«Mon sentiment est qu’il y a aujourd’hui des salariés qui sont en faute en faisant appel à leur droit de retrait de façon abusive, mais on n’a malheureusement plus les moyens de les forcer à travailler», déclare à Sputnik Éric Verhaeghe, chef d’entreprise et ancien membre du Medef.
Cet ancien président de l’Association pour l’emploi des cadres (APEC) rappelle que «le droit de retrait est un droit individuel qui s’applique contre l’avis de l’employeur». Mais même dans les conditions inédites que vit la France face à l’épidémie de coronavirus, «le salarié ne peut faire appel à ce droit que si l’employeur n’applique pas les mesures de sécurité» préconisées par le gouvernement.
«Si l’employeur est dans la possibilité de dire qu’il a appliqué toutes les consignes, le salarié ne peut pas faire usage du droit de retrait. Ainsi, il se met en faute», souligne Éric Verhaeghe.
Face à l’érosion de la situation dans les entreprises, le patronat panique
Le juriste appelle également les salariés à la prudence dans l’appréciation de la notion de «danger grave et imminent» cité dans la Loi, bien que cette appréciation «appartienne uniquement au salarié».
«La situation est à double tranchant, insiste Raphaël Dalmasso au micro de Sputnik. Soit c’est légitime et le travailleur a le droit de se retirer, soit il n’y a pas de raison valable et le salarié aura une sanction salariale ou disciplinaire.»
Rétablir le dialogue social de toute urgence
Éric Verhaeghe partage avec Sputnik une information venue «des milieux patronaux»: chez certains d’entre eux, deux tiers des salariés ne veulent plus venir travailler ou ne se sentent plus en capacité de venir travailler.
«J’ai interprété la remarque de Bruno Le Maire comme une manifestation de panique vis-à-vis de l’ampleur de la crise, estime Éric Verhaeghe. On me dit que la majorité de salariés qui travaillent dans les ateliers ne veut plus venir dans les usines.»
Raphaël Dalmasso estime que pour éviter le conflit, les salariés ont un levier de pression sur l’entreprise: faire valoir le «droit d’alerte» auprès de leur employeur, en précisant qu’ils estiment que la situation représente un danger sanitaire, afin que leur direction les équipe en moyens de protection.
Respecter les ordres face à l’implosion
N’a-t-on pas le sentiment, en ce temps de crise sanitaire, que les relations dérivent du champ législatif vers le domaine moral?
«Le conseil que l’on peut donner à l’employeur est de pacifier au maximum les relations sociales dans cette période compliquée, notamment pour tous les métiers qui sont sur la brèche: le secteur médical, l’alimentation, la grande distribution», propose Raphaël Dalmasso.
Pour Éric Verhaeghe, chef d’entreprise, il n’y a pas d’illusions à se faire: «on voit que la production va être impactée». Il présume que «pour les salariés, c’est comme l’exode de 1.940: “le système est en train de tomber, chacun pour soi et on verra plus tard”.»
«Le gouvernement a l’illusion qu’il peut freiner [le problème, ndlr], parce que les élites en France ont depuis plusieurs années l’illusion qu’ils contrôlent le pays. En réalité, on assiste à une page qui se tourne. Bruno Le Maire mentionne une vraie difficulté systémique, qui va être difficile à gérer dans tout le pays», conclut Éric Verhaeghe.
«Aujourd’hui, le gouvernement insiste sur le respect des ordres. Mais si l’armée est en déroute, les officiers ne peuvent pas menacer de fusiller tous les soldats», souligne M. Verhaeghe dans une métaphore.
De son côté, Raphaël Dalmasso, reste serein sur les perspectives d’application de la loi et pense qu’il y «aura des contentieux sur le droit de retrait et des conseils de jugement des Prud’hommes qui préciseront s’il y a eu des cas de “danger grave et imminent” dans les cas de ce coronavirus».
«Les tribunaux sont maintenant perturbés, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’état de droit en France», conclut le juriste.