En Tunisie, la crise politique enfle et des appels à une «troisième République» émergent

© AFP 2024 FETHI BELAIDLe Parlement tunisien.
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Remise en question du système politique, appels à l’organisation d’un référendum et à la création d’une troisième République, le climat politique actuel en Tunisie menace d’exploser. Qu’en est-il?

Alors que la Tunisie semble sortir progressivement de la crise sanitaire avec un bilan qui voit décroître le nombre de cas (1.046 malades, 47 décès et 883 rétablissements), une autre crise voit le jour, au niveau politique cette fois-ci.

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Tout a commencé par des dénonciations de la part de certains partis d’opposition –dont notamment le PDL (Parti destourien libre), de tendance bourguibienne– de la gestion du Parlement. Les critiques sur le pouvoir «omnipotent» du Président de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) Rached Ghannouchi se sont multipliées, l’accusant «de vouloir mettre la main sur cette institution». Et progressivement, ce qui se limitait jusqu’alors à des altercations entre Abir Moussi, la présidente du PDL, et certains des députés des partis islamistes, s’est transformé en des appels à un retrait de confiance du président du Parlement et au lancement d’une pétition sur les réseaux sociaux pour enquêter sur sa «fortune» –qui a recueilli environ 15.000 signatures.

Par ailleurs, même des partis au sein de la coalition gouvernementale commencent eux aussi à accuser Ennahdha, et surtout son chef Rached Ghannouchi, de jouer un «double jeu» au Parlement et au gouvernement. C’est le cas du Mouvement Achaâb, de tendance nationaliste arabe. Son secrétaire général, Zouhaier Maghzaoui, a vivement critiqué le parti islamiste lors d’une intervention le 15 mai à la Radio nationale, en l’accusant d’avoir un pied dans le gouvernement et un autre dans l’opposition, faisant allusion à son rapprochement avec le parti Qalb Tounes et à la Coalition de la Dignité, tous deux dans l’opposition au sein de l’Assemblée.

Toutes ces critiques à l’égard du président de l’ARP et de son parti ont évolué vers une réelle remise en question de l’Assemblée et du système politique mixte (mi-parlementaire et mi-présidentiel), où le vrai pouvoir est entre les mains du Parlement.

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 Des appels ont été lancés sur les réseaux sociaux incitant à la dissolution de l’institution et des partis politiques, à la suspension de l’application de la Constitution et à la révision des lois postrévolutionnaires avant de les soumettre à l’adoption par un référendum populaire. Ces appels ont pris une telle ampleur que le parquet a ouvert une enquête judiciaire dans ce sens.

Certains partis d’opposition se sont saisis de l’occasion pour réclamer un changement de régime politique et la création d’une troisième République.

«L’actuel régime a montré ses limites et le paysage politique s’est pourri. La seule planche de salut, désormais, c’est le passage à une troisième République en abolissant le système actuel», a déclaré le 18 mai Mohsen Marzouk, président du parti Machroû Tounes, centriste, sur les ondes de la radio Mosaïque FM.

Le lendemain, 19 mai, Mongi Rahoui, député du bloc démocrate et d’obédience gauchiste, a annoncé clairement dans une intervention sur Radio Mosaïque FM également «que le régime actuel, à tendance parlementaire, a fait des dérapages et que le Parlement est devenu une institution qui instaure la dictature dans le pays et où se votent des lois contre l’intérêt du peuple tunisien». Il a donc appelé à revoir le système politique ainsi que le système électoral.

Rapprochement entre l’UGTT et le Président de la République

L’Union générale tunisienne du travail (UGTT), qui a historiquement joué le rôle du régulateur de la scène politique, n’est pas restée sur la touche devant ces agitations qui secouent le pays. Son secrétaire général, Noureddine Taboubi, a appelé, dans une déclaration à la Radio nationale le 18 mai, à l’organisation d’un référendum pour évaluer le régime politique actuel. Il a estimé que «la classe politique actuelle, qui s’appuie sur la légitimité électorale, devrait plutôt se pencher sur l’efficacité du système politique», tout en rappelant que «la légitimité est la souveraineté du peuple». Il rejoint dans sa position celle du Président de la République, Kais Saïed, qui a annoncé à plusieurs reprises sa volonté de changer le régime politique actuel, via l’amendement de la Constitution. D’où le rapprochement entre le chef de l’État et la centrale syndicale, qui s’est illustré par une rencontre le 14 mai, entre le Président de la République et les membres du bureau exécutif de l’UGTT.

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L’entrevue portait justement sur la situation politique tendue dans le pays. D’après certains observateurs, Saïed cherchait un allié stratégique pour le soutenir dans son projet d’amender la Constitution, surtout contre Ennahdha et ses acolytes qui sont contre.

«Il y a une vraie crise actuellement au niveau du modèle démocratique tunisien, ce qui explique les demandes de changement du régime politique. Les dernières élections législatives [octobre 2019, ndrl] ont donné lieu à un Parlement effrité sans une réelle majorité et donc qui n’est pas vraiment représentatif du peuple tunisien. D’où les appels à sa dissolution», explique à Sputnik Néji Jalloul, ex-directeur de l’Institut tunisien des études stratégiques (ITES).

Quant au régime politique actuel, il estime «qu’il était valable pour une période de transition, où on avait peur du retour de la dictature, mais aujourd’hui, il n’est plus possible de continuer avec un tel système qui rend le pays ingouvernable avec trois présidences» au Parlement, au gouvernement et la présidence de la République.

Faut-il donc organiser un référendum pour le changer? «Oui», répond l’ex-directeur de l’ITES, sauf que là aussi, il existe un problème, celui de la nécessité d’avoir une majorité des deux tiers par le Président de la République pour faire adopter la proposition du référendum, comme en dispose l’article 144 de la Constitution. Chose qu’il est loin d’obtenir, vu l’effritement du Parlement. Par ailleurs, la révision de la Constitution nécessite l’avis de la Cour constitutionnelle, qui est «inexistante».

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