Le commandement s’apprête à changer à la tête de Barkhane, a annoncé Florence Parly, ministre des Armées. Le général Pascal Facon, qui avait pris les commandes de l’opération un an plus tôt, sera remplacé par le général de brigade Marc Conruyt. Sous ses ordres, les 5.100 soldats français déployés dans la région du Sahel. La plus importante des opérations extérieures françaises.
Passé par Saint-Cyr, le général Conruyt a notamment commandé le régiment d’infanterie char de marine (RICM). Breveté du War college de l’US Marine Corp, il a servi à l’état-major des armées, dont il a été chef du bureau Afrique, avant d’être attaché de défense au Sénégal. Sous-directeur à la direction des ressources humaines de l’Armée de terre ces six derniers mois, le voici qui retrouve le terrain.
Intensification des opérations de Barkhane
La nouvelle mission du général Marc Conruyt ne sera pas de tout repos. Ce dernier arrive dans un contexte particulièrement tendu au Sahel. L’accident d’hélicoptère qui avait coûté la vie à 13 militaires français en décembre 2019 a soulevé les craintes d’un bourbier. Lors du sommet de Pau en janvier dernier, les chefs d’État du Sahel et Emmanuel Macron avaient pris la décision d’intensifier les opérations contre les groupes armés terroristes (GAT), en particulier dans le Liptako, appelé également région des trois frontières (entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger).
Macron mardi à Nouakchott pour un sommet sur le Sahel #AFP
— Daphne Benoit (@phnou) June 26, 2020
Dans ce contexte, le Président de la République avait décidé de déployer 600 soldats français supplémentaires début 2020. Depuis, les messages officiels de l’Armée de terre se veulent résolument optimistes:
«Depuis le sommet de Pau du 13 janvier dernier, l’action déterminée et continue de la force Barkhane aux côtés des armées partenaires a permis de réduire substantiellement les capacités de nuisances des GAT dans la zone des trois frontières».
Malgré des avancées concrètes, le contexte régional reste explosif
Au mois de mars, une force conjointe Barkhane/G5 Sahel passait à la contre-offensive lors d’une opération baptisée «Monclar». Un engagement qui aurait permis de neutraliser «un grand nombre de terroristes», comme l’indiquait laconiquement l’état-major français.
Les informations précises manquent, mais à n’en pas douter les neutralisations s’accumulent. Le Monde avance le chiffre de 600 djihadistes éliminés depuis six mois, sans donner plus de précisions. À cela s’ajoute la récente élimination du leader d’Al-Qaïda au Maghreb islamique* (AQMI), l’Algérien Abdelmalek Droukdal.
Cependant, comme l’expliquait dans les colonnes de Sputnik France Leslie Varenne, de l’Institut de Veille et d’Études des relations internationales et stratégiques (IVERIS), «même si sa mort peut être considérée comme une victoire symbolique, elle ne changera pas la nature du conflit.» Les succès précédents non plus, même s’ils sont encourageants.
Le 3 juin, les forces armées françaises, avec le soutien de leurs partenaires, ont neutralisé l’émir Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), Abdelmalek Droukdal et plusieurs de ses proches collaborateurs, lors d’une opération dans le nord du Mali.
— Florence Parly (@florence_parly) June 5, 2020
En effet, malgré les récents succès de Barkhane et des forces locales, les GAT sont toujours présents et actifs dans la région, souvent d’ailleurs à des endroits que l’on soupçonne moins, comme le nord du Nigeria, le nord du Cameroun et d’autres pays au sud-ouest du Sahel. Ils profitent, dans toute la région du Sahel et au-delà, des tensions intercommunautaires qu’ils attisent et également du manque de contrôle étatique dans la région, pour se financer à l’aide du narcotrafic.
Mise en place de la force Takuba, une priorité
Le général de brigade Marc Conruyt est donc prévenu: sa mission exigera un engagement de tous les instants. Sa prise de fonctions [VV1] aura d’ailleurs lieu un mois après le sommet de Nouakchott, qui ouvre le 30 juin. À l’ordre du jour, le bilan des opérations lancées depuis le commet de Pau et les prochains objectifs pour Barkhane et ses partenaires.
Autre chantier important, Conruyt devra superviser la mise en place de la force Takuba, un projet de la plus haute importance pour Paris. Takuba sera un groupement de forces spéciales de pays européens, qui accompagnera et supervisera les opérations des armées locales au Sahel. Cette force commencera ses opérations cet été sous le commandement de Barkhane. Les unités d’élite françaises seront rejointes par un contingent estonien, puis par une soixantaine de militaires tchèques à l’automne. 150 soldats suédois sont aussi attendus début 2021.
La force #Takuba en appui #FCG5Sahel deviendrait opérationnelle mi-juillet avec une centaines de Français et quarantaine d'Estoniens basés à Gao; rejoints ensuite début 2021 par des Suédois (150) et possiblement des Italiens et des Grecques. https://t.co/daweeJRAuJ
— Arthur Boutellis (@aboutellis) June 22, 2020
Mais la création de cette force commune ne repose-t-elle pas davantage sur le désir d’une armée européenne que de mettre un terme au chaos sahélien? Une contradiction stratégique avec laquelle le général Conruyt devra composer dès le premier jour de son commandement.
À cela s’ajoute un non-dit: au-delà de succès militaires indéniables, l’issue politique reste incertaine pour la région. Barkhane pourra tuer tous les émirs présents au Sahel, elle reste pour l’heure impuissante face à des tensions ancestrales.
* AQMI est une organisation terroriste interdite en Russie