Maroc: des muftis autoproclamés condamnent à mort trois Youtubeurs

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Un appel au meurtre à l’encontre de trois influenceurs marocains a été lancé sur une page Facebook «takfiriste». Un extrémisme qui a scandalisé la Toile et inquiète les spécialistes marocains des religions et des mouvements salafistes avec qui Sputnik s’est entretenu. Retour sur l’affaire.

«Centre de désaveu». C’est le nom de la page Facebook sur laquelle a été posté, vendredi 29 mai, l’appel au meurtre à l’encontre de Marouane Lamharzi Alaoui, Najib El Mokhtari et Othmane Safsafi.

Ces trois jeunes gens sont connus sur YouTube. Ils publient régulièrement des vidéos didactiques d’Histoire pour le premier, de science pour le deuxième et de culture pour le dernier. Leurs têtes ont été mises à prix, non pas à cause de ce contenu, mais pour avoir récemment défendu, publiquement, Rafik Boubker. Cet acteur marocain est poursuivi pour «blasphème» par la justice marocaine. En cause, une vidéo le montrant, l’air éméché, vantant les vertus de l’alcool comme moyen de connexion avec le Divin.

S’assignant comme mission «la mise à nu des mécréants» et «l’inimitié à l’encontre des apostats», le ou les administrateurs anonymes de la page invitent leurs 15.000 et quelques abonnés à aller lire les publications de ceux qu’ils décrivent comme des «hypocrites» pour constater «l’étendue de la tragédie».

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Pour jeter l’opprobre sur ses trois «accusés», le mystérieux «Centre de désaveu» rappelle l’obligation de vouer un amour inconditionnel envers le prophète de l’islam, sans citer pour autant les propos qu’ils incriminent. Se référant à l’un des hadiths attribués à Mohamed, la page Facebook s’interroge: «Comment peuvent-ils considérer le fait d’insulter le Prophète et sa religion qui est celle de Dieu comme de la liberté d’expression?». En guise de condamnation à mort, ce prélude surplombe un fragment d’un verset du Coran, où il est question de certains «ennemis dont il faut prendre garde» et que «Dieu va combattre».

Illustrée par un photomontage, la sentence montre non seulement les trois Youtubeurs, mais aussi Rafik Boubker et Noureddine Ayouche. Ce dernier est une figure médiatique connue pour la défense des libertés individuelles. Étrangement, aucun des deux n’était directement visé par l’appel au meurtre lancé par les extrémistes.

Condamnateurs condamnés

En réponse à l’appel au meurtre, les principaux concernés ont décidé de porter plainte contre les administrateurs de la page en question. Sur leurs comptes, les trois Youtubeurs se sont révoltés contre leurs juges virtuels.

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Dans un post sur Facebook, Othmane Safsafi explique: «Lorsque j’ai commencé à poster des vidéos en ligne, je savais qu’il y aurait des critiques, des insultes, mais je n’imaginais pas qu’un jour je serais menacé de mort.»

«Cet appel porte atteinte à ma sécurité… c’est pour cela que j’ai décidé, conjointement avec Marouane Lamharzi Alaoui et Najib El Mokhtari, de porter plainte contre les administrateurs de cette page et toute personne ayant explicitement menacé de nous tuer», poursuit-il. Les deux autres Youtubeurs ont, eux aussi, dénoncé sur leurs pages personnelles le post «takfiriste».

De son côté, Marouane Lamharzi Alaoui s’étonne. «Les personnes qui se cachent derrière cette page croient à tort que le Maroc est un “Wild West” où tout est permis.»

À l’instar de Othmane et Marouane, Najib El Mokhtari a publié un long texte sur Facebook, dans lequel il exprime sa colère. Il affirme ne pas comprendre comment on peut arriver à ce degré d’intolérance. «Inciter au meurtre de quelqu’un est un acte condamnable qui ne peut être justifié», souligne-t-il.

Indignation générale

Des captures d’écran de l’appel au meurtre continuent à enflammer la Toile. Ils suscitent l’indignation de nombreux internautes. C’est ainsi que la page Facebook en question a été signalée en masse et a fini par être suspendue.

Pour Mustapha Bouhandi, chercheur et spécialiste marocain en religions comparées, ce type de discours relève «du fanatisme et de l’extrémisme qui existe partout dans le monde». Pour lui, les réseaux sociaux ont surtout un effet amplificateur du phénomène. Le chercheur ajoute que ce genre de dérapage ressort, par moments, telles des vagues éphémères.

«Le problème est le silence sur le sacré dans nos pays. Des apprentis muftis en profitent pour imposer leur obscurantisme», déplore Mustapha Bouhandi au micro de Sputnik.

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Abdellah Rami, chercheur marocain spécialiste des mouvements islamistes, s’attarde sur l’anonymat dont profitent les extrémistes 2.0. 

«Généralement, les pages d’obédience salafiste qui instrumentalisent la religion pour justifier le recours à la violence ont un seul souhait: l’endoctrinement de masse qui pourrait déboucher sur un passage à l’acte. Sentiment religieux et émotion sont exploités et cette tactique est dangereuse», analyse Abdellah Rami dans un entretien avec Sputnik.

«Ce qui est dangereux», c’est aussi ce que disent les trois Youtubeurs qui comptent aller jusqu’au bout de la procédure pour condamner les auteurs de menaces de mort. En attendant que la justice lève le voile sur les takfiristes sans visage, un certain «Cheikh Abou Naïm» vient d’être condamné par la cour d’appel de Casablanca à une année de prison et 2.000DH (près de 200 euros) d’amende. Et pour cause, ce salafiste accusait le Royaume «d’apostasie» dans l’une de ses vidéos publiées peu de temps après la fermeture des mosquées.

Le Maroc a été parmi les premiers pays musulmans à avoir pris cette décision, avec son Conseil supérieur des Oulémas, pour se protéger contre la pandémie de Covid-19.

Comme Abou Naïm, «Cheikh» Hassan El Kettani est une autre figure du salafisme marocain qui verse dans le takfirisme, selon des défenseurs des libertés individuelles. Il avait notamment provoqué un tollé au début de cette année après s’être attaqué à l’idée de la célébration du Nouvel An amazighe, le qualifiant de «fête païenne». Cet autre «Cheikh» est passé, lui aussi, par la case prison. En 2003, il a été condamné à 20 ans de réclusion avant d’être gracié neuf ans plus tard.

Le cas «El Kettani» illustre toute la problématique de l’insuffisance des démarches répressives pour juguler la menace extrémiste. En 2017, les autorités marocaines ont lancé, un programme appelé «Moussalaha» (réconciliation). Basé sur le dialogue, mené notamment par d’anciens détenus pour extrémisme religieux repentis, il vise la déradicalisation dans les prisons. S’il le voulait, le prisonnier Abou Naïm pourrait en bénéficier…

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