Le 11 juin dernier, l’Élysée publiait un communiqué d’autosatisfaction incompréhensible, compte tenu de la situation dans la bande sahélo-saharienne.
Le «Château» déclarait ainsi: «La victoire est possible au Sahel et c’est bien la perception qui est en train de s’installer chez nos partenaires». Il se félicitait également des «progrès réalisés dans la lutte contre les groupes djihadistes.» Certes, ce contentement soudain intervenait après l’élimination d’Abdelmalek Droukel, l’émir d’AQMI*, mais, même si sa mort peut être considérée comme une victoire symbolique, elle ne changera pas la nature du conflit. Avant lui, d’autres grandes figures du terrorisme sahélien étaient tombées sous le feu des forces françaises et cela n’avait pas réduit d’un iota les capacités de nuisance de ces groupes.
Des catastrophes en cascade
Et comme s’il s’agissait de doucher l’enthousiasme élyséen, plusieurs événements extrêmement graves se sont produits ces derniers jours. Quelques heures seulement avant la rédaction dudit communiqué, dans la nuit du 10 au 11 juin, le poste de sécurité ivoirien de la ville de Kafolo, à la frontière avec le Burkina Faso, a été attaqué, entraînant la mort d’une dizaine de militaires. Cette intrusion du terrorisme en territoire ivoirien qui, étrangement, n’a pas été revendiquée, est, elle aussi, fort symbolique. Elle signifie que la menace s’étend hors du contexte sahélien, dans un pays du très stratégique golfe de Guinée. Les craintes de voir les attaques terroristes se déployer dans toute l’Afrique de l’Ouest ont été anticipées depuis longtemps, mais entre les prophéties et la réalisation, il y a une marge qui vient d’être franchie.
Au Mali, la situation n’est pas meilleure. Le 14 juin à Diabaly, près de la frontière mauritanienne, une colonne de l’armée malienne lourdement armée tombait dans une embuscade. Lors de cet assaut, revendiqué par la Katiba Macina d’Hamadoun Kouffa, 29 soldats ont été tués. Les terroristes ont également récupéré du matériel, dont dix véhicules 4x4. Dans la même semaine, un groupe armé a attaqué un convoi de la Mission de l’Onu (MINUSMA) dans le nord du pays: deux Casques bleus ont été tués et trois humanitaires ont été enlevés dans le cercle de Niono. Pour les «progrès réalisés dans la lutte contre les groupes djihadistes», il faudra encore attendre.
L’entêtement de Paris
Pourquoi alors l’Élysée a-t-il jugé opportun de publier un communiqué aussi optimiste? La France a-t-elle tenté de rassurer ses partenaires européens, qui rechignent toujours à intégrer la Task Force Takouba? Le 4 juin, devant la commission Défense de l’Assemblée nationale, Florence Parly, ministre des Armées, a déclaré que seuls les Estoniens et les Suédois avaient donné leur accord. Au passage, elle oubliait les Belges, dont la participation est, il est vrai, symbolique: ils enverront seulement trois militaires. Malgré tout, ce n’est pas très élégant diplomatiquement parlant, d’autant que ce pays a été le premier répondre à l’appel. La Grèce a annoncé le 12 juin dernier vouloir participer au groupe de travail de Takouba, sans préciser les moyens qu’elle mettra dans la corbeille. L’Italie, qui avait prononcé un non ferme dans un premier temps, a accepté de reprendre les discussions.
Mirage ou réalité?
Pendant ce temps, l’Union africaine, qui ne veut pas être en reste, a prévu, elle aussi sa force de frappe pour lutter contre le terrorisme et veut mettre sur pied un contingent de 3.000 hommes. Cette annonce a été faite le 27 février dernier par Smaïl Chergui, le commissaire Paix et Sécurité de l’UA. Trois semaines plus tard, une réunion conjointe avec les pays du G5 Sahel et la CEDEAO, l’organisation des États de l’Afrique de l’Ouest, s’est tenue pour réfléchir aux modalités pratiques. Depuis, plus rien. Quels pays fourniront les troupes? Comment seront-elles financées? Où se déploieront-elles? Comment se coordonneront-elles avec l’opération française Barkhane, Takouba, la MINUSMA? Le mystère reste entier et l’utilité d’une force supplémentaire laisse pour le moins sceptique, même si l’UA serait légitime, sinon la plus légitime, à intervenir dans cette région.
L’Otan en embuscade?
Pour sa part, le Pentagone n’a toujours pas fait savoir ce qu’il comptait faire quant à sa présence dans la région et s’il allait continuer à soutenir l’opération Barkhane. Lors d’une réunion du G5 Sahel le 26 mai, en visioconférence, l’envoyé spécial américain pour le Sahel, Peter Pham, a déclaré que son pays prendrait sa décision fin juillet. Pour autant, les États-Unis ne restent pas inactifs. Sur le plan diplomatique d’abord, en tentant d’imposer leur homme, David Gressly, à la tête de la MINUSMA pour remplacer le Tchadien Annadif Mahamat Saleh. Sur le plan militaire, un article du magazine Foreign Policy révèle que l’administration Trump ferait pression sur l’Otan pour qu’elle «ouvre des discussions sur la menace terroriste au Sahel, en vue d’envisager éventuellement une mission de l’Otan pour soutenir la stabilité régionale.»
Les armées nationales, Barkhane, Takouba, l’Otan, l’UA? Un grand embouteillage, mais pour quels résultats? Comme dit le proverbe «au milieu de tant de sages-femmes, le bébé se perd»…
IVERIS : Institut de veille et d’étude des relations internationales et stratégiques
*Organisation terroriste interdite en Russie