«Elle aide le monde en échange de quelques milliards de dollars, mais la Chine aide effectivement le monde, parce qu’on lui a donné la possibilité de proposition d’exclusivité sur un certain nombre de fabrications. S’il n’y a pas de stocks de masques dans les pays européens, c’est parce qu’on a décidé que s’il y avait un problème, la Chine pourrait fournir. Donc effectivement, il y a une faute extrêmement lourde des dirigeants européens.»
C'est ainsi que le 7 avril Jean-Vincent Brisset, général de brigade aérienne, spécialiste des questions chinoises et de Défense à l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques), avait décrit en quelques mots au micro de Sputnik le nœud gordien de nos liens économiques et stratégiques avec la Chine. Toutefois, le raisonnement que développe celui qui fut attaché de l’Air à l’ambassade de France à Pékin pendant trois ans ne s’applique en effet pas qu’aux masques, médicaments et autres respirateurs vitaux en ces temps de pandémie de Covid-19, mais à tous les secteurs de l’industrie, et singulièrement le numérique.
Trop heureux de délocaliser l’effort et la pollution, tout en augmentant leurs marges bénéficiaires, nombre d’industriels, principalement dans les secteurs des télécommunications et de l’automobile, transférèrent leurs unités de production en cette région de Chine, ainsi qu’aux territoires limitrophes.
Mus par une politique du court terme, les groupes occidentaux fermèrent les yeux sur le risque de coupure dramatique de leur chaîne logistique: la complexité des produits finis est telle que l’absence d’une seule pièce électronique peut empêcher le bon fonctionnement de l’ensemble de l’appareil. Faire ce choix, c’était oublier de manière inconséquente que de la maîtrise de l’outil industriel procède la souveraineté technologique. Une attitude qui se révéla encore plus sujette à critique avec la survenance d’avanies chronique d’ordre épidémiologique, rendant l’opération plus coûteuse que prévu.
Une mondialisation des hommes, des capitaux… et des agents infectieux
Le Covid-19 a ainsi démontré que la mondialisation n’était pas que celle des hommes et des capitaux, mais aussi des agents infectieux.
À ce stade, il serait facile –et erroné– de faire reposer sur la Chine la responsabilité de la propagation du virus, puisque le pays a été le premier à pâtir de cette infection. Depuis les années 1980 et les réformes de Deng Xiaoping, les autorités chinoises se sont armées pour la mondialisation et ont offert aux autres puissances mondiales un apport de croissance en mettant à disposition leur population, leurs ressources minières et leurs usines, en contrepartie d’un accès facilité à leur marché.
Une situation qui perdura jusqu’à l’avènement de Donald Trump, lequel remit radicalement en cause cette politique en s’engageant dans un bras de fer commercial et industriel avec la Chine –l’aspect le plus médiatisé– et avec ses propres hommes d’affaires –conflit plus feutré, mais bien réel– en insistant sur le nécessaire rapatriement d’activités externalisées et l’emploi de main-d’œuvre locale.
On se souvient à ce titre de la défiance marquée –à l’exception notable de Peter Thiel– des acteurs majeurs de la Silicon Valley à l’égard du nouveau chef de l’exécutif américain. Mais ce récent revirement américain fut loin d’être partagé par la Commission européenne, garante d’une orthodoxie visant à abattre toute frontière et à démanteler les monopoles stratégiques.
Occidentaux, victimes consentantes de leur sujétion technologique
Jusqu’à mars 2020, le credo pour une majorité de grandes entreprises européennes, exception faite des allemandes, demeurait d’externaliser à tout prix, de promouvoir le credo de l’entreprise sans usine. Elles ont été contraintes, en sus de la pression fiscale nationale et de la pléthorique réglementation européenne, de fermer mines et usines traditionnelles, jugées trop polluantes par une politique environnementale agressive et contre-productive: la politique de l’usine virtuelle était née.
Pourtant, les signaux n’ont pas manqué pour alerter sur cette réalité prévisible, à commencer par ce rapport du Sénat français publié en mars 2013 et intitulé de façon prémonitoire «L’Union européenne, colonie du monde numérique?» et dans lequel un constat cinglant n’a pas été pris en compte:
«Les restrictions en matière d’aides d’État auxquelles sont soumises les entreprises européennes leur font subir un handicap concurrentiel face à des concurrents mondiaux assujettis à moins de contraintes…»
La nature ayant horreur du vide, pourquoi la Chine ne se serait-elle pas emparée d’un secteur aussi dynamique et stratégique que celui du versant industriel du numérique? La politique chinoise fondée sur le duo imitation-innovation –avec le concours de conglomérats capables de se diversifier– fut employée avec à-propos pour saisir pareille opportunité: Américains et surtout Européens furent les victimes consentantes de leur sujétion technologique. Or, pour reprendre une analogie épidémiologique, l’industrie, c’est la défense immunitaire des nations qui entendent rester souveraines.
Reste à savoir si le Covid-19 consacrera le retour d’une politique de souveraineté technologique en Occident ou s’il précipitera des États incapables de saisir la mesure de leur erreur géoéconomique, préférant trouver en la Chine un bouc émissaire par trop idéal?