Très souvent reçu en audience au palais présidentiel de l’Unité ces dernières semaines, au plus fort de la polémique au sujet de la capacité du chef de l’État Paul Biya à diriger le pays, Christophe Guilhou, l’ambassadeur de France à Yaoundé, s’est invité au cœur d’une vive polémique dans l’opinion.
GRÉ À GRÉ NEWS
— N'ZUI MANTO (@MantoZui) June 19, 2020
Photo de famille du président de la République son excellence Christophe guilhou en compagnie des hauts officiers de l'armée et autres à l'occasion de la cérémonie de fin de stage de la 15e promotion de L'ESIG(école supérieure internationale de guerre) à ydé. pic.twitter.com/9BrIpoDnjH
Accusé de graves «ingérences» et de «manipulation éhontée» de l’opinion publique par des activistes camerounais, Christophe Guilhou est sorti de sa réserve ce jeudi 25 juin pour échanger à la résidence du Consul général de France à Douala, la capitale économique, avec des professionnels des médias. Au cours de la rencontre, le diplomate français a tenu à préciser qu’il n’est pas «le porte-parole de Paul Biya». Au sujet des activistes camerounais qui ont fait de lui une cible, Christophe Guilhou fait savoir qu’il s’agit d’«un vrai délire».
«On m’accuse de choses que je n’ai pas faites, ni dites. 85% des nouvelles me concernant au Cameroun sont fausses», a-t-il laissé entendre face à la presse, manifestement muni de statistiques très précises.
La polémique a enflé à partir du 16 avril dernier, alors que les Camerounais questionnaient le silence assourdissant du vieux chef d’État sur la pandémie de coronavirus.
Une prise de parole qui avait donné lieu à toutes sortes d’interprétations. Allant jusqu’à remettre en doute l’authenticité des images diffusées sur la télévision nationale, certains activistes avaient privilégié l’hypothèse d’un montage avec, au cœur du scénario, l’ambassadeur de France au Cameroun. Dans la foulée, des pétitions ont commencé à circuler sur la toile pour demander le départ de Christophe Guilhou du Cameroun.
Christophe Guilhou,l'ambassadeur de France au Cameroun, accusé d'être un fraudeur d'audiences avec le tyran disparu Biya,pris en chasse par 100 000 pétitionnaires en colère et des vidéos deepfake ironisant sur sa mission de proconsu… https://t.co/ahDKgBe7Xi via @wordpressdotcom
— Franklin NYAMSI (@FranklinNYAMSI) June 29, 2020
Alors que la controverse continuait de défrayer la chronique, l’ambassadeur avait annoncé à la télévision nationale à l’issue d’un autre tête-à-tête avec le chef de l’État, le 5 juin, que le Président camerounais «allait diriger une enquête» sur le décès dans des circonstances demeurées troubles du journaliste Samuel Wazizi en août 2017. Des prises de parole publiques qui lui ont valu le petit nom de «porte-parole» de Paul Biya. Un magistère qu’il s’est donc attaché à réfuter ce 25 juin.
Que cache l’omniprésence du diplomate français?
Par ses multiples sorties médiatiques, l’émissaire d’Emmanuel Macron a tout de même fini par donner l’impression, considère Dalvarice Ngoudjou, spécialiste des relations internationales, d’être le prescripteur de l’agenda politique au Cameroun.
«Quand vous êtes ambassadeur dans un pays, vous défendez les intérêts de votre État par rapport à la nation où vous êtes affecté mais vous n'entrez pas carrément dans la gestion quotidienne des choses qui ont trait à l'avancement de ce pays», estime l’analyste au micro de Sputnik.
Alors que le pays est traversé par de nombreuses crises, les déclarations du diplomate français l’ont inscrit dans le champ politique et font désormais de lui une cible privilégiée des activistes camerounais. À grand renfort de pétitions, et même de deepfakes, ils multiplient les attaques contre le représentant de la France au Cameroun.
Rien ne les arrête. Ils se mettent maintenant à fabriquer des #deepfakes.
— Christophe Guilhou (@ChrisGuilhou) June 27, 2020
Merci à France 24 pour le travail de vérification et de dénonciation. https://t.co/409fO9FUJK
Très souvent en harmonie avec Yaoundé dans les multiples crises qui déchirent l’État, la France se trouve une fois de plus au banc des accusés et les déclarations controversées de Christophe Guilhou n’arrangent pas les choses. Pour Dalvarice Ngoudjou, la volonté de la France de jouer un rôle dans la bataille de succession en cours au Cameroun n’est pas une vue de l’esprit.
«C'est pratiquement de l'ingérence. La transition au Cameroun ne doit se gérer que par les Camerounais. Je pense que les Camerounais devraient prendre leurs responsabilités», estime l’analyste.
Une lecture que partage, dans une déclaration à Sputnik, Aristide Mono, politologue et enseignant en sciences politiques à l’université de Yaoundé II. Pour lui, «la France est restée dans une posture paternaliste vis-à-vis du Cameroun depuis des lustres, développe-t-il. Le fait que le régime de Yaoundé ait permis depuis des décennies à la France d’avoir la mainmise sur le Cameroun ne peut que conforter les soupçons de jeux troubles de Christophe Guilhou dans le contexte actuel».
Des relations privilégiées «normales»
Si certains voient dans l’omniprésence du diplomate français une volonté manifeste de s’ingérer dans les affaires intérieures du pays, d’autres jugent ses déclarations normales et consubstantielles à sa fonction de représentant du partenaire stratégique du Cameroun qu’est la France. Pour Frank Ebogo, expert en relations internationales et études stratégiques à l'université Yaoundé 2, on ne peut pas parler d’ingérence, encore moins de manœuvres pour assurer la succession.
«Les rencontres fréquentes entre le président Paul Biya et l’ambassadeur de France au Cameroun entrent dans la routine des pratiques diplomatiques. Il est constant, eu égard à certaines considérations liées à la géographie ou à l’histoire, que certains pays entretiennent des relations privilégiées», argue-t-il.
«D’une part, la France fait partie des pays qui ont apporté une contribution remarquable au Cameroun dans la crise sanitaire actuelle. Rien d’étonnant donc, si la première audience en contexte pandémique a été accordée au diplomate français. D’autre part, on est certain que les échanges entre ces deux personnalités tournent autour de la situation qui prévaut dans les régions anglophones», poursuit Frank Ebogo.
À 87 ans, le Président camerounais, au pouvoir depuis 1982, tient le gouvernail d’un pays déchiré par de violentes crises, dont la plus meurtrière est le conflit séparatiste dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Alors que la question de la succession à la tête du Cameroun, avec l’hypothèse d’une passation de pouvoir dans le clan de Paul Biya, est de plus en plus au centre de l’actualité, beaucoup ont le regard tourné sur le rôle que Paris pourrait y jouer.