Ennahda, le parti islamiste tunisien, bientôt privé de son leader historique?

© AP Photo / Hassene DridiRached Ghannouchi, président du parti islamiste tunisien Ennahda
Rached Ghannouchi, président du parti islamiste tunisien Ennahda - Sputnik Afrique
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En Tunisie, le Conseil de la Choura d’Ennahda, l’organe consultatif du parti islamiste, a décidé de la date de son prochain congrès, fin 2020. Un colloque qui ne verra visiblement pas la réélection du leader historique de son parti, Rached Ghannouchi.

Très attendue, la date du prochain colloque d’Ennahda a finalement été dévoilée. Initialement prévu en mai 2020, avant d’être reporté à cause du coronavirus, le 11e congrès se tiendra à la fin de l’année 2020 et marquera probablement un tournant dans l’histoire du parti islamiste, qui fête bientôt ses cinquante ans d’existence. En effet, son fondateur et actuel leader, Rached Ghannouchi, à sa tête depuis une trentaine d’années, n’a plus le droit de se représenter: l’article 31 de son règlement intérieur limite à deux le nombre de mandats successifs du président du parti.

Ce point a été longtemps une source de conflits à l’intérieur d’Ennahda entre ceux qui sont pour le départ de Ghannouchi et ceux qui souhaitent son maintien à sa tête. Mais visiblement, le Conseil de la Choura a statué sur la question.

«Le congrès se tiendra en fin de l’année. Il y a un consensus au sein d’Ennahda autour de la nécessité de respecter le règlement intérieur du parti qui ne permettra pas à Rached Ghannouchi de se représenter à sa tête. Celui-ci partage la même position», a déclaré Abdelkarim Harouni, président du Conseil de la Choura, lors d’un point de presse tenu le 29 juin concernant les décisions de la dernière réunion du Conseil.

Sans aller jusqu’à évoquer explicitement l’avenir du leader au sein du parti, Abdelkarim Harouni a indiqué que «Rached Ghannouchi joue un rôle important dans le pays [en tant que chef du Parlement] ainsi que dans le parti, et son prochain rôle au sein d’Ennahda sera discuté dans le cadre d’un dialogue interne, impliquant le personnage lui-même».

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Cette succession suscite la polémique au sein même d’Ennahda depuis le congrès houleux de 2016 qui avait révélé des conflits internes autour de sa gouvernance avec une remise en question ouverte, pour la première fois, du leadership de Rached Ghannouchi. Depuis, deux courants s’affrontent sur cette question.

«D’un côté, il y a ceux qui sont contre l’idée que Ghannouchi reste à la tête du parti. Cette mouvance compte dans ses membres l’actuel ministre de la Santé, Abdellatif Mekki –qui se considère comme l’héritier légitime de Ghannouchi–, l’ex-vice-président du parti Adelhamid Jelassi et le député Samir Dilou. D’un autre côté, ceux qui sont pour maintenir Rached Ghannouchi sont représentés par Abdelkarim Harouni, chef du Conseil de la Choura, Rafik Abdessalem, membre du bureau exécutif et gendre de Ghannouchi, et Noureddine Arbaoui, le président du bureau politique», précise à Sputnik Khaled Abid, historien et analyste politique.

Cette confrontation entre les deux courants a même engendré une série de démissions au sein d’Ennahda, dont celle d’Abdelhamid Jelassi, l’homme de l’appareil du parti, en mars dernier. Certains prévoyaient même une possible «explosion». «Rached Ghannouchi voulait rester à la tête du parti après le prochain congrès. Il a beau chercher à en faire accepter l’idée en marginalisant ses détracteurs et en rapprochant ceux qui lui sont favorables, il n’a visiblement pas réussi. La mouvance qui est contraire à ce projet est très puissante au sein d’Ennahda», affirme Khaled Abid.

Rappelons ici, par exemple, la modification apportée par Ghannouchi à une trentaine de listes électorales d’Ennahda en prévision des législatives d’octobre 2019. L’épisode avait, à l’époque, fait grand bruit. Des membres du Conseil de la Choura avaient alors signé une pétition, considérant que son acte avait pour objectif «d'écarter les esprits libres au sein du parti».

Un «rôle futur» à préciser 

Avec cette décision du Conseil de la Choura d’organiser le 11e congrès et de respecter le règlement interne du parti, les espoirs du leader historique vont-ils donc s’évaporer?

«Pas sûr», nuance Khaled Abid, car «Rached Ghannouchi essayera de manœuvrer encore pour se maintenir en position de force, rester comme une personnalité symbolique au-dessus des appareils du parti, mais qui continuerait, en même temps, à avoir toutes les ficelles entre ses mains».

C’est ce qui ressort d’ailleurs du communiqué du Groupe de soutien et de renouveau publié début mai par des partisans de Rached Ghannouchi. Tout en rappelant le rôle «historique» de ce dernier dans la création d’Ennahda et sa consolidation, la publication insiste sur «le rôle futur que devrait jouer Rached Ghannouchi dans l’accompagnement de la nouvelle situation de leadership du parti, après le 11e congrès», sans donner plus d’explications. Parmi les signataires, on trouve Abdelkarim Harouni, Rafik Abdessalem et Noureddine Arbaoui.

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Abdelkarim Harouni a déclaré, lors du point de presse, que ce «rôle futur» sera discuté au sein du parti avant le congrès et en présence de son président et que ce dernier était un homme démocrate qui respecte la loi et qui a encore beaucoup à donner à Ennahda et à la Tunisie. En attendant le colloque, «Rached Ghannouchi, qui n’est pas certain de conserver son poste de leader, fera tout pour se maintenir, au moins, à la tête du Parlement», conclut Khaled Abid.

Rappelons que la dernière réunion du Conseil de la Choura avait permis aussi de préciser la position d’Ennahda au sein du gouvernement en décidant de continuer à le soutenir malgré les soupçons de conflits d’intérêts impliquant son chef. C’était également l’occasion de se pencher sur le dossier libyen et d’insister sur la nécessité d’une solution interne au conflit et sur le refus de l’ingérence extérieure en Libye.

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