Djihad carcéral, comment la France est tenue en échec dans ses propres prisons

© AFP 2024 JEAN-FRANCOIS MONIERDes policiers du RAID arrivent au centre pénitentiaire d'Alençon, à Condé-sur-Sarthe.
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Alors que les djihadistes sortent petit à petit de détention, la mainmise en prison des terroristes de l’État islamique inquiète. Le système pénitentiaire craque et les politiques ne sont pas à la hauteur de cet enjeu crucial de sécurité publique, selon l’avocat Guillaume Jeanson, porte-parole de l’Institut Pour la Justice.

 «D’ici à fin 2019», 450 détenus radicalisés devraient sortir de prison: c’est ce qu’avait annoncé Nicole Belloubet, ministre de la Justice, à l’été 2018. Parmi eux, 50 terroristes avérés. Une situation qui avait été qualifiée de «risque majeur» par le procureur de Paris François Molins. Depuis, où en sommes-nous? «Nous sommes suspendus à une communication du gouvernement pour savoir exactement où nous en sommes désormais…», regrette Guillaume Jeanson, avocat et porte-parole de l’Institut Pour la Justice (IPJ) dans un entretien avec Sputnik. Le flou demeure donc.

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Une vingtaine de djihadistes aurait donc été libérée en 2018 et une autre en 2019. En 2018, l’administration pénitentiaire avançait les chiffres de 1.200 personnes écrouées et radicalisées, dont 500 pour terrorisme. 10% de ces derniers seraient donc déjà dans la nature ce mois-ci après avoir purgé leur peine.

Une menace d’autant plus réelle que «le risque de récidive est généralement perçu comme extrêmement élevé pour bon nombre de djihadistes», constate Guillaume Jeanson. Chez les djihadistes, le repentir est rare. Souvent sont-ils même encore plus endurcis après leur séjour en prison, ou en dépit d’une surveillance accrue.

Promesses non tenues du gouvernement

Et Jeanson de rappeler qu’Adel Kermiche, qui avait égorgé de dix-huit coups de couteau le Père Hamel à Saint Étienne du Rouvray en 2016, était assigné à résidence et portait un bracelet électronique. C’est la Brigade de Recherche et d’Intervention (BRI) qui parvint en définitive à le neutraliser, lui et son complice Abdel Malik Petitjean.

© REUTERS / Pascal RossignolAttentat de Saint-Étienne du Rouvray, le 25 juillet 2017. Le commandant de la BRI qui a neutralisé les terroristes a déclaré à Paris-Normandie: «Il ne fait aucun doute qu’ils voulaient mourir en martyr.»
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Attentat de Saint-Étienne du Rouvray, le 25 juillet 2017. Le commandant de la BRI qui a neutralisé les terroristes a déclaré à Paris-Normandie: «Il ne fait aucun doute qu’ils voulaient mourir en martyr.»

Dans un tel contexte, quelle politique carcérale adopter? À n’en pas douter, la menace djihadiste s’ajoute à l’accroissement de la délinquance en France et à la surpopulation carcérale. Sur ce point, les promesses non tenues de construction de places de prison s’ajoutent au flou quant aux sorties de djihadistes, à en croire Guillaume Jeanson:

«Le gouvernement avait promis la construction de 15.000 nouvelles places en prison sur le quinquennat. Puis, début 2018, il annonçait qu’il tiendrait sa promesse sur “deux quinquennats”. À l’automne 2018, on ne parlait plus que de 3.110 places supplémentaires d’ici à 2022. Soit moins du quart du quantum initialement promis... Ce n’est pas sérieux. D’autant qu’au 1er octobre 2019, nous comptions 70.818 détenus pour 61.065 places, ce qui, en comptant les places inoccupées, revient à 13.851 détenus en surnombre.»

Or, la surpopulation carcérale impacte directement la gestion des détenus les plus dangereux, parmi lesquels les djihadistes, souvent affiliés à l’État islamique*. Elle empêche de les séparer, d’éviter leur émulation, voire qu’ils ne propagent le virus islamiste dans des établissements pénitentiaires, qui sont un terreau fertile.

«Comment peut-on espérer, avec autant de détenus en surnombre, préserver une étanchéité suffisante entre prisonniers de droit commun, radicalisés et djihadistes?», s’indigne Me. Jeanson.

De surcroît, même l’étanchéité n’est pas idéale: «même à l’isolement, il est régulièrement dénoncé que certains détenus parviennent malgré tout à communiquer avec les autres», explique Guillaume Jeanson. Ainsi n’est-il pas «rare de voir sur Facebook des échanges publics entre un djihadiste en Syrie et un autre, emprisonné», relate notre interlocuteur, renvoyant au livre Les revenants de David Thomson (Seuil, 2016, prix Albert-Londres 2017). Or, «il est difficile d’expliquer de manière crédible que l’on va renforcer l’étanchéité, sans lutter efficacement contre la prolifération des portables, sans construire les places nouvelles nécessaires et tout en installant des téléphones fixes dans chaque cellule…».

La Charia à Fleury-Mérogis et le djihad derrière les barreaux

Dans une enquête publiée le 14 décembre dernier, Mediapart a révélé de nombreux faits ahurissants. Vêtus de noir, couleur du califat, les détenus radicalisés prient ou font leur footing dans la cour de Fleury-Mérogis et s’entraînent même au corps-à-corps au vu et au su de tous. Une démonstration de force: alors que les détenus de droit commun se morfondent, eux se font charismatiques. Certains se font même justiciers, condamnant par exemple au fouet des prisonniers consommant du cannabis, conformément à la Charia, ou mettant au pas leurs rivaux de Jabhat Al-Nosra*. «Le califat a été reconstitué à l’intérieur des enceintes pénitentiaires», écrit Mediapart avant de citer un surveillant:

«Quand on a vu les premiers détenus de droit commun sortir en promenade avec des corans, on s’est dit que ce n’était pas grave, car c’était juste de la religion. Les détenus étaient plus tranquilles depuis qu’ils croyaient en quelque chose. On a laissé faire, car la taule tournait mieux. Nous n’avons pas vu que, sous couvert de religion, les détenus terroristes propageaient leur idéologie radicale, avaient désormais la mainmise sur la cour, les salles d’activités, imposaient leurs règles sur l’ensemble de la détention.»

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Un sentiment d’impunité qui s’est donc développé à vitesse grand V. jusqu’à permettre le premier attentat djihadiste en détention: le 4 septembre 2016 à Osny, dans le Val d’Oise, le détenu Bilal Taghi avait poignardé deux agents pénitentiaires avec un couteau fabriqué à partir d’une poignée de fenêtre. Ce poinçon transperça le cou de l’un d’eux de part en part. Il survécut miraculeusement et Taghi sera condamné en novembre dernier à 28 ans de réclusion.

Une première, mais pour Me. Guillaume Jeanson, ces attaques illustrent les failles de la politique carcérale, évoquant un autre «fait divers» qui eut lieu à Condé-sur-Sarthe, dans l’un des deux établissements pénitentiaires les plus sécurisés de France. En mars 2019, Mickaël Chiolo, une petite frappe radicalisée en prison, condamnée pour avoir assassiné un ancien résistant de 89 ans pour 300€, se ruait sur ses surveillants. Ses armes? Deux couteaux en céramique apportés par son épouse. Il faudra l’intervention du RAID pour le maîtriser et pour neutraliser sa femme qui se jeta sur les policiers durant l’assaut.

Salah Abdeslam gagne un procès contre la République

Plus encore, le droit joue quelquefois contre les politiques carcérales: ainsi Salah Abdeslam, le seul terroriste survivant des attaques du 13 novembre 2015 qui ont fait 130 morts et 413 blessés, est-il parvenu à faire condamner la République à lui verser 500€ de dommages et intérêts pour la vidéosurveillance permanente, jugée illégale pour atteinte à la vie privée. «Le tribunal administratif s’est cantonné à faire du droit. Et le droit n’est pas la morale», souligne Me. Jeanson. Pour lui, le gouvernement doit reprendre la situation en main: en commençant par jouer la transparence sur les rapatriements et les libérations de djihadistes, et en mettant un terme aux contradictions de sa politique carcérale.

*Organisation terroriste interdite en Russie.

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