Étienne Chouard: «Évidemment que nous ne sommes pas en démocratie!»

© Sputnik. Antoine HarrewynEtienne Chouard
Etienne Chouard - Sputnik Afrique
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Est-ce le Grand Soir pour les Gilets Jaunes? Le RIC, dont il est l’un des promoteurs, est-il la solution miracle pour sauver la démocratie représentative? Les accusations de complotisme? Le professeur d’économie et de droit, militant et blogueur politique, Étienne Chouard a longuement répondu aux questions de Sputnik.

Confusionniste, rouge-brun, infréquentable… rien que ça?
Que peut-on dire de plus sur Étienne Chouard que ce qu'ont déjà dit Le Monde et Arrêt sur Images? Alors que le mouvement des Gilets Jaunes semble s'essouffler, en tout cas à Paris, Sputnik a reçu dans ses locaux ce professeur d'économie et de droit devenu militant qui sentirait le soufre.
Lors du referendum de 2005, il était l'une des figures de proue du Non au Traité constitutionnel européen. Après avoir contribué à populariser le RIC (referendum d'initiative citoyenne), il est devenu l'un des champions des Gilets Jaunes. Nous avons écouté ce qu'il avait à dire, sans l'accuser immédiatement de complotisme ou d'être soralien.

Nous laissons à nos lecteurs la possibilité de se construire une opinion par eux-mêmes, voici l'entretien en intégralité:

Premier contact, un jeudi soir de décembre, je lui demande s'il est disponible dans les prochains jours, il me répond dans la foulée et contre toute attente arriver le lendemain à Paris pour des passages médias. Je ne suis pas seul sur le coup, mais allons-y quand même! Il me propose également de s'écrire sur une plateforme de messagerie sécurisée, je lui réponds Telegram, il me rétorque: «Telegram est contrôlé par Facebook non? Alors que Signal est recommandé par Snowden et Poitras». Ça promet!

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Rencontre donc le 28 décembre avec le très disponible Étienne Chouard. Celui-ci m'explique presque naïvement avoir oublié la mobilisation hebdomadaire sur les Champs-Élysées qu'il juge dangereuse et contre-productive:

«Ces bagarres tous les samedis avec les CRS dans la capitale mettent, c'est vrai, la pression sur le pouvoir, mais sont un grand danger pour le mouvement. C'est trop tôt, il faudrait arriver à mon avis à faire pression de façon plus douce et plus diffuse sur le territoire comme c'est le cas le reste de la semaine et de façon beaucoup plus révolutionnaire, subversive et intéressante alors que la castagne avec les CRS me paraît extrêmement dangereuse et contre-productive.»

Non, lui préfère les Gilets Jaunes de province. Là où il a créé des «ateliers constituants». Malgré les intempéries, les casseurs et les fêtes de Noël, le mouvement reste extrêmement populaire auprès de la population française. Il y a encore une quinzaine de jours, le 19 décembre, 70% des Français les soutenaient et au 1er janvier, ils étaient encore 49% à souhaiter qu'il continue, malgré les violences en marge du mouvement et les concessions déjà obtenues. Le militant politique magnifie complètement ces mouvements de foules spontanés, louant l'exemplarité et l'infatigabilité des manifestants postés sur les giratoires.

«Ils sortent de chez eux —tout le monde devrait faire ça- et ils vont sur des lieux publics, de passage où il fait froid, où il pleut. Ils y restent même la nuit, donc ils y restent de façon obstinée et ils font société.»

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Il loue également leur volonté de dépasser les clivages partisans, en masquant volontairement leur appartenance politique. Mais il se montre plutôt critique vis-à-vis de la longue liste de revendications du mouvement, qui ne seraient que législatives et qui n'aborderaient pas de front les dysfonctionnements démocratiques. Il n'y aurait qu'une seule mesure qui trouve réellement grâce à ses yeux, son fameux RIC.

«La liste de doléances, ce sont des requêtes adressées à un pouvoir supérieur, à l'élu, aux élus et on leur demande s'il-vous-plaît, un peu moins d'impôts, un peu plus de salaires, un peu de destruction de services publics […] Toutes ces doléances sont législatives, sauf qu'au milieu, il y en a une —c'est une pépite qui n'est pas législative- c'est le referendum d'initiative citoyenne et elle est constituante. Ce n'est pas une loi, c'est une façon de voter les lois qui fait que le peuple lui-même, de sa propre initiative, peut décider des sujets qui sont importants pour lui, sans que ce soit imposé par les élus.»

La question du referendum d'Initiative populaire —ou citoyenne, comme on voudra- a ressurgi au mois de décembre, parmi les nombreuses revendications des Gilets Jaunes. Étienne Chouard propose ainsi son institution afin de mettre en place une démocratie directe, qui irait radicalement plus loin que la Suisse. Un individu unique pourrait poser une question par referendum:

«Le RIC c'est la possibilité pour un groupe de personnes, pour une personne de poser une question à l'ensemble de ses citoyens. Une des premières questions à se poser, c'est combien de personnes sont légitimes poser la question. En Italie, en Suisse, c'est 100.000, 500.000, ça pourrait être un million, c'est à nous de décider […] Moi je dirais qu'une personne devrait pouvoir poser la question.»

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Bien sûr, la conséquence directe de cette déclaration, le RIC illimité et sans quota minimum, c'est que cela entraînerait un joyeux bazar. Le blogueur a prévu l'éventualité, imaginant la mise en place d'un filtre intitulé «la Chambre du referendum», dont les membres seraient des citoyens lambda tirés au sort, façon démocratie athénienne. Plusieurs autres arguments peuvent être objectés au RIC, comme la tyrannie de la majorité, de l'émotion, un éventuel rétablissement de la peine de mort, la suppression du mariage homosexuel… Des «chiffons rouges», rétorque Chouard. Pour se prémunir des cas les plus risqués, il préconise la mise en place d'une campagne d'information neutre de six mois ou un an:

«Je suis contre la peine de mort, je suis évidemment pour que les femmes puissent avorter. Tout cela va de soi pour moi et il y a plein d'arguments qui vont dans ce sens […] Je suis démocrate, c'est-à-dire je suis pour que les peuples décident eux-mêmes de leur destin et prennent eux-mêmes les décisions qu'ils considèrent comme les plus importantes. Du même coup, si on est vraiment démocrate, honnête, il faut s'attendre de temps en temps, sur certains sujets qui peuvent être importants, à ce que le peuple prenne des décisions qui ne soient pas celles que j'aurais prises.»

Je ne résiste évidemment pas à la tentation de demander à ce démocrate et brillant théoricien (et paraît-il fameux parapentiste) si nous sommes réellement en démocratie.

"Évidemment que nous ne sommes pas en démocratie, c'est quoi la démocratie? C'est un régime dans lequel le demos a du kratos, le peuple a du pouvoir.»

Petit choc d'apprendre que je n'ai pas de pouvoir. Étienne Chouard tonne ainsi contre la démocratie représentative et les élus, sur qui le peuple n'aurait aucune prise.

«Élire, c'est renoncer à voter. La démocratie, ce serait des citoyens qui votent leurs lois. Alors que nous sommes dans un gouvernement représentatif dans lequel nous ne votons rien, nous élisons des maîtres qui vont tout voter à notre place, c'est une anti-démocratie.»

Il encourage les mandats révocatoires, mesure promue à titre personnel par l'un de ses amis, le député François Ruffin qui l'a cité, début décembre, lors d'une conférence de presse à l'Assemblée nationale, accompagné de ses collègues Insoumis. Il n'imaginait pas le tollé. Étienne Chouard le défend, expliquant ne lui avoir rien demandé. Certains députés LFI ont exprimé rapidement leur malaise vis-à-vis de Chouard, promu au rang de référence sulfureuse, à commencer par Clémentine Autain:

Une autre figure de gauche, Aude Lancelin, directrice du Média, accuse Chouard de confusionnisme et de frayer avec Alain Soral:

Et enfin la LICRA qui s'est fendue d'un communiqué l'accusant de complotisme.

Révélateur ou pas, quand on cherche le nom d'Étienne Chouard sur Google, les recherches associées sont des personnalités souverainistes comme François Asselineau ou Natacha Polony, mais aussi d'autres plus sulfureuses, comme Alain Soral ou Thierry Meyssan. Le professeur de droit et d'économie à Marseille se défend avec véhémence de créer des passerelles entre extrême-droite et extrême-gauche. Est-il un rouge-brun? Sur le cas Soral, il qualifiait en 2014 le fondateur d'Égalité & Réconciliation, condamné plusieurs fois pour antisémitisme, de «résistant». Il a réitéré devant moi ses propos, déclarant toutefois n'être pas proche du tout du personnage. Comment justifier alors son propos? En parlant de la 2de Guerre mondiale:

«Dans la Résistance, pendant la guerre, il y avait des communistes qui se battaient avec des maurassiens, c'est la droite de la droite la plus dure. Ça ne vous gêne pas? Quand le pays est en survie, oui les communistes se mettent avec les maurassiens, de Gaulle était maurassien».

Et il ajoute:

«Je suis d'extrême gauche, parce que j'ai un projet qui est fondamentalement démocratique. Je ne veux pas de chef, je veux des chefs dominés, je suis anti-tyrannique, c'est extravagant de m'assimiler à l'extrême-droite.»

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