Islamisme: après les idiots utiles, les fous utiles au service de la guerre civile?

© REUTERS / Charles PlatiauAn armed French policeman secures a street after a man was shot dead outside a police station in the 18th district in Paris, France
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Cinq années après l’attentat de Charlie Hebdo, la menace djihadiste a-t-elle reculé? Rien n’est moins sûr. Si les opérations commando se sont faites moins nombreuses, la fréquence d’attaques isolées, souvent menées par des «déséquilibrés», témoigne d’une tension, mais aussi d’un «écosystème islamiste» grandissant.

Était-elle folle, dangereuse, ou les deux à la fois? Dans la salle d’attente de la Gare d’Austerlitz à Paris, la jeune femme était intégralement voilée, y compris le visage, malgré la loi interdisant de se masquer dans l’espace public. Marchant de long en large, parlant seule, à haute voix et l’index en l’air, elle ne regardait aucun panneau d’affichage. Après quarante minutes, un jeune homme, témoin de la scène, s’est décidé à rapporter la situation au poste de police. Obtempérant, la jeune femme affirma ne vouloir faire de mal à personne. Mais les agents trouveront dans son sac un couteau doté d’une lame de 15 cm, et un exemplaire du Coran. Les policiers découvriront par ailleurs que cette femme de 37 ans avait fugué de son domicile.

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Une arme blanche, une fragilité psychologique et des signes immanquables de radicalité: de quoi faire craindre le pire, d’autant plus après les attentats des jours précédents. À Villejuif le 3 janvier, Nathan C. converti en 2017, âgé de 22 ans et atteint de troubles psychiatriques depuis l’âge de cinq ans, a épargné un homme de confession musulmane récitant une prière, avant de faire quatre victimes, dont un homme qui avait protégé sa femme d’un coup de couteau. À Metz le surlendemain, coup de chance: un individu criant «Allahu akbar» a, cette fois, été neutralisé par des tirs aux jambes par les forces de l’ordre après avoir menacé des passants de son couteau. Depuis, il a été décrit comme «psychologiquement fragile» par les habitants.

Un tiers de déséquilibrés parmi les radicalisés

Mais il faut bien dire, l’accumulation depuis les attentats de Charlie Hebdo a de quoi surprendre. Mickaël Harpon, le terroriste de la préfecture, mais aussi Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, celui qui a tué 86 personnes à Nice le 14 juillet 2016 et qui aurait été sujet à des crises psychotiques, ou plus récemment Kobili Traoré, le meurtrier de Sarah Halimi, dont le discernement aurait été aboli au moment des faits: les dérangés sont nombreux.

Selon Europol en 2015, 35% des auteurs d’attaques terroristes depuis 2000 souffraient de déséquilibres mentaux. Un chiffre identique à celui avancé par Gérard Collomb, alors ministre de l’Intérieur, en juillet 2017: selon l’ex-premier flic de France, à peu près un tiers des personnes figurant dans le fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation présenteraient des troubles psychologiques. Dans le débat public, l’affirmation de trouble psychiatrique est explosive: les médias n’ont eu de cesse de souligner les «déséquilibres», tandis que la droite vilipendait là un refus de dénoncer l’islamisme. Pourtant, islamisme et déséquilibre psychologique sont loin de s’annuler l’un l’autre, au contraire.

«Ils n’ont pas de stratégie, il n’y a plus que des dingues», s’est exclamé le criminologue Xavier Raufer, avec qui nous nous sommes entretenus. Celui-ci refuse l’idée d’une stratégie délibérée des djihadistes de l’organisation État islamique*:

«La caractéristique d’un fou, d’un malade mental, c’est de ne pas pouvoir s’associer avec quiconque», nous dit-il avant d’ajouter: «il ne peut pas y avoir une armée de paranos, il est tout simplement impossible de convaincre un malade mental de quoi que ce soit.»

«L’époque marque les gens, mais ce n’est pas délibéré», conclut Raufer, avant de renvoyer le problème à la psychiatrie. Impossible donc d’ordonner à des malades commettre des attentats plus ou moins suicides. Mais l’incitation existe, selon certains psychiatres.

Cité par La Croix, le psychiatre Serge Hefez estimait qu’il faut «s’attendre à ce que ce profil soit de plus en plus représenté parmi les auteurs d’attentat». Le Dr Hafez, qui reçoit depuis 2015 des jeunes radicalisés à la Pitié Salpêtrière, témoigne que «beaucoup de jeunes en quête de sens n’étaient pas délirants, mais le sont devenus au contact de l’idéologie de Daech». Celle-ci «exacerbe une vision complotiste d’un monde divisé entre les bons, qui seraient persécutés, et les méchants, qu’il faudrait combattre». Une vision aussi simpliste que manichéenne, donc.

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Aussi le Dr Sabine Riss, psychologue pénitentiaire, avance-t-elle que le déséquilibre psychologique est consubstantiel du terrorisme de Daech. En sept années de pratique en quartiers de haute sécurité, celle-ci a vu une évolution, à la suite de Mohammed Merah. Ainsi distingue-t-elle dans ses travaux les «terroristes classiques», ceux d’Al-Qaida* ou du Groupe islamique armé (GIA) algérien, à la pensée très structurée, et les «fascinés de Daech», qui relèvent «plutôt du champ de la psychose». Leurs personnalités seraient ainsi «ravagées, agoniques», dit-elle dans la revue Causette avant de préciser qu’ils «se situent entre la vie et la mort», comme leur héros Mohammed Merah, qui avait affirmé aux négociateurs du RAID «aimer la mort autant que vous aimez la vie».

© AFP 2023 Valery HACHE Mohammed Merah, le premier "loup solitaire", avait déclaré le 22 mars 2012 aux négociateurs du RAID: "nous aimons la mort autant que vous aimez la vie".
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Mohammed Merah, le premier "loup solitaire", avait déclaré le 22 mars 2012 aux négociateurs du RAID: "nous aimons la mort autant que vous aimez la vie".

Les prisonniers que la psychologue a rencontrés ne seraient «pas en mesure de maîtriser les ressorts de l’islamisme, au sens de l’idéologie politique». Traumatisés par leur passé, ils auraient été livrés à eux-mêmes: «personne ne leur a traduit le monde», estime-t-elle, avant de préciser la dimension mystique de leur engagement terroriste: «Leur point commun, c’est leur fascination pour les atteintes aux corps humains», affirme-t-elle. Des loups solitaires, car déséquilibrés, et inversement.

Un «terrorisme aux mille entailles»

Malgré l’échec du califat de Daech au Proche et Moyen-Orient, l’organisation conserve l’une de ses forces, empruntée à sa rivale Al-Qaida*: un mode opératoire anxiogène pour les sociétés occidentales. Une doctrine tirée d’un pavé de 1.600 pages, intitulé «L’appel à la résistance islamique mondiale», et publié en arabe et sur Internet en 2004 par un certain Abou Mussab Al-Souri, un djihadiste d’Al-Qaida* dont la trace a disparu en 2014 en Syrie. Face à l’échec inévitable d’une confrontation directe avec les armées de ces dernières, ce dernier prônait un «djihadisme de proximité», pour frapper les nations «mécréantes» d’innombrables entailles. Mais surtout pour diviser: en poussant les sociétés européennes à craindre et rejeter la jeunesse musulmane, pour ensuite manipuler le sentiment de victimisation des jeunes immigrés. Tout effort de lutte contre la radicalisation sert dès lors la rhétorique islamiste, qui peut y dénoncer la moindre trace «d’islamophobie».

Une doctrine qui se révèle d’une efficacité redoutable, à en croire les réactions dans les vidéos prises par des témoins de l’attentat de Metz, dans le quartier de Borny. Alors que les forces de l’ordre viennent de neutraliser le terroriste, des cris de témoins fusent contre elles: «c’est à cause vous, c’est vous les assassins!».

​Et le soir même, des émeutes ont éclaté. Des cocktails Molotov ont été lancés en direction des policiers déployés, et trois voitures brûlées:

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Malgré la défaite militaire de l’État islamique* au Levant, les outils demeurent, mais aussi le terreau dans l’Hexagone. Tout juste publié, l’ouvrage Les Territoires conquis de l’islamisme (PUF), dirigé par le Professeur Bernard Rougier, souligne l’ampleur du tournant idéologique progressivement emprunté par les mosquées françaises depuis la fin des années 90, sous l’influence salafiste, qui s’était emparée durant la décennie précédente de l’Algérie via le GIA. Un tournant difficile à percevoir, entre autres du fait de l'absence de maîtrise de la langue arabe par les chercheurs, selon Rougier. Se fondant sur les recherches de ses étudiants issus des quartiers concernés, le politologue estime quant à lui que la radicalisation ne se fait pas toute seule, mais qu’elle est un acte social. Dans les banlieues françaises, mosquées, salles de sport, commerces halal, librairies ou écoles islamiques forment un véritable «écosystème», où de multiples mouvements, qu’ils soient tablighs, salafistes, djihadistes ou fréristes*, se concurrencent et se nourrissent les uns les autres pour former des enclaves. Et pousser naturellement certains, psychologiquement fragiles ou non, à s’en prendre à des innocents. Pour sortir de la spirale, Rougier plaide pour un nouveau prosélytisme des musulmans libéraux, qui doivent aller concurrencer les acteurs salafistes ou fréristes dans ces enclaves.

*Organisation terroriste interdite en Russie.

 

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