Tunisie: Ennahdha réussira-t-elle à élargir le gouvernement?

© AFP 2023 FETHI BELAIDRached Ghannouchi, le président du Parlement tunisien, chef du parti islamiste Ennahdha
Rached Ghannouchi, le président du Parlement tunisien, chef du parti islamiste Ennahdha - Sputnik Afrique
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En Tunisie, le parti d’obédience islamiste Ennahdha n’a qu’une idée en tête: élargir le gouvernement pour inclure ses alliés au parlement. En cause: un différend avec ses alliés à la coalition gouvernementale qui s’est révélé depuis un vote sur une motion parlementaire contre l’ingérence étrangère en Libye. Réussira-t-il à le faire?

La séance plénière du 3 juin à propos du vote de la motion présentée par le Parti destourien libre (PDL - opposition), contre l’ingérence étrangère en Libye, restera dans les annales.

D’abord, elle a duré environ 20 heures et ne s’est achevée que le lendemain par le rejet de la motion. Ensuite, elle a été plutôt consacrée à demander des comptes au président du parlement, Rached Ghannouchi, sur ses relations proches et «ambiguës» avec Fayez el-Sarraj, Président du conseil présidentiel en Libye, et avec Recep Tayyip Erdoğan, notamment ses visites non déclarées en Turquie ou encore ses coups de téléphone de soutien aux responsables politiques libyens à Tripoli dans leur guerre contre le maréchal Khalifa Haftar.

Une démarche pouvant s’avérer problématique en donnant l’impression que la Tunisie a un parti pris dans le conflit libyen, alors que la position officielle du pays est la neutralité.

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En Tunisie, le président du Parlement Rached Ghannouchi accusé de vouloir «imposer son agenda»
La plénière a été houleuse et le ton était fort, frôlant les insultes à l’égard de Rached Ghannouchi, qui est aussi chef du parti Ennahdha.

Et bien que la motion ait été rejetée par le parlement, le résultat du vote a créé une forte animosité entre Ennahdha et deux de ses alliés dans la coalition gouvernementale: le mouvement Echâab, de tendance nationaliste arabe et le parti «Tahya Tounes», de l’ex-Premier ministre Youssef Chahed. En effet, ces deux partis ont voté pour la motion, alors qu’Ennahda s’y est opposée en invoquant que ce texte pourrait «toucher aux relations de la Tunisie avec d’autres pays», qui s’y trouvent explicitement mentionnés.

Les responsables d’Ennahdha n’ont pas manqué d’exprimer leur colère par rapport à un tel comportement, jugé comme «un poignard dans le dos» par le président de son bloc parlementaire, Noureddine Bhiri, dans une déclaration à Radio Mosaïque le 8 juin.

«Nous avons été trahis par certains députés du mouvement Echâab qui ont voté contre nous au parlement et se sont alliés au PDL. Donc, ceux qui nous considèrent comme des ennemis, doivent assumer la responsabilité de leurs actes», a-t-il souligné à la radio.

Le parti Ennahdha n’a pas cessé de ruminer sa colère depuis la fameuse plénière, comme en témoignent ses réactions successives. Dans un premier temps, le parti a refusé, le 5 juin, de signer le pacte de solidarité et de stabilité gouvernementale, en estimant que ce document n’avait plus de sens, puisque le mouvement Echaâb refuse de «faire preuve de solidarité au sein du parlement». Rappelons ici, que c’est Ennahdha qui était à l’origine de l’initiative de ce pacte, afin de mettre fin aux différends entre les partis composant la coalition gouvernementale.

Dans un deuxième temps, le parti islamiste a commencé à appeler à l’élargissement de la coalition gouvernementale, en intégrant Qalb Tounes, et la Coalition de la Dignité. Il s’agit de deux partis d’opposition (en ce qu’ils ont refusé d’accorder leur confiance au gouvernement) mais qui, paradoxalement, n’en demeurent pas moins les alliés d’Ennahda au sein de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).

Dans une interview diffusée le 8 juin sur la chaine télé Nessma, Rached Ghannouchi, chef du parti Ennahdha, est revenu sur l’épisode du vote sur la motion, affirmant que:

«ce qui est arrivé durant la plénière, à savoir des partis au pouvoir qui s’opposent entre eux, constitue une situation contre-nature qui ne peut pas continuer. Que le mouvement Echaâb et le parti Tahya Tounes votent contre Ennahdha, ce n’est pas naturel. Il est donc attendu que des changements aient lieu dans la structure du pouvoir pour que la majorité parlementaire soit conforme à la majorité gouvernementale».

Ghannouchi a été encore plus explicite, en appelant à changer la composition du gouvernement pour qu’il soit désormais composé des 1er, 2e, 3e et 4e partis qui ont gagné les élections législatives en 2019, à savoir Ennahdha, Qalb Tounes, le Courant démocratique et la Coalition de la Dignité, ce qui exclut le Mouvement Echaâb (6e position) et le parti Tahya Tounes (7e position).

Les chances potentielles d’Ennahdha

Ennahdha voudrait donc élargir la coalition gouvernementale pour inclure deux de ses fidèles alliés au parlement. Mais ira-t-elle jusqu’à faire tomber le gouvernement et remplacer Elyès Fakhfakh, l’actuel Premier ministre?

Khaled Abid, historien et analyste politique, explique à Sputnik qu’Ennahdha n’a pas de problème avec Elyès Fakhfakh, mais elle voudrait élargir la coalition gouvernementale et éloigner le Mouvement Echaâb et Tahya Tounes. Et pour cela, elle ne va épargner «aucun effort».

Le parti islamiste est allé jusqu’à menacer de quitter le gouvernement si jamais sa volonté n’est pas satisfaite. Une hypothèse qui n’est pas exclue, «si jamais il ne trouve aucun autre recours. Mais il n’a pas intérêt à le faire», note l’analyste «car au fond, il ne voudrait pas quitter le pouvoir, et il a peur que s’il retire ses ministres du gouvernement, ces derniers puissent être remplacés par d’autres provenant d’autres partis, y compris de ceux qui sont aujourd’hui dans l’opposition».

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Il est donc fort probable qu’Ennahdha brandisse la menace de quitter le gouvernement afin de faire pression sur Fakhfakh pour l’obliger à élargir son gouvernement. Mais ce n’est pas la seule arme qu’elle puisse employer.

«Elle chercherait, selon Khaled Abid, à casser l’alliance entre le Courant démocratique et le Mouvement Echaâb (qui composent un seul bloc parlementaire) en attirant vers elle, le premier qui s’est abstenu de voter contre elle, lors de la plénière du 3 juin», poursuit Abid qui estime que «cette alliance a déjà accusé un coup dur, car le Mouvement Echaâb s’est trouvé seul à faire face aux critiques virulentes de la part d’Ennahdha qui l’a accusé de s’allier avec "les ennemis de la révolution"», en allusion au PDL (l’héritier du parti Rassemblement constitutionnel démocratique de l’ex Président Zine El Abidine Ben Ali).

Cependant, des députés du Courant démocratique ont déclaré qu’il n’y a aucune intention de rompre l’alliance entre les deux partis. C’est ce qu’a annoncé la députée Samia Abbou, le 10 juin sur Radio Shems, en disant que «les deux partis seront ensemble dans le gouvernement et dans l’opposition».

Reste à savoir si Ennahdha réussira finalement à faire élargir le gouvernement.

«Il est difficile d’avancer des pronostics, pour le moment. Car cela dépendra de ce qui arrivera comme événements dans le pays prochainement. Une chose est sûre c’est qu’elle fera de son mieux dans ce sens», conclut Khaled Abid.

De son côté, Qalb Tounes, le parti de l’homme d’affaires controversé Nabil Karoui, semble donner ses conditions pour entrer dans le gouvernement. Yadh Elloumi, président de son bloc parlementaire a déclaré, le 10 juin sur Radio Med, que son parti «voudrait avoir sept portefeuilles ministériels dont celui de l’Économie, des Finances et de l’Industrie, pour accepter de faire partie du gouvernement».

En attendant de voir ce qui arrivera dans cette affaire qui agite la sphère politique, deux personnalités n’ont pas encore réagi, le chef du gouvernement, Elyès Fakhfakh, et le Président de la République, Kaïs Saïed. Les prochains jours révèleront plus, sans doute, sur leurs positions.

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