«Il voulait tuer», a déclaré le militaire. Le 4 février 2015, trois soldats français du 54e régiment d’artillerie montaient la garde devant une synagogue à Nice, moins d’un moins après les attaques de Charlie Hebdo et de l’hypercacher. Les caméras de vidéosurveillance n’ont rien manqué: Coulibaly marchait, passant trois fois devant les militaires, un sac plastique dans la main droite, l’autre dans la poche de son manteau. Il lâcha son sac pour faire diversion, l’un soldat se baissa naturellement pour le ramasser. Le terroriste brandit alors un couteau de 40 cm de sa poche, lui portant un coup violent.
Heureusement, le soldat parvint à parer le coup de son bras. Les deux autres militaires se précipitèrent. L’un sera blessé au visage, mais d’une balayette, le troisième parvint à projeter Coulibaly au sol avant de le maîtriser. Luttant encore, frappant, il tenta de saisir le Famas du soldat. Durant la fouille, les militaires trouveront un second couteau attaché au mollet de Coulibaly. Hervé K., le troisième soldat, témoigna au procès le 10 décembre dernier: les yeux rouges, en larmes, le terroriste «se débattait, il regrettait de ne pas avoir fini son affaire. S’il avait pu, il l’aurait fait».
La détermination des fanatiques
Soit autant que pour le djihadiste Mickaël Dos Santos, jugé trois jours plus tard par la même Cour d’assises spéciale de Paris. Lui, par contumace, ayant sans doute été tué en Syrie en 2016. Connu comme l’un des bourreaux de Daech*, on le retrouve sur des photos, posant au côté de têtes tranchées brandies comme des trophées.
10 ans seulement pour des abominations commises en Syrie
La justice française aurait-elle adopté une fermeté exemplaire? En réalité, la jurisprudence apparaît beaucoup plus aléatoire. Le 29 novembre, le poseur de bombes Lahcen Zligui a été condamné à 12 ans, alors que le parquet avait requis 18 ans avec période de sûreté. Le 4 décembre, Chemsedine Dinar, combattant de l’EI et membre de sa police religieuse, a écopé de 11 ans de réclusion criminelle sans période de sûreté, alors que le Parquet requérait 17 ans. Le 6 décembre, Mounir Quenoum et Rodrigue Diawara, deux Toulousains de 22 et 23 ans partis rejoindre Jabhat-Al-Nosra* puis l’EI, ont vu leur peine réduite à 10 ans en appel, contre 15 ans précédemment. Les magistrats relèvent la coopération durant l’enquête ou des regrets estimés «sincères», comme des circonstances atténuantes. Ce qui inquiète l’avocat Guillaume Jeanson, porte-parole de l’Institut Pour la Justice:
«Ils pourraient être libérés d’ici 4 à 5 ans. Un tarif étonnamment léger pour avoir combattu dans les rangs d’une organisation accusée par l’Onu d’avoir commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.»
Si Guillaume Jeanson avait noté un durcissement des verdicts après 2015/16 et la vague des attentats ayant touché la France, plus récentes les condamnations, trop légères, doivent être prises en compte. Alors, laxiste, la justice française?
«On exige que les djihadistes soient jugés en France, mais avons-nous la capacité réelle de le faire au mieux? Au regard de ces faibles quantums de peine, soit l’on est tenté de questionner le “laxisme” de certains juges, soit l’on est forcé d’admettre que la justice ne peut pas faire l’impossible, à savoir juger parfaitement des personnes pour des faits commis sur des théâtres aussi troubles que lointains.»
Notre interlocuteur souligne que les juridictions françaises peuvent ne pas avoir la capacité réelle à juger les djihadistes. De l’embarras à prouver la culpabilité ou même l’intention des suspects à la difficulté éventuelle des magistrats à ressentir la charge émotionnelle de faits commis en Syrie ou en Irak, il existe selon Jeanson «un problème potentiel d’appréciation précise du degré d’implication réelle de tel ou tel “revenant” dans la commission des crimes commis».
Les tribunaux moins bien placés que ceux d’Irak?
En effet: «pour élucider cette difficulté, nos tribunaux sont-ils nécessairement mieux placés que certaines juridictions locales?» Dans bien des cas, la justice se retrouverait contrainte à ne juger qu’en demi-teinte, en fonction des éléments à sa disposition. Ce qui ne peut satisfaire personne… si ce n’est les djihadistes.
«Le risque est grand que nombre de ces “revenants” ne puissent être condamnés que “par défaut”, pour des faits beaucoup moins graves que les crimes qu’ils ont réellement commis ou, pire encore, qu’ils ne soient pas du tout condamnés!»
Un problème crucial alors que la France fait face aux conséquences du rapatriement des djihadistes. Certains ont plaidé pour empêcher la peine de mort, et d’autres pour s’assurer d’un jugement efficace (que ne seraient pas en mesure de réaliser les juridictions irakiennes, kurdes ou syriennes). Face à cela, Me. Guillaume Jeanson soulève un second problème passé totalement inaperçu en France:
«En décidant de juger nous-mêmes les djihadistes rapatriés, il faut aussi avoir conscience que nous privons également les victimes syriennes ou irakiennes d’obtenir justice dans leur pays!»
La France use du principe dit «de personnalité active», c’est-à-dire d’application de la loi pénale aux Français auteurs des crimes commis à l’étranger. Et bien que les magistrats n’en aient pas eu l’intention, un tel processus accorderait, en fin de compte, davantage d’importance à des victimes potentielles en France qu’à celles, avérées, au Proche et au Moyen-Orient.
* Organisations terroristes interdites en Russie