«C'est la France qui a fait en sorte que Trump après son annonce, ne quitte pas la Syrie»

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Patrice Franceschi - Sputnik Afrique
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Patrice Franceschi, écrivain-aventurier, capitaine du trois-mâts La Boudeuse, engagé pour la cause kurde, publie son dernier livre «Éthique du Samouraï moderne» chez Grasset. L’occasion pour Sputnik de l’interroger dans son antre, la prestigieuse Société de géographie à Paris.

Un nouveau BHL corse? Sa participation à la guerre d'Afghanistan dans les années 1980 puis la cause kurde en Syrie. Patrice Franceschi remplirait à merveille toutes les cases de l'intellectuel fétiche… sauf que non. Lui mouille sa chemise bleue au cœur des luttes qu'il trouve justes. D'innombrables papiers ont déjà dressé son portrait de Libération à l'Incorrect. Mais l'homme libre publie son dernier livre, un testament politique, un manuel de combat, d'ascèse et d'honneur pour temps de désarroi, Éthique du Samouraï moderne (Ed. Grasset).

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Quel honneur de rencontrer ce personnage haut en couleurs, connu en France pour ses nombreuses tribunes en faveur des Kurdes ou pour ses expéditions à bord de La Boudeuse, son trois-mâts réplique du navire de Bougainville. Après des mois de persévérance, je parviens enfin à le saisir pour la promotion de son livre, boulevard Saint-Germain, à la Société de géographie où se côtoyaient il y a des années, Haroun Tazieff, Cousteau et Paul-Émile Victor. Des grands noms que Franceschi dans ses vingt ans, osait à peine approcher. Lui-même fait désormais partie des meubles, étant le président d'honneur de la Société des explorateurs. J'avais déjà eu affaire à l'un de ses compères de La Boudeuse et de la cause kurde, en la personne de Gérard Chaliand, grand géopoliticien français. Le rendez-vous pris, arrivée devant son bureau une demi-heure avant. Normal pour une telle star.

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Il dédie la majeure partie de sa vie au Kurdistan syrien depuis six années, le début de la guerre. Et en France il essaie d'alerter les autorités par de nombreuses tribunes sur l'importance de ne pas abandonner les Kurdes et justement, il rend un hommage appuyé au Président Macron qui recevait en 2018 à l'Élysée une délégation des Forces démocratiques syriennes (FDS) suite aux opérations turques à la frontière syrienne.

«La France, le Président de la République française a été le seul chef d'État au monde à recevoir une délégation de Kurdes il y a un an, au moment de la bataille d'Afrin. Les autres n'ont pas osé.»

Il nous fait part aussi d'une révélation étonnante sur la diplomatie française qui serait à l'origine du rétropédalage de Donald Trump sur le retrait américain. La France aurait encore de l'influence dans les pays arabes:

«C'est la France qui a fait en sorte que Trump, après son annonce, ne quitte pas la Syrie aussi rapidement qu'il l'avait annoncé. Ils sont encore présents. Absolument, je peux vous le garantir qu'on a employé tous les moyens qu'il fallait pour soutenir les Kurdes, auprès des Américains, et faire en sorte qu'on sauve les meubles […] On le doit quand même à la France et pour l'instant la France n'a pas du tout décidé de s'en aller et de laisser le bouclier anti-islamique produit par les Forces démocratiques syriennes dans le nord de la Syrie, s'évaporer.»

Mais son rôle à lui? Il reste volontairement très flou face à mon insistance, je lui ai demandé, en effet, de me préciser par trois fois, ce qu'il faisait concrètement pour la cause kurde. Et à chaque fois, il répond très vaguement: «il ne faut jamais se mettre en avant dans ces affaires-là» en passant par «pas la peine d'entrer dans les détails. J'accompagne cette lutte». Donc je termine en y allant franco, est-ce qu'il participe aux combats?

«Ils n'ont pas besoin de combattants, ce n'est pas l'époque de l'Afghanistan. Ils ont besoin d'appui, de conseil, de liens, de tout ce qui peut faire qu'entre la France et eux, quelque chose se passe, et fasse que nous combattions ensemble le même ennemi et victorieusement.»

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Il trouve ainsi dans les Kurdes de vrais samouraïs modernes, l'incarnation de son manuel de combat. Noblesse, hauteur d'âme, cohérence, courage, liberté et générosité:

«On serre les dents. Tel un samouraï moderne, on avance, on combat […]. On ne peut pas plaider pour un humanisme combattant, un humanisme qui décide de se défendre, et puis avoir peur de ce que peuvent faire les Turcs. Franchement non et puis les Kurdes me donnent tous les jours l'exemple que le vrai glaive de l'humanisme combattant, c'est l'alliance du courage et de la générosité.»

Ces propos dithyrambiques sur les Kurdes syriens qui pourraient proposer un modèle de démocratie améliorée masquent en réalité un combat sans doute perdu d'avance. Leur indépendance à court terme est une impossibilité politique, seul reste la lutte pour une relative autonomie. Il développe également sur leur solitude au Moyen-Orient face aux nombreux courants islamistes, vent debout contre tout projet démocratique, il illustre son argumentaire par la condition féminine:

«Il y a un vrai projet de société des Kurdes de Syrie. Avec tous les autres non. Surtout avec le poids de l'islamisme. C'est la Charia contre le Code civil. Qu'est-ce que disent les islamistes pour nous les Occidentaux par exemple? Au fond, nous combattons d'abord la démocratie parce que la démocratie peut se gouverner elle-même, mais quelle insulte à Dieu. […] Quand les Kurdes construisent des bataillons féminins de femmes commandées par des femmes ou de bataillons masculins commandés par des femmes, c'est insupportable pour ces gens-là.»

Peu lui chaut les menaces de mort qu'il encourt régulièrement pour être aussi engagé vis-à-vis des Kurdes. Il pourfend ainsi l'armée turque et le Président Recep Erdogan, qui serait coupable de nombreuses exactions dans la région et d'une idéologie mortifère proche des djihadistes:

«Les Turcs n'ont rien à faire dans le nord de la Syrie, mais en plus parce que le comportement qu'ils ont dans la guerre contre les Kurdes est abominable. Il n'y a rien à envier à ceux de Daech*. Ce qu'ils font dans la région d'Afrin, ils l'ont attaqué il y a un an, un nettoyage ethnique total et complet dans le silence international le plus incroyable qui soit et qu'on n'arrive pas à condamner internationalement, c'est franchement quelque chose de honteux. Les trucs c'est quoi? Erdogan aujourd'hui ce n'est pas un islamo-conservateur, c'est bien pire que cela, c'est un Frère musulman*, c'est un conquérant islamique et qui est très proche, en quelque sorte, de l'idéologie de l'État islamique*.»

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Mais comment en est-il arrivé là? En 1979, il a 24 ans, il a déjà parcouru la Guyane, l'Afrique, aidé les boat-people vietnamiens en mer de Chine avec Bernard Kouchner. Cette fois, il décide de partir en Afghanistan. Écrire un livre en accord avec son éditeur, dans la résistance anti-communiste. C'est là qu'il assiste aux premiers jours de l'intervention soviétique dans le pays pour s'engager définitivement dans la résistance aux côtés du commandant Amin Wardak, désormais réfugié politique en France. Il y restera 12 ans, jusqu'à la démission de Najibullah et la prise de Kaboul:

«J'ai assisté au premier jour de l'invasion, aux mois qui ont suivi, en étant dans les maquis afghans, et si j'ai pris la décision à ce moment-là de défendre les Afghans, et pas les moudjahidines. Ça ne s'appelait pas comme ça, tout ça naissait à peine, on est en 1979, 1980, seulement parce que j'avais envie de défendre un peuple, de gens qui me plaisaient, qui m'intéressaient, face à une superpuissance qui franchement leur faisait des choses honteuses. Je sais ce que c'est un bombardement d'une population, des villages rasés, etc.»

Mais il observe lucide, l'évolution de ce combat avec l'arrivée progressive des djihadistes menés notamment par Oussama Ben Laden dans le conflit qui prendront le pas sur les modérés francophiles comme Massoud ou Wardak. C'est le début de la guerre civile:

«Peu à peu, on les a vus arriver, les Ben Laden et tout cela. Et Amine Wardak et moi-même avons du combattre aussi ces islamistes, qui n'étaient rien de ce qu'on voulait de l'Afghanistan du lendemain, et finalement ce sont les modérés comme lui qui ont perdu. Pour moi, ça a duré 12 ans jusqu'à la libération de Kaboul, et après la libération, j'estimais que je n'avais plus rien à faire là, et que ça allait très mal se terminer. Parce qu'entretemps, pendant 12 ans étaient arrivés les Arabes, les islamistes, Ben Laden, les Frères musulmans*, c'était un grand chaos, ça s'est terminé en guerre civile. De cela est sortie une nouveauté, les Talibans* et ainsi de suite.»

L'état du pays actuel? Il refuse catégoriquement d'y revenir depuis les années 1990, amer sur ce combat où tour à tour, les Soviétiques puis les Américains se sont cassé les dents:

«C'est une guerre perdue non pas militairement mais humainement, et politiquement un désastre absolu. Les Américains ont fait après le pire qu'il soit, pour finir de détruire ce qui avait déjà été détruit par les Soviétiques.»

Mais qu'en retire-t-il de ces années de résistance, de luttes désespérées? Dans son manuel de combat, l'ermite aventurier plaide pour un sursaut de la civilisation occidentale à tous les niveaux. Face aux orages du monde, à la montée des arsenaux, du danger démographique, son constat est implacable, il dénonce principalement l'avilissement de la générosité et de la raison par le diktat de l'émotion et de la victime, érigée en ultime honneur:

«Ce basculement dans la victimisation est quelque chose de très frappant en Occident, et quand je fais des allers-retours entre le Kurdistan syrien, la guerre contre l'État islamique, et la France, je prends des claques incroyables car je change de monde […]. Ce qui caractérise notre époque, c'est peu à peu la dilution de la raison dans l'émotion et l'érosion de la volonté de vivre libre […] Le monde devient fou et entraine du désarroi. Mais regardez autour de vous, la plupart des gens ne sait plus très bien ce qu'il faut penser, tout devient relatif, tout vaut tout, qu'est-ce qui est beau et laid.»

Un texte qui réveille les consciences endormies, les gros-plein-de-soupe, ceux qui s'enferment dans le confort matériel en abandonnant leurs libertés. Qui n'est pas politiquement correct notamment envers les Gilets Jaunes:

«C'est une conséquence de la surconsommation, de la marchandisation, de son consumérisme absolu, je préférerais qu'on se révolte contre la disparition des libertés […]. Si tu te bats pour la liberté, pour celle de ton peuple, là tu commences à m'intéresser. Si c'est juste pour que ton pouvoir d'achat se maintienne ou augmente, je te comprends évidemment mais ça n'est pas le plus important pour moi. Je préfère être comme le loup maigre de la fable de la Fontaine plutôt que le chien gras avec un collier. N'oubliez jamais cette fable, elle dit tout de l'homme libre et de l'homme domestique.»

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Que faire? Comment agir alors pour freiner et arrêter cette fuite en avant? Patrice Franceschi préconise le combat avant tout:

«Il n'y a de dignité au fond que dans le combat quand le monde perd la raison […] Si vous ne combattez pas pour défendre quelque chose, il disparait, c'est ça la condition humaine, il ne faut pas être niais, l'histoire est un vaste bain de sang, l'espèce humaine est meurtrière.»

Même s'il ne dit pas croire à l'extinction de l'Occident, force est de remarquer que son message ne pousse pas à l'optimisme:

«Avec une extension à l'infini des droits individuels sans s'occuper du collectif, tout ça n'est pas très bon. Tout le monde le sent bien, et c'est ce désarroi qui provoque par exemple le tabou de la mort, le refus de la prise de risque, le principe de précaution érigé en exergue de tout, et qui fait que notre humanité dans notre énergie, dans notre souffle vital, s'atténue, diminue et qui fait qu'à un certain moment, on se demande si on est pas sur la fin de quelque chose.»

*Organisation terroriste interdite en Russie

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