Confinement anticorona? Le Cameroun dit non, malgré lui, au «mimétisme» de l’Occident

© AFP 2023 PATRICK MEINHARDTDes employés d'un abattoir dans la région de Gazawa, au Cameroun.
Des employés d'un abattoir dans la région de Gazawa, au Cameroun. - Sputnik Afrique
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Depuis que le Cameroun a franchi le cap des 900 cas testés positifs au Covid-19, beaucoup craignent une escalade de la pandémie. Alors que certains appellent au confinement, l'initiative semble peu envisageable dans une économie essentiellement informelle. De l’avis de plusieurs observateurs, un confinement total pourrait même être catastrophique.

Le Cameroun a déjà largement dépassé le cap des 900 personnes contaminées au coronavirus, devenant ainsi le deuxième pays le plus touché en Afrique subsaharienne.

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Face à la montée galopante de la pandémie, la question du confinement total ou partiel n’est pas à l’ordre du jour. Pourquoi? Fin mars, alors que beaucoup évoquaient déjà l’hypothèse d’une pareille mesure pour contrer la maladie, le gouvernement de Yaoundé, par la voix de son porte-parole, a signifié la complexité d’une telle décision au vu du contexte économique.

«La plupart des Camerounais vivent au jour le jour. Ils n’ont pas les moyens de se ravitailler pendant deux semaines ou un mois. Nous ne pensons pas qu’il faille, par mimétisme, décider de faire ce qui est fait ailleurs», a expliqué, fin mars, René Sadi, ministre de la Communication au cours d’un point presse.

En effet, dans un pays ou le secteur informel emploi près de 80% de la population qui, pour vivre, doit sortir tous les jours, il est difficile d’expérimenter cette option. Il faut ajouter à cela, renchérit l’économiste Edmond Kuaté, «un taux de chômage et de sous-emploi qui oscille respectivement  entre 25 et 30% et 70 et 80%». On ne saurait, selon lui, adopter cette mesure sans créer une crise d’un autre genre.

«Si on confine les populations sans avoir des mesures d'accompagnement solides, on court le risque remplacer une crise sanitaire par une crise sociale», poursuit l’économiste au micro de Sputnik.

Cabral Libii, député du Parti camerounais pour la réconciliation nationale (PCRN), s’appuyant sur les mêmes indicateurs, pense que «si on confine tout le monde brutalement sans avoir préparé cela, on fait face à une crise socioéconomique à laquelle on ne se sera pas préparé. Et au bout de cinq jours, les populations qui vivent au jour le jour vont sortir pour chercher de quoi nourrir leurs familles».

Un avis qui ne varie pas d’un Camerounais à l’autre. Pour Dimitri Ken Djamen, comptable dans une entreprise à Douala, le confinement serait très mal vécu par une certaine frange de la population.

«Nous sommes dans une économie précaire. Avec un confinement total, une grosse fraction de la population se retrouverait avec très peu à se mettre sous la dent. Cela risque d’entraîner des morts –de famine– et la recrudescence du grand banditisme», confie-t-il au micro de Sputnik.

Rester à la maison, mais à quel prix?

Le cas du Cameroun n’est pas le seul dans un continent où l’économie informelle, bien qu’échappant à toute statistique, aurait représenté en 2014 près de 55% du produit intérieur brut cumulé de l’Afrique subsaharienne. Si quelques pays comme le Togo ont pu décréter des mesures sociales en guise de dédommagement minimal, le confinement général reste une option lointaine, voire inenvisageable.

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Dès lors, ce sont les demi-mesures qui prévalent pour un État comme le Cameroun. Les campagnes de sensibilisation contre la maladie invitent à rester autant que possible chez soi. Une prescription peu envisageable pour nombre de travailleurs, comme en témoignent les rues bondées des principales villes du pays. Serge Sidjé, agent publicitaire indépendant, est obligé de sortir tous les matins pour honorer ses rendez-vous avec des clients.

«Je sors parce que j’ai les devoirs à remplir auprès de ma famille, les factures continuent de tomber, il y a d'autres maladies qu'il faut soigner, il y a des projets à réaliser. Sur quoi ou qui compterais-je si je devais me confiner?» s’interroge-t-il au micro de Sputnik.

Dans son plan de riposte, le président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC, le parti de l’opposition) Maurice Kamto égrène une série de dispositions qui pourraient être appliquées dans la perspective d’un confinement qu’il juge indispensable face au Covid-19. Si, dans le cadre de cette initiative parallèle à celle du gouvernement, le leader du MRC propose en guise de soutien aux populations la gratuité de certains services, il suggère aussi un soutien de l’État aux entreprises.

Choisir entre la contagion et la récession

Mais pour Max Owona, économiste, le Cameroun «n’a pas les moyens de pouvoir mettre en place des mesures d’accompagnement aussi fortes que celles que l’on peut voir ailleurs».

«On peut questionner la capacité de l’État à pouvoir l’appliquer de façon effective sur le territoire national. Il a déjà une capacité limitée à assurer sa présence en matière de services régaliens dans tout le pays et le climat social n’est pas au mieux», argue-t-il au micro de Sputnik.

Si beaucoup craignent des conséquences économiques, politiques et sociales fâcheuses, Cabral Libii propose, pour s’en sortir, de prendre des mesures socioéconomiques. «Il faut aussi une loi de Finances rectificative. Il faut effectuer les évaluations nécessaires. C'est l’opportunité de mettre en œuvre des réformes financières, des réformes budgétaires. Nous devons également nous doter d'un plateau technique véritable dans nos hôpitaux en encourageant le génie local», poursuit le député.

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Pour Jean Robert Waffo, ex-adjoint au maire du deuxième arrondissement de la ville de Douala, opter pour cette disposition, c’est «choisir entre la croissance –encore faut-il qu’elle existe– qui va avec la contagion générale et le confinement partiel ou total qui va avec la récession».

Pour épargner aux habitants un confinement aux conséquences dramatiques, le gouvernement camerounais a privilégié jusqu’ici des mesures de restriction qui vont de la fermeture des frontières terrestres, maritimes et aériennes, à celle des établissements scolaires et universitaires, en passant par l’interdiction de rassemblement de plus de cinquante individus. Alors que le nombre de personnes contaminées n’a cessé de grimper, dans l'urgence, le gouvernement camerounais a décrété le port du masque obligatoire. Une disposition qui est entrée en vigueur le 13 avril dernier.

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