Grasse, Perpignan, Réau, Bois d'Arcy, Nancy-Maxéville, Maubeuge, autant de prisons qui ont subi un début de mutinerie ces dernières vingt-quatre heures. L'émeute de la maison d'arrêt de Grasse le 17 mars a été la première tentative de mutinerie de prison en France engendrée par la crise du coronavirus. Plusieurs dizaines de détenus ont protesté contre la mesure du gouvernement de fermer les parloirs à compter du 18 mars afin d'endiguer la propagation de l’épidémie. Le bilan? Un feu de guérite, la dégradation de grillages, des projectiles lancés et des tirs de sommation. Aucun blessé n'est à déplorer. C’est pourtant ce que l'on pouvait craindre après avoir été témoins des images italiennes. 27 prisons de la péninsule ont été le théâtre de mutineries, faisant 10 morts parmi les détenus et 70 évasions à Foggia. Confronté à des violences similaires, le Brésil déplore près de 600 évasions.
«La sécurité chez nous est assez forte»
Pourtant, il ne faut pas s'alarmer de mutineries d'ampleur, selon François Korber, délégué général de l'association Robin des lois. Joint par Sputnik, il estime la situation carcérale italienne plus inquiétante: «on n'est pas l'Italie, là-bas, c'est souvent délabré». Ancien détenu durant vingt-cinq ans, il détaille la prise en charge par les forces de l'ordre d'une émeute au sein d'une prison.
«Quand il y a un début d'émeute, imaginons qu'une personne bloque un couloir, immédiatement, les ERIS, des unités spéciales, arrivent et se mettent à côté de la prison. Les gardes mobiles entourent la prison pour éviter tout risque d'évasion, et au bout de quelques heures, après avoir discuté, ils rentrent et ils tabassent tout le monde. Ce ne sont pas des enfants de chœur. Donc les rares émeutes que l'on ait connues en France s'arrêtent très vite. Je ne pense pas que l'on ait des images comme en Italie, parce que la sécurité chez nous est assez forte.»
Parloirs fermés et 100.00 masques
Outre la fermeture des parloirs, la ministre de la Justice Nicole Belloubet a promis ce 18 mars la distribution de 100.000 masques à destination des 188 prisons de France contenant plus de 70.000 détenus. Pas suffisant pour Adeline Hazan, contrôleuse générale des lieux de privation des libertés (CGLPL) et certaines associations qui pointent «un risque sanitaire élevé» dans un contexte de surpopulation carcérale à hauteur de 116%. Le 13 mars a été enregistré le premier cas de contamination au Covid-19 auprès d'un détenu à Fresnes. Trois membres du personnel de la même prison ont également été testées positives.
🚨 Chaos dans les prisons : Une dizaine d’incidents en cours dans tout le pays. Un point sur la situation https://t.co/sHpFP3INN3
— ACTU Pénitentiaire (@actupenit) March 18, 2020
Jérôme Massip, secrétaire général du syndicat pénitentiaire des surveillants en poste à Perpignan, détaille pour Sputnik les mesures prises et évoque une relative compréhension de la part des incarcérés:
«Tout ce qui était sas de décompression, comme le sport, la musculation, les activités socio-culturelles, tout a été suspendu. Donc forcément, il y a de la tension, mais grosso modo, on va dire que la population carcérale comprend qu'il s'agit là de leur protection à eux et de leurs familles.»
Pourtant, une centaine de détenus de la prison de Perpignan ont eux aussi protesté contre la fermeture des parloirs ce 17 mars. Alors en promenade, ils ont refusé de regagner leurs cellules avant que le calme ne soit rétabli par les forces de l'ordre.
🚨 Flash-inFO Perpignan : Mouvement collectif au centre pénitentiaire par une centaine de détenus. Les surveillants sont en sécurité. Les forces de l'ordre sont sur place pour sécuriser les lieux et aider à rétablir l'ordre. Le @SNPFO_PS apporte son soutien aux collègues. pic.twitter.com/IfGpVdnFPX
— SNPFO (@SNPFO_PS) March 17, 2020
François Korber décrit des mesures de confinement décrétées par l’exécutif pour l'ensemble des Français, mais qui sont «absolument inapplicables» en détention. Il évoque une situation de «stress énorme» pour l'ensemble des détenus:
«Le fait que ça soit un lieu clos a jusqu'à présent retardé [la propagation, ndlr]. Et maintenant, à l'inverse, ça peut devenir une véritable bombe virale parce qu'il y a la promiscuité […] il n'y a aucun moyen de protection pour l'instant. Il n'y a pas de gants, il n'y a pas de masques et il n'y a pas de gel.»
«Au même titre que le personnel médical, pas de masques, pas de gel hydroalcoolique, pas de moyen de protection distribué aux agents. […] 100.000, ce n'est pas suffisant quand on sait qu'un masque, il faut le changer 4 ou 5 fois par jour. C'est largement insuffisant.»
Jérôme Massip se dit inquiet comme la plupart des Français quant aux conséquences directes de l’épidémie, mais relativise ce phénomène de «cluster» que pourrait vivre un espace clos comme les prisons.
«Tout a été fait pour limiter le contact entre l'intérieur et l’extérieur. Tout a été mis en œuvre. Donc il n'y a pas de raison pour qu'il y ait ce genre d'épidémie plus dans les prisons qu'à l'extérieur. Je pense justement que ce sera plus limité dans le milieu carcéral qu'à l'extérieur.»
Libération des moins dangereux
C'est aussi le cas d'Adeline Hazan qui recommande de réduire drastiquement en «aménageant toutes les courtes durées et celle des détenus âgés». François Korber est sur la même ligne. La mesure a déjà été appliquée par l'Iran qui a décidé de libérer provisoirement 85.000 détenus purgeant un emprisonnement inférieur à cinq ans. En ce sens, l'association Robin des lois a saisi ce 16 mars la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) pour qu'elle puisse demander, de toute urgence, à l'État de mettre en œuvre les libérations des personnes en détention provisoire, les courtes peines ainsi que ceux en fin de peine, quitte à les encadrer au moyen de bracelets électroniques.
«C'est parfaitement possible. On demande à la Garde des Sceaux de faire prendre par les procureurs des réquisitions pour mettre en liberté, tout de suite, les gens […] en faisant évidemment attention à ne pas remettre en liberté des terroristes ou ceux qui ont tué trois personnes. Nous ne sommes pas irresponsables.»
La CEDH n'ayant qu'un avis consultatif, la mesure a peu de chances d'être mise en place. Interrogée par le quotidien 20 Minutes, Mme Belloubet a refusé toute concession à ce propos: «Nous ne sommes pas du tout dans cette optique-là!».