Malgré la pandémie de Covid-19 qui attire toute l’attention médiatique, la déclaration de la ministre française des Armées Florence Parly a été largement reprise par la presse. Pourtant, la prolongation du soutien américain à l’opération Barkhane n’est un scoop que pour ceux qui ont voulu croire que les États-Unis réduiraient leurs troupes en Afrique en général et se désengagerait du Sahel en particulier, comme l’avait annoncé le New York Times et l’avait laissé entendre Mark Esper, le secrétaire d’État à la Défense.
Elle surprend d’autant moins que la messe était déjà dite depuis le 8 mars 2020, avec la nomination par Washington de leur tout premier émissaire dans le Sahel en la personne de Peter Pham.
Le jeu du chat et de la souris continue
Si surprise il y a, ce n’est pas dans le fait que l’armée américaine reste encore dans cette région, mais dans le fait que ce soit la ministre française des Armées qui le révèle et non Peter Pham.
En outre, aucun autre officiel américain n’a confirmé, ni infirmé, la déclaration de Florence Parly, du 24 avril dans un quotidien régional français. Pourtant, les États-Unis avaient annoncé, le 17 janvier dernier, par la voix de leur chef d’État-major, le général Milley, qu’ils se laissaient deux mois pour prendre une décision quant à leur présence dans le Sahel. Or, dix semaines après, sur ce sujet, c’est toujours le silence le plus complet du côté du Beltway.
L’autre élément surprenant se trouve dans la formulation choisie par la ministre. Elle ne parle pas de maintien des États-Unis dans la zone, elle déclare seulement qu’«ils ont différé leur décision de désengagement». Une nuance de taille qui laisse à penser que Washington continue d’entretenir le doute. Maintenir une épée de Damoclès au-dessus de la tête des Français est toujours utile pour s’assurer de la docilité d’un allié, surtout quand celui-ci pratique l’imprévisible politique du «en même temps». C’est d’autant plus facile et efficace quand ledit allié est dépendant du soutien logistique américain pour toutes ses opérations militaires extérieures.
Question de souveraineté…
Les États-Unis sont, en effet, très conscients de la dépendance française. En joueraient-ils? Non, à en croire, la sous-secrétaire américaine à la Défense en charge de l’Europe et de l’Afrique Kathryn Wheelbarger. Lors d’une audition à la Chambre des représentants qui s’est tenue le 10 mars dernier, elle a déclaré avoir évoqué ces questions avec les autorités françaises
«Ce que nous avons essayé de faire, c’est de les encourager à accélérer leurs processus de décision quant à l’acquisition de ces capacités, pour qu’ils ne dépendent plus du soutien des États-Unis.»
Washington se préoccuperait-il de l’indépendance stratégique de la France? Si tel était le cas, ce serait un véritable changement de doctrine. Ou peut-être est-ce seulement une manière d’encourager les Français à «acquérir des capacités» made in USA?
Crise sanitaire et son lot de pénuries aidant, Emmanuel Macron semble avoir pris la mesure de l’importance de ces questions. Le 30 mars dernier, il a déclaré vouloir rebâtir «une souveraineté nationale» en relocalisant «les industries stratégiques». L’armée française profitera-t-elle de cet effet d’aubaine? Rien n’est moins certain, compte tenu du déficit budgétaire qui devrait s’élever à 9% en 2020, selon les prévisions les plus optimistes.
Certes, des efforts ont été entrepris, notamment avec l’acquisition et l’armement de drones, mais la France reste encore très dépendante des États-Unis pour tout ce qui concerne le ravitaillement en vol, le transport logistique ainsi qu’en matière d’intelligence de surveillance et de reconnaissance.
Le fair-play british
La France est aussi grandement aidée par l’armée de l’air britannique qui prête non seulement trois hélicoptères Chinook, des engins d’assaut lourds, mais également une centaine d’aviateurs à l’opération Barkhane.
Par ailleurs, les Britanniques ont promis de former, en août 2020, une brigade opérationnelle d’intervention rapide de 250 hommes, dans le cadre de l’appui à la Minusma (mission de maintien de la paix de l’ONU au Mali). En revanche, ils ont refusé d’intégrer Takuba, une nouvelle coalition de forces spéciales européennes créée à l’initiative de la France, qui rencontre assez peu de succès auprès de ses partenaires. Emmanuel Macron ne peut toutefois pas en vouloir à Boris Johnson de ne pas jouer la carte de la solidarité européenne, les Anglais ayant signé pour le Brexit.
Pour quels résultats?
Donc, les Anglais seront ici mais peut-être plus là, et les États-Unis continuent de laisser planer le doute. Ces derniers n’ont, objectivement, aucun intérêt à quitter le Sahel. Officiellement, leur maintien dans la zone, aide à Barkhane comprise, leur coûte 45 millions de dollars, soit epsilon au regard du budget du Pentagone –738 milliards de dollars pour 2020, sans tenir compte évidemment de toutes les opérations couvertes par le secret défense, qui ne peuvent par essence être transparentes.
Toutes ces valses-hésitations, ces guéguerres, ces crocs-en-jambe, ces petits arrangements entre grandes puissances ne doivent pas faire oublier les limites de la lutte contre le terrorisme. Depuis le début du conflit, la situation ne cesse de dégénérer jusqu’à atteindre des niveaux de violence jamais égalés.
Les civils meurent sous les balles des terroristes, des milices, et parfois des armées nationales. Les déplacés se comptent par centaines de milliers. Les enlèvements sont de plus en plus fréquents, y compris de personnalités politiques comme cela s’est passé au Mali pendant la campagne des législatives. Les armées nationales sont éreintées et à cran. Les populations souffrent et ne voient pas le bout du tunnel… Seuls les profiteurs de guerre y trouvent leur compte. C’est peu de dire que la paix n’a pas été gagnée.