à l’article 80 de la Constitution qui lui donne la possibilité de prendre les mesures nécessaires, en cas de circonstances exceptionnelles où les institutions de l’État sont bloquées. Il pourrait par exemple utiliser la force pour maintenir l’ordre. Il a tous les pouvoirs.»

Cet article prévoit «qu’en cas de péril imminent menaçant l’intégrité nationale et entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, le Président de la République peut prendre des mesures qu’impose l’état d’exception, après consultation du chef du gouvernement, du président de l’Assemblée des représentants du peuple et après en avoir informé le président de la Cour constitutionnelle [qui n’a toujours pas été mise en place, ndrl]».

Ces dispositions devraient garantir dans les plus brefs délais le retour au fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Durant cette période, l’ARP est considérée en état de session permanente. Mais le Président de la République ne peut pas la dissoudre.

Khaled Abid, historien et analyste politique, commente pour Sputnik la situation au Parlement et les agissements du PDL pour en bloquer le fonctionnement:

«La situation actuelle à l’ARP était attendue après les résultats des dernières élections législatives (octobre 2019) qui ont généré un paysage politique effrité empêchant les ententes entre les différents partis représentés. Ces résultats ont par ailleurs engendré une tendance vers la polarisation de ce paysage qui est devenue visible aujourd’hui, dans le bras de fer entre le bloc du PDL et le bloc d’Ennahda.»

L’historien rappelle aussi que la gestion controversée de l’ARP par son président Rached Ghannouchi a encouragé le PDL, hostile aux Frères musulmans, à monter d’un cran et à réagir de la sorte au Parlement, intensifiant ainsi la polarisation. 

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«C’est dans ce contexte qu’il faudrait comprendre les derniers agissements du Parti destourien libre», souligne-t-il.

Rached Ghannouchi a maintes fois suscité la polémique, que ce soit par rapport aux privilèges accordés à son chef de cabinet et neveu Habib Khedher, élevé au rang de ministre, ou encore à propos de ses agissements en matière de politique étrangère dans le conflit libyen, en dehors du respect du règlement intérieur de l’ARP.

Rappelons qu’une motion de censure parlementaire a été déposée contre le président de l’ARP le 16 juillet, après avoir collecté le nombre minimum de signatures requis qui est de 73 députés, auxquels se sont ajoutées plus tard celles des 16 députés du PDL. Tout l’enjeu aujourd’hui est de faire passer ce texte devant la séance plénière pour qu’il soit voté, ce qui nécessite, en tout, 109 voix.

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