Le Venezuela, nouvelle gaffe de la diplomatie française après la Syrie? Comment expliquer la position française en première ligne dans la dénonciation du gouvernement vénézuélien? Rappelons les faits. En 2017, le Président Macron qualifiait le pays de «dictature». Lorsque Juan Guaido s'est autoproclamé Président de la République par intérim le 23 janvier 2019, une dizaine d'États européens —dont la France- emboîtent le pas aux États-Unis et le reconnaissent comme dirigeant légitime du pays. Sauf qu'une majeure partie du pays serait toujours acquise à la cause de Maduro. On en parle avec Maurice Lemoine, auteur du livre Venezuela, Chronique d'une déstabilisation, publié le 4 avril aux Éditions Le Temps des Cerises.
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Bien qu'il soit reconnu par une quarantaine de pays, dont les États-Unis, le Royaume-Uni et la France, le Président autoproclamé Juan Guaido n'a pas encore vu sa stratégie couronnée de succès: Nicolas Maduro tient toujours le pays. Pourtant ses partisans ont investi les locaux du consulat vénézuélien à New York le 19 mars dernier, tandis que le personnel diplomatique a été rapatrié à Caracas. Maurice Lemoine réagit ainsi à cette action:
«C'est une claire violation de la Convention de Vienne qui régit les relations diplomatiques et on est dans une opération de piraterie internationale […] On est dans une stratégie consistant à essayer de nous faire croire que la communauté internationale, qui se réduirait aux États-Unis et à l'Union européenne, reconnaît Juan Guaido alors qu'en réalité, pour le moment et jusqu'à preuve du contraire, il y a un Président légitime au Venezuela, c'est Nicolas Maduro. Cela étant, cela fonctionne effectivement dans l'opinion publique à travers un certain nombre de médias qui sont quasiment acquis à la cause de l'opposition vénézuélienne.»
«Il n'y a aucune rationalité là-dedans, le Président Macron, le gouvernement français, rencontre sans manifestement avoir de problèmes, le Président égyptien Al-Sissi, où il y a des milliers de prisonniers politiques.»
Mais alors pourquoi Nicolas Maduro, et par extension Hugo Chavez, dérange-t-il autant? Pour Maurice Lemoine, la droite européenne est évidemment en désaccord profond avec ses politiques socialistes alors que les sociaux-démocrates cultiveraient une hostilité ancienne à l'égard du chavisme. Il faut remonter en effet à 1.992 et à une tentative de putsch:
«Il se trouve qu'Hugo Chavez, le 4 février 1992, lorsqu'il a tenté un coup d'État contre un Président qui s'appelait Carlos Andres Perez, ce Président était vice-président de l'internationale socialiste. De sorte que depuis le départ, Chavez s'est mis à dos toute la social-démocratie européenne […] Y compris une extrême-gauche qui considère que ce n'est pas une vraie révolution et qui donc est très critique. Ce qui fait qu'en réalité, il y a un large spectre de l'appareil politique qui déteste le Venezuela.»
«On a la crise des Gilets jaunes où on voit le gouvernement dénoncer en permanence l'extrême violence. Je rappelle que les Gilets jaunes ne tirent pas à balles réelles sur la police française, alors qu'au Venezuela, quand vous avez des manifestations, celles qui ont eu lieu en 2014 et 2017, des manifestations insurrectionnelles, on a eu à chaque fois en 2014, neuf policiers tués par balle et en 2017 sept policiers tués par balle et des dizaines d'autres blessés par balle. Mais c'est présenté chez nous comme de la répression du gouvernement. Donc évidemment pour le Français commun, après des années de ce traitement-là, par définition, de bonne fois, les gens pensent que le Venezuela est une dictature.»
«C'est une déstabilisation de l'extérieur et de l'intérieur, c'est-à-dire deux forces qui se joignent, l'opposition vénézuélienne radicale; tous les opposants vénézuéliens ne sont pas des fous furieux, mais il y a une opposition radicale qui a pris le dessus, et puis évidemment qui est aidée par les États-Unis.
Sur le plan purement politique, l'opposition vénézuélienne a perdu la partie à l'intérieur du pays, toutes ses initiatives se sont finalement retournées contre elle, elle est très divisée, il y a une guerre des chefs, et donc la bataille contre le Président Nicolas Maduro se livre maintenant depuis les États-Unis, depuis Bruxelles et l'Union européenne. C'est là que la déstabilisation est mise en œuvre. L'exemple le plus frappant, c'est évidemment les sanctions des États-Unis. On a vu récemment un grand show de tentative de rentrée de l'aide humanitaire qui venait des États-Unis. Or il se trouve que les États-Unis sont en train d'imposer des sanctions au Venezuela.»
Dès 2015, c'est Barack Obama qui signe un décret faisant du Venezuela une menace extraordinaire pour la sécurité nationale américaine, une initiative qui ouvre la porte aux sanctions. Selon Maurice Lemoine, «l'opposition radicale» et ses soutiens ne cherchent pas à battre Maduro aux élections, ce qui est un comble. Le 20 mai 2018, rappelons que le Président sortant a obtenu 68% des voix, avec un faible taux de participation, car l'opposition avait appelé au boycott en vue de délégitimer le scrutin. Le journaliste estime qu'ils souhaitent faire tomber Maduro et ainsi le symbole Hugo Chavez:
«Il faut que le socialisme du XXIe siècle, que le chavisme, soit défait dans des conditions extrêmement violentes pour servir d'exemple à l'ensemble de l'Amérique latine.»
La première étape serait ainsi la mise en place de sanctions économiques et financières asphyxiant le pays. Deuxièmement, l'option de l'intervention militaire n'est pas écartée par la Maison-Blanche, ce qui pourrait s'avérer gravissime pour les équilibres régionaux:
«L'option est sur la table, tous les responsables américains depuis Donald Trump, en passant par Mike Pence, le vice-Président, Mike Pompeo, le chef de la diplomatie, et John Bolton, le fou furieux qui est à la Sécurité nationale, ont tous dit que toutes les options étaient sur la table, laissant entendre que l'option militaire est sur la table.
C'est compliqué parce que ce que j'appelle les supplétifs des États-Unis, 14 pays d'Amérique latine que l'on appelle le groupe de Lima, qui sont extrêmement hostiles à Caracas, ont eu d'un seul coup la prise de conscience que si jamais le Venezuela était envahi, il y aurait une guerre civile et c'est toute la région qui allait être touchée […] Si demain a lieu une invasion du Venezuela par les Marines, la Colombie immédiatement s'embrase.»
«Il y a au Venezuela ce qu'on appelle les milicias, […] Il y a 1,6 million de Vénézuéliens qui vont s'entraîner régulièrement, volontairement, pour défendre la patrie. C'est-à-dire que même dans l'hypothèse où l'armée lâcherait, où des militaires se rebelleraient contre Maduro, il y a 1,6 million de personnes qui sont prêtes à prendre les armes pour défendre le Venezuela.»
Son ouvrage Venezuela, Chronique d'une déstabilisation est extrêmement bien documenté, mais l'auteur ne cache pas ses sympathies pour le gouvernement de Caracas:
«J'avais un lien plus proche avec Chavez, car le 11 avril 2002 quand il y a eu le coup d'État contre Chavez, j'ai été en tant que journaliste à un endroit-clé, où j'ai fait des photos qui expliquaient la manipulation. J'ai été connu pour avoir fait ça, j'ai été le premier en Europe à révéler ce qui s'est passé, donc Chavez me connaissait, on avait des relations, on se serrait la main, etc. Ce n'est pas ça le problème, j'ai 45 années d'Amérique latine dans les baskets, donc quand on me parle de dictature au Venezuela, ça me fait rigoler.»
On peut le constater, Maurice Lemoine a clairement choisi son camp:
«On ne peut pas être neutre, quand je vois l'agression des États-Unis et de l'Union européenne contre le Venezuela, quand on me pose la question, je ne suis pas neutre, je suis honnête, je ne cache rien, mais on n'est pas neutre entre les juifs et les nazis, on n'est pas neutre entre Salvador Allende et Augusto Pinochet, on n'est pas neutre entre la République espagnole et Franco.»