Présent à Ottawa pour discuter avec Justin Trudeau le 27 janvier, Juan Guaido avait un programme bien rempli la semaine précédente. Le Président autoproclamé du Venezuela a échangé avec Boris Johnson, avant de rencontrer d’autres dirigeants européens à Bruxelles puis à Davos. Il a ensuite été reçu à l’Élysée par Emmanuel Macron. Le Président de la République a rappelé le soutien français «à l’organisation rapide d’une élection présidentielle libre et transparente» à Caracas. Le périple européen de Juan Guaido s’est terminé à Madrid, sauf que le Premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, ne l’a pas reçu. Celui qui l’avait reconnu comme Président par intérim du Venezuela il y a onze mois a laissé sa ministre des Affaires étrangères s’en charger. Est-ce le signe d’un changement de position au sein de la diplomatie européenne?
Le 23 janvier 2019, Juan Guaido, alors président de l’Assemblée nationale, se proclamait Président de la République par intérim. Une cinquantaine de pays l’ont reconnu, dont les États-Unis et de nombreux États européens, qui ont frappé le gouvernement vénézuélien de lourdes sanctions. Depuis lors, Nicolas Maduro, successeur d’Hugo Chavez, est toujours solidement accroché au pouvoir à Caracas, malgré la crise sociale, économique et politique qui frappe son pays. Et selon l’institut Datanalisis, la popularité de Guaido a chuté de 63% en janvier 2019 à 38,9% en décembre.
Sputnik a interrogé Maurice Lemoine, ancien rédacteur en chef du Monde diplomatique et grand spécialiste de l’Amérique latine. Il est notamment l’auteur de Venezuela, Chronique d’une déstabilisation (Éd. Le Temps des Cerises).
Sputnik France: Quels étaient les objectifs de la tournée européenne de Juan Guaido?
Maurice Lemoine: «Le but de Juan Guaido, c’est de réexister, en réalité. Ce que l’on appelle l’opération Guaido a pour le moment complètement échoué au Venezuela. Le 23 janvier 2019, il était censé faire partir Nicolas Maduro, faire rentrer de l’aide humanitaire au Venezuela, retourner l’armée, etc. Rien ne s’est passé. Mais pas seulement. Du fait d’évènements plus récents, on a découvert ses liens avec le groupe des narco-paramilitaires colombiens “Los Rastrojos”, lorsqu’il est passé clandestinement en Colombie en février 2019, mais aussi de sombres affaires de corruption chez ses amis et son entourage. Ils ont récupéré 468 millions de dollars des États-Unis, soi-disant pour de l’aide humanitaire au Venezuela, aide qui n’est évidemment jamais arrivée au Venezuela et qui est dilapidée par cette espèce de gouvernement parallèle, qu’il a mis en place en partie en Colombie, en Espagne et un peu partout.
Sputnik France: Pourquoi Pedro Sanchez, Premier ministre espagnol, a-t-il refusé de le recevoir?
Maurice Lemoine: «Les Européens sont très ennuyés dans cette affaire. Ça reste mon point de vue, mais ils ont fait l’erreur de le reconnaître comme Président intérimaire du Venezuela. Ils ne sont quand même pas stupides au point de ne pas savoir ce qu’il est en train de se passer. En même temps, ils ne veulent pas trop s’écarter de Washington, avec qui il y a déjà des problèmes, dont les GAFA ou l’Iran. Vous avez ceux qui, très hypocritement comme le Président Macron, ont reçu Guaido à l’Élysée, mais sans déclaration commune, sans cérémonie ou photo officielle sur le perron. Lorsque Guaido est allé au forum de Davos, il a réussi à voler une photo avec Angela Merkel, comme un gamin qui demande un selfie avec un footballeur.
Conversation passionnante aujourd’hui avec le président par intérim du #Venezuela, #JuanGuaido : son courage et ses idéaux forcent l’admiration. Ce serait l’intérêt et l’honneur de l’Europe de le soutenir. pic.twitter.com/GqJiBnBzgN
— Jacques Attali (@jattali) January 25, 2020
En Espagne, ça a déclenché effectivement une crise interne, dans la mesure où Pedro Sanchez, Premier ministre socialiste, a refusé de le recevoir, ou en tout cas ne l’a pas reçu. Il a simplement été reçu par la ministre des Affaires étrangères. Là, on sent bien l’embarras, puisque Pedro Sanchez a été, avec Emmanuel Macron il y a un an, le premier à reconnaître Guaido. Il se trouve que le gouvernement espagnol comprend des ministres de Podemos, donc ça pose des problèmes. Ils ont trouvé un compromis. Le seul succès du voyage de Guaido, c’est la manifestation qui a été organisée sur la place de la Puerta del Sol, où il a pu parler en présence de quelques milliers d’exilés vénézuéliens. Sinon pour le reste, c’est un voyage semi-clandestin.»
Sputnik France: Pourquoi la diplomatie française semble-t-elle être en première ligne afin de soutenir cet opposant vénézuélien?
Maurice Lemoine: «Je voudrais bien le savoir. Je n’ai pas d’explication rationnelle. Il y a certaines corrélations. Par exemple, Juan Guaido a tenu une conférence à la Maison de l’Amérique Latine. L’une des organisatrices de cette conférence est une Franco-Vénézuélienne, Paula Doumerg, assistante parlementaire d’un député La République en Marche. Mais sur le plan purement politique, je ne vois absolument pas l’intérêt qu’a Emmanuel Macron à reconnaître Guaido, à part une hostilité de principe à Nicolas Maduro.
Sputnik France: Emmanuel Macron a rappelé le soutien de la France à l’organisation d’une nouvelle «élection présidentielle libre et transparente». Selon vous, convoquer de nouvelles élections résoudrait-il la crise politique?
Maurice Lemoine: «C’est le côté absurde de l’histoire. Dans l’esprit d’Emmanuel Macron et surtout de Donald Trump, parce qu’en réalité, on est des suiveurs, des élections libres et transparentes, ce serait des élections sans Maduro. Or c’est aux Vénézuéliens d’en décider.»