Le Covid-19 fabriqué en laboratoire? «Le bactériologique n’est pas une arme intéressante», dément un militaire

© AP Photo / Xiao YijiuDes malades du Covid-19 dans un hôpital à Wuhan
Des malades du Covid-19 dans un hôpital à Wuhan - Sputnik Afrique
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La pandémie de Covid-19 provoque une épidémie de rumeurs et de théories du complot, qui pullulent sur les réseaux sociaux. La principale? Le Covid-19 aurait été conçu dans le laboratoire P4 de Wuhan. Retour sur la réalité de cette fiction avec le général Brisset, ancien attaché de l’Air à l’ambassade de France à Pékin.

Le coronavirus est-il sorti du laboratoire P4 de Wuhan? La théorie qui apparaissait comme farfelue il y a quelques jours n’est «plus écartée» par les services de renseignement britanniques. C’est le magazine Valeurs Actuelles qui relate l’information dans un article daté du 9 avril, citant le Daily Mail. Alors que le virus est très probablement d’origine animale, le tabloïd anglais explique que le Covid-19 aurait pu fuiter accidentellement de ce laboratoire P4 (niveau de dangerosité le plus élevé), en évoquant des rapports locaux non vérifiés faisant état d’employés «infectés après avoir été aspergés de sang, signant là le point de départ de l’épidémie».

Une «arme biologique parfaite», vraiment?

«Ne prévoyant qu’une sécurité minimale pour les employés» selon le Daily Mail, ce lieu pourtant extrêmement sensible abrite des germes viraux extrêmement pathogènes (dont Ebola ou le H5N1) comme la trentaine d’autres laboratoires P4 dans le monde. Rien qu’en Chine, dans son ouvrage très documenté France-Chine, les liaisons dangereuses (Éd. Stock), publié en octobre 2019, le journaliste Antoine Izambart décrit l’existence de laboratoires P4 et P3 (trois civils et un militaire) découverts par les services de renseignement français en Chine.

Tandis que Donald Trump a plusieurs fois qualifié le SARS-CoV-2 de «virus chinois», c’est l’ambassade de Chine à Paris qui a suggéré le 23 mars sur son compte Twitter que celui-ci aurait pu être élaboré dans un autre laboratoire P4, se situant aux États-Unis, à Fort Detrick.

​Un renvoi de responsabilités qui tient plus de la lutte d’influence entre les deux grandes puissances rivales. Pour sa part, le général Jean-Vincent Brisset, attaché de l’Air à l’ambassade de France à Pékin pendant trois ans, estime que d’attribuer une origine volontaire au SARS-CoV-2 relève clairement du «complotisme de bas niveau». Pourtant, les tenants de cette théorie pullulent sur Internet: la coïncidence est trop évidente, le coronavirus serait «une arme biologique parfaite». Difficile pourtant d’imaginer à qui profiterait ce crime, Pékin déplorant déjà 3.335 décès selon le bilan officiel. D’autres sources comme Radio Free Asia, un média financé par le gouvernement américain, lancent le chiffre de plus de 40.000 morts, calculant le nombre d’urnes funéraires distribuées par crématorium à Wuhan.

French President Emmanuel Macron, right, welcomes his Chinese counterpart Xi Jinping prior to a meeting at the Elysee Palace, in Paris, Monday, March 25, 2019. - Sputnik Afrique
S’en remettre à la Chine pour des productions stratégiques, «une faute extrêmement lourde des dirigeants européens»
Le Monde revient longuement sur cette rumeur soutenue par l’ultra-droite américaine, en particulier par le juriste américain Francis Boyle, auteur d’une interview très controversée sur la chaîne YouTube «Geopolitics & Empire». Le quotidien vespéral «débunke» l’idée selon laquelle le virus aurait été créé par des scientifiques: il cite l’institut de virologie de Wuhan, mais surtout un professeur de biologie chimique à l’université de Rutgers, Richard Ebright, interrogé par le Washington Post: «Il n’y a absolument rien dans la séquence génomique de ce virus qui indique qu’il ait pu être créé par ingénierie génétique.» Plus concrètement, le général Brisset écarte toute tentative de guerre bactériologique pour une bonne raison:

«Personne n’a fait de guerre bactériologique depuis des épisodes qui datent du XVIe et du XVIIe siècle, où l’on balançait à la catapulte les cadavres de pestiférés par-dessus les remparts des villes que l’on voulait assiéger. Mais tous les gens sérieux savent que le bactériologique, ce n’est pas une arme intéressante dans la mesure où on ne la contrôle pas.»

La coïncidence est pourtant troublante, persistent les tenants de l’arme biologique. Ce laboratoire P4 de Wuhan a été élaboré sur le modèle du laboratoire P4 Jean-Mérieux à Lyon, pour être inauguré le 23 février 2017 par le Premier ministre français de l’époque, Bernard Cazeneuve. Le premier laboratoire épidémiologique de ce type en Chine, qui a coûté la bagatelle de 40 millions d’euros, a ainsi été construit avec la coopération française, dans le but de «réagir efficacement à l’apparition de maladies infectieuses qui menacent les populations de l’ensemble du globe», justifiait alors le chef du gouvernement. De tels propos sonnent étrangement à l’oreille à l’heure où le monde est justement confronté à une pandémie de cette nature.

Labo P4: «On était les meilleurs dans ce domaine-là»

Autorisé par le gouvernement français dans les années 2000, le projet lancé en 2004 a été acheté par Pékin après l’épisode du SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) ayant causé début 2003 plusieurs centaines de morts en Asie, puis l’épizootie de grippe aviaire (H5N1) fin 2003. Cet accord a néanmoins suscité quelques remous au sein même de l’exécutif, inquiet de voir la Chine accéder à certaines armes bactériologiques. Le journaliste Antoine Izambart fait part dans son ouvrage de ces craintes exprimées par l’administration et le SGDSN (Secrétariat général de la Défense et de la sécurité nationale), finalement vaincues, notamment par Jean-Pierre Raffarin, un ami de la Chine alors à la tête du gouvernement. La construction de ce «Fort Knox» a subi les affres des tensions sino-françaises en 2008 lors des Jeux olympiques de Pékin pour finalement être accrédité par les autorités chinoises en février 2017.

Medical workers in protective suits disinfect an intensive care unit (ICU) ward of Union Jiangbei Hospital in Wuhan, the epicentre of the novel coronavirus outbreak, Hubei province, China March 12, 2020. Picture taken March 12, 2020 - Sputnik Afrique
Une «victoire de la Chine sur le Covid-19» en trompe-l’œil?
L’ancien général de brigade aérienne, dorénavant directeur de recherches à l’IRIS (Institut de recherches internationales et stratégiques) explique ainsi le contexte de cette coopération franco-chinoise qui, pour certains, est sulfureuse:

«La France a aidé à fabriquer un laboratoire P4 parce que la Chine avait du P3, mais ils n’avaient pas de P4 de haut niveau. La France est très en pointe à ce niveau-là, ça fait partie des quelques rares ventes faites par la France au niveau de la qualité. Elle a vendu quelque chose, parce qu’on était les meilleurs dans ce domaine-là.»

Wuhan est la plus française des villes chinoises: le livre France-Chine, les liaisons dangereuses explique ainsi que 40% des investissements français en Chine sont concentrés dans cette ville, un partenariat qui remonte au général de Gaulle. Mais ce tropisme francophile ne fut pas le facteur déterminant pour le choix de Wuhan.

Wuhan, nid de virus

Interrogé par RFI, l’anthropologue Frédéric Keck, qui a pu accéder à ce lieu durant sa mise en place, explique que «c’est dans cette région de Chine qu’émergent un grand nombre de nouveaux virus». Confirmant ces propos, le général Brisset trouve «logique» ce choix d’implantation «pour des raisons d’épidémiologie classique». Celui-ci évoque sans détour les problèmes connus de contrôle sanitaire, notamment vis-à-vis de la «consommation d’animaux exotiques pour des raisons médicales et la pharmacopée chinoise traditionnelle». Le pangolin ou la chauve-souris sont-ils alors les coupables? De nombreux scientifiques semblent pencher pour cette thèse, tandis que le laboratoire P4 de Wuhan n’est toujours pas opérationnel dans la lutte contre le coronavirus, l’OMS ne l’ayant toujours pas certifié. Antoine Izambart évoque ainsi, pour la France, un «sentiment de gâchis».

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