Une pluie d’informations vient de tomber à propos des discriminations que subissent les étrangers en Europe, et en France plus particulièrement. À ce sujet, coup sur coup, le Défenseur des droits et le Conseil d'analyse économique ont publié chacun leur rapport en France. Presque en même temps, au Maroc, le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME) a révélé les résultats d’une enquête sur le sujet, ciblant en particulier les Marocains d’Europe.
Les rapporteurs ont travaillé chacun selon sa méthode et son échantillon, mais tous sont parvenus aux mêmes conclusions. En Europe, et surtout en France, il est difficile pour un Maghrébin au teint et au nom typiques de trouver un travail, un logement ou d’évoluer dans son domaine d’activité de la même façon qu’un «Européen de souche». Les apparences religieuses compliquent, elles aussi, les choses.
Témoignages
Sputnik a recueilli les témoignages de trois Marocains résidant en France, où les langues se délient sur le phénomène plus qu’ailleurs.
Lamiaa*, 22 ans, a déménagé dans la ville française de Toulon il y a un an pour poursuivre ses études en management. La jeune femme raconte à Sputnik des situations qui l’exaspèrent à cause notamment de son voile. «Dans la rue, je sens le regard méprisant des autres sur moi. Cela me met extrêmement mal à l’aise, surtout que je suis souvent seule vu que je n’ai toujours pas pu me faire des amis ici», déplore la jeune femme. Pour son premier stage, elle avait envoyé des candidatures à une vingtaine d’entreprises mais seulement une l’a rappelée. «Lorsque je me suis rendue sur place, on m’a expliqué clairement qu’avec le voile, ce ne serait pas possible et que je devais l’enlever pour travailler», se rappelle-t-elle. Depuis, elle multiplie les entretiens, en vain.
«À force de subir les subtiles mais fréquentes manifestations de discrimination dans le travail et dans la rue, on commence à intérioriser et c’est très dur à vivre», confie le jeune homme à Sputnik.
Aya, 20 ans, a elle aussi été victime de discriminations. Elle vit à Saint-Quentin depuis bientôt trois ans et y étudie l’ingénierie. Contactée par Sputnik, elle explique avoir eu du mal à s’intégrer dans sa nouvelle vie. «Nous, étudiants et étudiantes d’origine maghrébine, on se fait plus souvent contrôler par les vigiles que les autres. Quand je sors avec des amis, il nous arrive de nous sentir surveillés et suivis par les agents de sécurité dans les magasins. Les clichés sur les Arabes présumés voleurs sont tenaces», dénonce-t-elle.
La preuve par les chiffres
Lamiaa*, Youssef et Aya ne constituent pas des cas exceptionnels, comme vient de le montrer le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger (CCME). Cette institution vient de publier une enquête inédite sur les difficultés que rencontre la communauté marocaine d’Europe. Intitulé «Jeunes Marocains d’Europe: égalité et discrimination», le document révèle les différentes formes de discrimination auxquelles font face les Marocains résidant dans les six principaux pays européens d’immigration: la France, l’Espagne, l’Italie, la Belgique, les Pays-Bas et l’Allemagne. Les problèmes relevés vont de la discrimination à l’emploi au logement, en passant par les difficultés d’exercer son culte ou encore de décrocher un prêt bancaire…
Sur les 1.433 jeunes Marocains interrogés, qui sont âgés de 18 à 35 ans, «64% estiment rencontrer plus de difficultés à trouver un emploi, 57% peinent à obtenir un logement et 42% à pratiquer leur religion», peut-on lire dans le rapport du CCME. Selon cette étude, l’une des communautés les plus touchées par ces discriminations est celle des Marocains de France. Ces derniers rencontrent des difficultés lors de la recherche d’un travail comme Lamiaa* à 67%, et au moment de la recherche d’un logement comme Youssef à 63%.
Sachant les chiffres, par nature, peu parlants pour les politiques, le secrétaire général du CCME, Abdellah Boussouf, invite le gouvernement marocain à «attirer l'attention des pays européens sur les différentes formes de discrimination à l’égard des jeunes d’origine marocaine au cours des échanges et négociations avec ces pays». Boussouf veut aussi que le Maroc revendique «un traitement plus sérieux des actes discriminatoires dont sont victimes des membres de la population d’origine marocaine».
L’enquête du Conseil de la communauté marocaine à l’étranger vient confirmer ce que le Défenseur des droits français Jacques Toubon avait dénoncé dans son rapport du 22 juin. Sous le titre «Discriminations et origines: l'urgence d'agir», ce document souligne «la dimension systémique» des discriminations à l'emploi, au logement, à l'éducation ou encore aux contrôles policiers en France. Autre publication qui dénonce aussi la discrimination en France, la dernière note du Conseil d'analyse économique (CAE):
«La France ressort comme l’un des pays où les chances d'être rappelé par un employeur lorsque l'on a un nom à consonance africaine ou maghrébine sont parmi les plus faibles», peut-on lire dans la note du CAE.
Une résistance de plus en plus forte contre ces discriminations
Interrogé par Sputnik, le sociologue et militant antiraciste marocain Mehdi Alioua estime que ces discriminations «systémiques» trouvent leurs racines dans l’histoire. «Dans l'inconscient collectif, il y a une continuité des stigmates créés pendant la colonisation. Dans l’imaginaire européen et notamment français, il y a d’un côté le sentiment de supériorité lié à la hiérarchie sociale et raciale, et de l’autre, il y a la perception du Maghrébin comme menace. Dans ces pays-là, le fait d’être Maghrébin est un handicap en soi. La socialisation et les représentations font que ces stigmates persistent encore», souligne le sociologue, qui a lui-même vécu 16 ans en France.
«Heureusement que la société française est l’une des sociétés les plus métissées au monde, et donc la résistance contre ces discriminations est de plus en plus forte aujourd’hui», nuance-t-il.
Mehdi Alioua exhorte également les Marocains du monde à éviter de céder au sentiment d’infériorité. Ayant vécu pendant longtemps en France, il connaît bien la réalité de ce pays. Cela l’autorise à parler aussi de la responsabilité des expatriés pour s’imposer. «Il n’y a pas pire que l’autodiscrimination», conclut-il.
*Le prénom a été changé.