Le renforcement de la mission Barkhane «ne changera rien au fond du problème»

© AFP 2023 DAPHNE BENOITla mission Barkhane (image d'illustration)
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La décision du ministère des Armées de déployer 600 militaires supplémentaires au Sahel pour lutter contre des djihadistes ne peut apporter de solution au problème de l’insécurité qui perdure entre autres à cause de la corruption et de l’impunité des forces armées locales, estime le spécialiste de l’Afrique Marc-Antoine Pérouse de Montclos.

D’ici février, la force française Barkhane doit accueillir 600 soldats supplémentaires et ainsi passer à 5.100 hommes. Interrogé sur le sujet à l’antenne de TV5 Monde, Marc-Antoine Pérouse, directeur de recherche à l'Institut de recherche pour le développement (IRD) et spécialiste de l'Afrique, s’est montré sceptique quant à l’efficacité de cette mesure.

«Mon analyse personnelle, c'est qu'on peut mettre 200, 600 ou 800 hommes, ça ne changera rien au fond du problème. Car la solution est d'abord politique avant d'être militaire, et tant que la réponse des armées africaines, nos alliées sur place, ne s'est pas améliorée, je ne vois pas très bien comment on va sortir de ce bourbier. Sachant que la formation fournie par les armées françaises ou européennes aux armées locales n'a pour l'instant pas fait ses preuves», a-t-il indiqué.

Inefficacité des forces locales

L’auteur d’«Une guerre perdue — la France au Sahel», M.Pérouse de Montclos constate que les États de la zone «n’arrivent pas à venir à bout de la menace» et c’est la France qui essaye à leur place. Dans le même temps, le conflit est entretenu par «les exactions commises» par les armées locales qui ont de «gros problèmes de commandement».

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Pour l’expert, la corruption et l’impunité sont «deux problèmes essentiels» dont souffrent les forces locales. En tant qu’exemple, il cite le nom du capitaine Amadou Sanogo qui a organisé un coup d'état au Mali en 2012 lequel a permis «aux djihadistes de s'implanter durablement dans le nord du pays car l'armée était occupée à se battre dans Bamako».

«Le renfort de 600 soldats français va en fait entériner des pratiques qui ne permettent pas de lutter efficacement contre les insurrections de la région», signale-t-il.

Une stratégie trouble?

Le spécialiste déplore également le fait que les Français sont mal informés par les autorités concernant le futur de la mission française dans la région.

«Je ne sais pas s'il n'y a jamais eu un scénario de désengagement. Le gouvernement n'a jamais dit à partir de quel moment il considèrerait possible de se retirer. Il n'y a pas de benchmark, il n'y a pas d'annonce, et les Français ne sont pas très curieux par rapport à cela. […] Pour l'instant on a l'impression qu'on est là ad vitam aeternam. Je souhaite qu'il y ait des débats parlementaires plus vifs à ce sujet», fait-il savoir.

Le but du renforcement

Commentant le fait que l’essentiel des renforts seront déployés dans la zone des frontières entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger, M.Pérouse de Montclos rappelle que par cette mesure, la France réagit à «des coups durs» portés aux armées locales par des djihadistes. Il estime que cela constitue «un problème de fond» car à chaque fois la France est dans «la réaction et pas du tout dans l'anticipation et la prévision stratégique dans la zone».

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Enfin, le spécialiste de l'Afrique considère que le redéploiement actuel est «une mauvaise opération», car il pousse les djihadistes vers des zones plus peuplées où ils recrutent davantage de gens.

«Plus il y a de militaires français au Sahel plus il y a de djihadistes. Car plus les groupes djihadistes vont vers le sud […] plus ils "recrutent" car le sud est beaucoup plus peuplé. Il y a plus de combattants dans les rangs des insurgés. Cela pose de sérieuses questions.  Le gouvernement français n'y a pas du tout répondu. À chaque fois qu'il y a un problème, il envoie plus d'hommes. Cela fait sept ans que c'est comme ça, je ne vois pas ce qui a changé depuis ! On verra dans les sept prochaines années... Nous sommes dans une logique de perpétuation de cette guerre ensablée», conclut-il.
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