En cette période de l’année, c’est la pleine saison de la récolte des fruits rouges dans la région du Gharb (nord-ouest du Maroc): fraises, framboises, cerises et myrtilles fleurissent dans les champs.
Tout allait comme d’habitude quand un foyer de contamination s’est déclaré, le 19 juin, dans deux des nombreuses unités de conditionnement de fraises à Lalla Mimouna. Dans cette localité du Gharb, en quatre jours seulement, plus de 800 personnes, principalement des ouvrières agricoles, ont été testées positives au Covid-19. Prises au dépourvu, les autorités ont fermé «toutes les unités» de la zone. Même les communes rurales avoisinantes ont été placées en quarantaine. Pour pallier le plus urgent, un hôpital de campagne a été aussitôt installé à Sidi Yahia El Gharb, à moins d’une heure et demie du lieu sinistré. C’est là où les ouvrières contaminées, toutes asymptomatiques, sont prises en charge.
Lalla Mimouna, que peu de Marocains pouvaient situer sur une carte, est devenue en quelques heures un sujet de débat dans tout le pays. L’apparition subite de ce foyer de Covid-19 a choqué les internautes marocains, surtout qu’elle survenait au moment même où le Maroc commençait à se déconfiner. Au choc a succédé l’indignation sur les causes de la contamination collective. Sur les réseaux sociaux, il n’était plus question que des conditions de travail, de transport et de vie des contaminées.
Ce qui arrive à Lalla Mimouna est un nouvel exemple dramatique de la féminisation de la pauvreté au Maroc. Des femmes pauvres qui travaillent dans des conditions extrêmement précaires car les employeurs savent très bien qu’elles n’ont pas d’autre choix et en profitent !
— Atik (@Atik07279979) June 19, 2020
L’onde de choc est arrivée jusqu’au Parlement. Rachid Hammouti, député du Parti du progrès et du socialisme (PPS) a interrogé, lundi 22 juin, le ministre du Travail sur la situation «préoccupante» du foyer de Lalla Mimouna. Le député a pointé du doigt la précarité des ouvrières agricoles et le «laisser-aller» des autorités, alors que le pays franchissait, ce jour-là, le cap des 10.000 cas de contamination (11.279 cas au 25 juin 2020).
Bombe à retardement
«Cette catastrophe sanitaire était prévisible. Tous les maillons de la chaîne d’activité de ces travailleuses sont extrêmement propices à la propagation du virus», dénonce Driss Adda. Interrogé par Sputnik. Ce syndicaliste de l’Union marocaine du travail (UMT) dans le Gharb milite depuis longtemps pour ces ouvrières agricoles détaille leurs conditions de travail:
«Du transport, qui se fait généralement à bord de camionnettes où elles sont entassées comme du bétail au “mouquef” [lieu de rassemblement des ouvrières en plein air, ndlr], jusqu’à l’exploitation agricole et le travail à la chaîne dans l’atelier de conditionnement. Tout se fait de manière collective, sans aucun contrôle le long du circuit.»
Pointant du doigt patrons et autorités locales, il se dit «dégoûté» du fait que les ouvrières n’ont pas été concernées par les mesures de restrictions imposées par l’état d’urgence sanitaire décrété au Royaume le 20 mars dernier. «Pour faire du chiffre, on a sacrifié la santé de ces ouvrières agricoles. Il faut savoir que pendant la période du confinement, les exportations marocaines des fruits rouges ont connu une hausse de plus de 50% par rapport à l’année dernière. Cette course vers le profit dans tout le Gharb était une vraie bombe à retardement qui a fini par exploser à Lalla Mimouna».
La ceinture de «l’or rouge» et de la précarité
À force d’indignation sur les réseaux sociaux et à travers les médias, du jour au lendemain, Lalla Mimouna est devenue le symbole de la précarité qui mène à la catastrophe. Le syndicaliste confirme:
«Les travailleuses agricoles sont généralement embauchées sans contrat et sans protection sociale. Leurs salaires ne dépassent même pas 73 dirhams [environ 6 euros, ndlr] par jour alors qu’elles ont des journées de travail de 17 heures. Le comble, c’est que les frais de transport sont à leur charge. Comme il y a très peu d’inspection du travail dans la région, ces pratiques illégales et dangereuses persisteront malheureusement.»
Adda joint sa voix à celle des internautes en colère pour dénoncer les «patrons esclavagistes». Le problème dépasse Lalla Mimouna, selon le militant. Il avance que toute «la ceinture des fruits rouges du Gharb» vit la même précarité.
«Cette ceinture côtière s’étend sur une centaine de kilomètres, de douar Ouled Berjal jusqu’à Larache. Dans cette vaste zone, il y a à peu près 30 unités actives dans la culture et le conditionnement des fruits rouges, principalement des fraises, destinés à l’export. Chaque jour, une centaine de milliers de personnes, surtout des femmes, viennent de Sidi Kacem, Sidi Slimane, Souk Larbaâ et Larache travailler, en particulier à Lalla Mimouna et à Moulay Bousselham», explique-t-il.
Lalla Mimouna version espagnole
Y aurait-il une malédiction de «l’or rouge» qui dépasserait les frontières marocaines?
On pourrait bien le croire en voyant ce qu’il se passe sur l’autre rive de la Méditerranée. Là aussi, il y a une autre ceinture des fruits rouges qui s’étend le long de Huelva, au sud-ouest de l’Espagne. Cette ville, située à 500 km de Lalla Mimouna, ressemble à la localité du Gharb autant par la richesse de ses récoltes en fraises que par la précarité de ses ouvrières agricoles, dont de nombreuses Marocaines. La situation de ces dernières, en particulier, a empiré en ces temps de crise pandémique. Certaines parmi elles, sans le sou et sans la moindre couverture médicale ou sociale, ni même une carte de séjour, sortent ces jours-ci crier leur détresse. Les autorités espagnoles les laissent faire, sans réagir.